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Lina prit place sur le sofa de la psychologue après y avoir été invitée. Ce n'était pas sa première séance et même si elle prenait ses marques, il lui semblait difficile de se laisser aller à de réelles confidences. Elle ne racontait que les faits sans émotion, comme si elle parlait de l'histoire d'une inconnue.
Claire Romano lui tendit un thé et un plaid avant de prendre place sur son fauteuil. C'était une femme dans l'âge mûr qui vous donnez confiance seulement par son regard bleuté. De plus, son cabinet était favorable à la détente grâce à ses couleurs chaleureuses et ses bougies parfumées. La brune s'y sentait bien, en sécurité, même si elle devait y ôter sa carapace.

« Comment vas-tu Lina ? » Elle but dans son mug tout en regardant la jeune femme. Celle-ci se renfrogna dans le canapé, sachant très bien qu'elle était sous observation et que ses cernes ne pouvaient mentir. « Tu m'as l'air fatiguée. » Elle acquiesça avant d'hausser les épaules. « A quoi est-ce que tu penses ? »

« Est-ce que vous pensez qu'on est prédestiné à certains événements ? »

« Est-ce que tu veux bien développer ? »

« J'ai sûrement retourné la situation un million de fois dans ma tête. Quand je pense à mon enfance, j'ai pas vraiment eu toutes les clés pour être quelqu'un de stable qui prendre les bonnes décisions. » A ses propres mots, elle pensa à Mathieu, comprenant ses peurs devant l'avenir, surtout celui paternel. Lui aussi n'avait pas eu le droit à une base solide. « Ma mère était colérique, culpabilisante et surtout dépendante. Alors j'ai passé mon enfance à tout faire pour ne pas lui ressembler. Le problème c'est que ne connaissant pas mon père, je n'ai pas pu faire la même chose. Tout ce que j'ai eu, c'est un manque et sûrement des daddy issues. » Elle ria jaune. « Pas étonnant que j'ai fait confiance à Franck. »

« Franck ? L'homme de 37 ans qui te donnait de l'argent pour être infirmière ? »

« Au début, il prenait soin de moi. Il ne levait pas la main sur moi. » Lina humecta ses lèvres, culpabilisant de l'avoir considéré. « J'avais un toit gratuit, à manger, des vêtements... mais le problème quand on vit chez un gérant, c'est qu'il a des ennemis. Franck a fini par être dépassé et il se défoulait sur moi. »

« Comment ? »

« Physiquement et verbalement. Insultes, coups, drogues. » Elle posa son thé sur la table pour pouvoir croiser les bras contre elle-même. Elle avait besoin d'être enlacé et Mathieu lui manquait terriblement maintenant. Néanmoins, lorsqu'elle avait demandé à Madame Romano s'il pouvait venir, elle lui avait conseillé de faire ça seule afin de pouvoir dire tout ce qu'elle souhaitait. Elle n'avait pas tort, si Lina devait parler de Marcus, elle préférait qu'il ne soit pas là à entendre chaque détails de ses traumatismes. « Et je n'arrive même pas à lui en vouloir alors que j'ai rencontré Marcus par sa faute. »

« Mais il a été la première personne à te considérer pour qui tu étais. » Lina acquiesça, le regard vers le sol. « Tu as conscience que ce qu'il a fait n'est pas une bonne chose que ce soit pour toi ou pour les autres. Ça ne veut pas dire que tu dois le détester. Ta compassion envers lui est tout à ton honneur mais il est important de se souvenir de ta valeur. »

« Je sais. Ma vie est clairement mieux sans lui, c'est sûr. » Lina laissa tomber sa tête contre le dossier du sofa pour regarder le plafond. « Pour en revenir à ce que je disais... dans toutes cette histoire, je n'ai pris que de mauvaises décisions comme si on m'avait programmé pour ça. »

« Ou peut-être que les événements se sont imposés à toi. » Elle secoua la tête, refusant d'y croire. Elle essuya ses joues, ses larmes en preuve de son désarroi. « Alors, dis-moi, quels choix as-tu fait ? »

« J'aurai pu refuser le boulot de Franck. »

« Et oublier tes rêves de jeune fille ? Les seuls rêves que tu avais ? » La psychologue utilisait un ton presque outré. « C'était pas vraiment un choix. »

« J'aurai pu refuser de sauver Marcus. »

