Chapitre 3 : Foutu reflet

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« Vous êtes son reflet », disait-elle.

Je ne sais pas si je devrais être contente de lui ressembler. J'ai longtemps admiré cette nuance bleutée que possédait mes yeux. Je l'ai plus détesté. Je pensais que ce n'était pas grave de ne pas le connaître, puisque je détiens une partie du père que je n'ai jamais vu. Ces yeux bleus. Bleus froids. Givré.

J'étais curieuse de savoir de qui je tiens ces traits faciaux. La forme de ma mâchoire, la fossette sur ma joue gauche qui se creuse facilement, ces cheveux tellement blond qu'on pourrait les confondre avec de l'or. À tel point qu'on m'en donne le surnom. Tout me vient de lui. Mis à part le grain de beauté sur ma paupière droite.

J'étais curieuse, jeune. Et sacrément conne.

— Bonjour Monsieur le président, salue Kimberley en s'avançant à ses côtés discrètement.

Il esquisse un sourire envers son assistante et je me fige aussitôt. Car ce sourire, je jure le putain de Dieu de l'avoir déjà vu. Des milliers de fois. Dans un miroir. Sur des photos. Sur mon visage. Exactement le même, au centimètre près.

Reflet, hein ?

— Je rencontre enfin le donneur de sperm, lâchais-je en faisant une rapide découverte de sa personne.

Les mots s'étaient échappés sans permission. Je n'avais pas l'intention de créer de la tension entre nous dès le premier échange, mais il faut croire que j'ai bien plus à lui reprocher que je ne le pensais. Éric détaille chaque trait de mon faciès, découvrant sa progéniture pour la première fois. Ses yeux firent des vas et viens entre moi et Kimberley, semblant réfléchir par quels mots il pourrait commencer cette relation, quels gestes, quelles expressions.

Fièrement tenu dans son British suit marine qui soulignait une certaine flegme, ses cheveux blonds étaient élégamment relevés vers l'arrière, éclatants, de gel capillaire sûrement. Il avait quelques mèches cendrées témoignant sa lutte contre le temps. Ce blond poivré collait parfaitement avec la mine grave que portait son visage. Il détenait le même regard que moi. Ou plutôt, j'ai hérité du même.

Scrutateur.

Je parierai que le sien s'est forgé sur les nombreuses heures qu'il a dû passer à examiner et dévoiler le moindre secret de chacun de ses concurrents. Dans un bureau confortable, avec des milliers d'employés sous ses ordres, en haut d'une tour qui fait probablement un chiffre d'affaires annuel dix fois plus grand que le PIB du Mexique.

Le mien, je l'ai aiguisé à force de me retrouver face aux pires ordures qui se tapissent derrière les armes et la drogue, dans une insécurité frissonnante. Je me suis forcé à anatomiser chaque personne que je croisais pour être sûre qu'il n'y avait pas d'arme coincée dans la ceinture de leur pantalon, avec mon nom inscrit sur les balles. Que dirait-il s'il apprenait pour les Blanc ? Est-ce que ça m'intéresserait vraiment de connaître son avis ? Pas vraiment.

— Excuse-moi?

Sa voix était plus grave que je ne l'imaginais. Plus guttural. Je contracte ma mâchoire, espérant gagner cette lutte acharnée contre tous ces ressentiments envers lui.

— Elle avait raison, marmonnais-je en désignant sa secrétaire d'un geste du menton. Je suis ton putain de reflet.

Ou pas. Sentiments ou ressentiments, il devait y faire face. Et assumer mes reproches à défaut d'assumer sa paternité.

— Tu as trouvé le lait ? plaisantais-je, à moitié.

Bordel. En prenant l'avion je m'étais juré de juste le saluer et continuer ma vie sans prêter attention à sa présence ou du moins, en faisant gaffe à ne pas me mêler de la sienne pour les trois cents soixante cinq jours à venir. Je ne veux pas en faire partie, malgré la satisfaction que je ressens d'enfin pouvoir mettre un visage sur ce nom. Je me battais intérieurement contre l'impression d'abandon qu'il m'a laissé et c'était foutrement ridicule.

ATTRACTION GAME | Tome 1 : Black & WhiteWhere stories live. Discover now