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La journée s'était écoulée bien tranquillement. Patty s'était de nouveau endormie et Candy s'était replongée dans la lecture de son livre. A vrai dire, elle s'ennuyait un peu. C'était le seul livre en anglais qu'on avait pu lui proposer et il n'était pas des plus palpitants. Elle bailla, s'étira longuement sur son siège, puis reprit le livre entre ses mains en tapotant la couverture d'un air distrait. L'irruption soudaine d'une infirmière dans la chambre vint mettre un terme à son ennui.

- Mademoiselle André, il faudrait que vous veniez à l'accueil. Nous avons un petit problème...
- C'est grave ? – demanda Candy alors qu'elles longeaient le couloir qui menait vers l'entrée de l'hôpital.
- Non, je vous rassure. C'est juste un peu, disons... encombrant !...

Parvenues à l'accueil, Candy comprit sans peine l'insinuation de l'infirmière : une montagne de valises bouchait le passage devant le bureau, si bien que le personnel et les visiteurs devaient zigzaguer entre les bagages pour circuler. Le strict nécessaire pour deux dames du monde...

La jeune américaine afficha un sourire gêné devant le grotesque de la situation.

- On vient de nous les livrer de la gare et on m'a bien précisé qu'ils vous appartenaient – fit l'infirmière, une pointe de moquerie dans la voix.
- Croyez-moi - se dit Candy - si cela n'avait tenu qu'à moi, il n'y en aurait beaucoup moins et je ne serais pas plantée là, ridicule, devant cet amas de valises dont j'ignore encore en grande partie ce qu'elles contiennent...

L'espace d'un instant, elle s'en voulut d'avoir laissé Annie s'occuper de ses bagages. Cette dernière lui avait expliqué qu'une jeune femme de son rang se devait de voyager avec un tel chargement afin de ne pas porter atteinte au prestige de la famille. Il fallait qu'elle ait quotidiennement une tenue différente, quitte à en changer plusieurs fois par jour en fonction des évènements de la journée.

- Tu comprends, Candy – lui avait-elle dit alors que son amie soupirait devant l'extravagance de son équipement - Tu es l'héritière des André. Tu vas représenter la famille sur le bateau et à l'étranger. Si tu es vêtue comme une « pauvresse », les gens vont s'imaginer que nous avons des problèmes financiers. Ils vont se poser des questions, des rumeurs vont circuler, et cela risque de porter préjudice à la compagnie. Tout est lié !
- Je n'en reviens pas qu'un simple bout de chiffon puisse avoir autant d'influence sur les titres d'une société... - avait répondu Candy, perplexe.
- Malheureusement, c'est comme cela que cela fonctionne. Connaissant ta nature, je devine combien tu peux trouver cela futile et ridicule, mais il y a des codes à suivre, et leur désobéir peut causer beaucoup plus de dommages que tu ne l'imagines. Un simple écart, et l'on perd tout respectabilité, toute considération. Cela peut ruiner toute une réputation !
- Mon dieu !!! C'est effrayant !!!... Dans quel étrange monde vivons-nous ???... Bon !... Soit !... J'appliquerai ces codes à la lettre et je ferai de mon mieux pour faire honneur au nom des André. Je ne voudrais pas qu'Albert en vienne à regretter de m'avoir adoptée...
- Ne sois pas sotte ! – avait-elle ricané - Il sait ce qui est le plus important dans la vie, mais la société dans laquelle nous évoluons place la barre au-dessus de ces choses essentielles. Nous pouvons bien sûr ne pas être d'accord, mais, si en nous y adaptant, nous pouvons par notre présence et nos actions, permettre de faire tout doucement évoluer les mentalités, les deux pauvres orphelines que nous avons été pourront s'enorgueillir d'avoir accompli quelque chose d'honorable et dont nous pourrons être fières.
- Ma foi, c'est un point de vue bien convaincant. Mais... Es-tu vraiment certaine qu'il faille que j'en prenne autant ??? – avait demandé Candy en montrant la multitude de vêtements étalés sur son lit.