« Et mourir. Là non plus, Lina, tu ne pouvais pas abandonner. » Lina éclata en sanglot. C'était la première fois depuis le début de sa thérapie et il semblait qu'elle ressortait toute sa colère dans ses geignements. « Tu as subi. Tu n'avais pas le choix et tu l'as fait comme une héroïne. Tu as été forte du début à la fin, tu n'as rien abandonné. Le seul choix que tu avais, c'était de mourir ou de vivre. Et, tu as fait le meilleur choix qui soit. » Claire lui tendit un paquet de mouchoirs qu'elle attrapa volontiers. « Et regarde maintenant autour de toi. Où sont-ils ? Et toi, où es-tu ? Tu les as vaincus. »

« Ben est toujours dehors. Je lui faisais confiance et il m'a trahie. Et il a payé deux hommes pour me retrouver. Ils ont failli tuer Mathieu. Puis, j'ai pas su aider ma meilleure amie et maintenant, on ne se parlera plus jamais. » Lina rouvrit les yeux pour regarder par la fenêtre. Le vent s'était levé et la végétation semblait se débattre pour rester debout. Tout comme elle. « Le pire c'est que ma peau a encore le souvenir des coups de Marcus et mes parties des siennes. Ma langue de son goût. J'entends encore ses insultes dans mon oreille. J'étouffe encore comme s'il tenait toujours ma tête sous l'eau. » Elle tira sur ses manches pour couvrir ses mains avant de les poser sous ses yeux, recueillant le flot directement. « Et j'ai l'impression qu'il est là, partout, tout le temps. Est-ce vraiment une victoire ? »

« J'aimerais que tu fermes les yeux, s'il te plaît. » Elle le fit, serrant contre elle ses genoux pour se protéger de la noirceur sous ses paupières. « J'veux que tu me racontes un souvenir précis, en détails avec toutes les sensations. » Lina rouvrit directement ses paupières, les sourcils froncés. Elle savait que si elle se plongeait dans sa mémoire, une crise se déclencherait. « Essaye et si ça ne va pas, tu me demandes d'arrêter. »

TW
Elle inspira profondément, repensant à son cauchemar de la nuit dernière après la gâterie du blond. « Les volets étaient fermés et je ne savais plus si on était le jour ou la nuit. Je passais mon temps allongé sur le matelas, ne prenant plus la peine de me lever, même s'il était sale et plein de sang. Mon corps était tellement douloureux que j'attendais toujours avec impatience les pilules qu'il me donnait. Seulement pour ressentir autre chose que mes muscles endoloris d'avoir été frappés ou mon cuir chevelu en feu d'avoir été tiré. Il attendait toujours une bonne demi-heure après ma prise pour que je sois complètement ailleurs et droguée. J'étais alors incapable de me défendre. Pourtant, il prenait toujours le soin de m'attacher comme si je pouvais m'enfuir dans cet état. Ce jour là, je m'étais même fait pipi dessus. » Elle dut se stopper pour reprendre son souffle. La pièce semblait être dans un brasier, elle étouffait. « J'étais tellement souillée qu'il s'est moquée de moi. Il m'a insultée de tous les noms avant de s'insérer dans ma bouche. » La psychologue s'ajusta sur son fauteuil, essayant de garder contenance malgré la scène se développant dans une horreur sans nom. « Je n'oublierai jamais cette sensation d'étouffement. Ni son goût alors qu'il jouissait. »

Fin TW
« Lina, je veux que tu restes dans ce souvenir, mais je veux que tu t'en éloignes comme si cette scène se passait sur un téléviseur. » Claire vit la brune se concentrer, se débattant avec ses propres démons pour réussir ce qu'elle demandait. « Tu ne peux pas changer ce qui se passe sous tes yeux parce que tu es spectatrice comme cette jeune femme dans le lit. Mais toi tu as le pouvoir d'éteindre cette télévision, tu as le pouvoir d'éteindre les sensations. Alors fais-le. » Lina serra sa main droite, son pouce s'appuyant sur l'articulation de son index de toutes ses forces. « Marcus a disparu, tout comme le reste. Il ne reste plus que cette télévision éteinte. Tu regardes les alentours et ressens seulement un sentiment de plénitude et de sérénité. Dis-moi ce que tu vois maintenant ? »

« Je suis dans notre salon en Corse. Le baie vitrée est ouverte et laisse une brise rentrer. Elle sent le sel et le pin. »

« Comment est la vue ? »

« Magnifique. Je peux voir les montagnes au-delà de la mer. » Elle serra ses bras contre elle. « Quelqu'un est derrière moi. Je sens une présence. »  Madame Romano eut un moment d'inquiétude à l'idée que réapparaisse Marcus. « Je sens des mains contre moi mais elles m'enlacent et me bercent. Je me sens en sécurité, ici. »

« Qui est-ce ? »

« Mathieu. C'est Mathieu. »

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