Le oui ferme et catégorique d'Annie avait clos la conversation et Candy n'avait plus insisté. Mais à présent, devant les sourires ironiques du personnel qui la croisait, elle maudissait son amie et son excessif enthousiasme.

- Que vais-je faire de tous ces bagages ? – gémit-elle – Ils ne rentreront jamais dans la chambre de Patty !
- Ecoutez – fit l'infirmière, devant la mine contrite de Candy – Je vous propose de faire une sélection de choses que vous mettrez dans une ou deux valises, et je ferai transporter le reste au sous-sol, là où nous stockons notre matériel. Vous le récupérerez au moment de votre départ.
- Vraiment ??? Vous me sauvez la vie ! J'apprécie sincèrement votre aide, mademoiselle !!!... Mademoiselle ... ?
- Emma ! Je m'appelle Emma. – répondit l'infirmière dans un joli accent italien, en serrant franchement la main que Candy lui tendait - Ravie de vous rendre service !
- J'espère avoir l'opportunité de vous en rendre un à mon tour. N'hésitez pas à me solliciter si l'occasion se présente. Si c'est dans mes capacités, je me ferai une joie de le faire.
- Ne vous inquiétez pas pour cela, mademoiselle. Je n'attends rien en retour. C'est normal de rendre service.

Candy la gratifia d'un chaleureux sourire puis se pencha sur ses bagages afin de sélectionner ceux qu'elle voulait garder. Elle mit de côté une valise pour Patty qui contenait ses affaires de toilette, quelques chemises de nuit et quelques robes, et en fit de même pour sa propre personne. La question du logement l'interpella soudain. En effet, où allait-elle résider pendant la convalescence de Patty ? Elle ne voulait pas quelque chose de trop éloigné de l'hôpital car elle souhait pouvoir rester au chevet de son amie aussi tard que possible sans avoir la crainte de rentrer la nuit à son hôtel. Elle ignorait s'il y en avait un dans les environs et se tourna vers Emma pour lui poser la question.

- Un hôtel dans le coin ? Non. Mais il y a une petite pension de famille au bout de la rue. « Chez Roberta ». Elle est modeste mais très bien tenue. Malheureusement, je ne pense pas qu'elle corresponde à vos attentes.
- Détrompez-vous. Cela conviendra parfaitement. Je vais d'ailleurs m'y rendre de ce pas. S'il vous plait, au cas où mon amie se réveillait avant mon retour, pourriez-vous lui expliquer la raison de mon absence ? Je ne voudrais pas qu'elle s'inquiète.
- Ne vous faîtes aucun souci. Prenez votre temps. Si besoin, je mettrai de côté pour vous un plateau-repas que vous pourrez manger en compagnie de votre amie quand vous reviendrez.

Candy la remercia en souriant et partit d'un pas alerte à la recherche de la pension de famille. Parvenue dans la rue, elle fut étonnée par la douceur de l'air qui contrastait avec la chaleur étouffante qui régnait dans le bâtiment. Une rangée de platanes protégeait de son ombre bienveillante son exploration des lieux. Il faisait bon, le soleil perdait peu à peu de l'altitude mais était encore loin de céder sa place à l'obscurité. Elle croisa un petit garçon en culottes courtes qui courait en riant derrière son chien, et elle pensa avec nostalgie aux petits pensionnaires de la maison Pony. Cela faisait du bien de marcher et de prendre l'air. Rester enfermée durant des heures lui portait peine, mais c'était mieux que d'être couchée dans un lit comme Patty. Ce n'était pas les vacances idylliques auxquelles elle s'attendait, mais cela lui ferait un bon sujet de conversation en rentrant en Amérique.

En Amérique... Que de choses elle allait pouvoir raconter à Terry ! Comme elle avait hâte déjà, alors que son séjour en Europe était à peine entamé. Malgré l'exotisme des lieux, elle savait qu'elle allait trouver le temps bien long et elle se reprocha immédiatement son manque de gratitude envers Albert et ses amis qui avaient organisé ce voyage.

Albert...

Albert !!!!

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