Phœnix Souls [PLK]

15

Antoine toqua de toutes ses forces contre la porte de l'appartement de Mathieu. Il ne répondait pas depuis plusieurs jours mais pour la première fois, sa voiture se trouvait sur le parking. Alors, le producteur avait sauté sur l'occasion pour retrouver son protégé. Il dut insister de longues minutes, alternant entre la sonnette et le bois pour espérer une réponse.
De l'autre côté, Mathieu se réveilla encore habillé, allongé à moitié sur son canapé. Il se redressa pour se frotter le visage avant de céder à l'agacement et d'ouvrir la porte. Antoine ne put cacher sa stupeur en voyant sa tête tirée par la fatigue et ses vêtements débraillés par l'insomnie. Il entra en trombe pour analyser l'appartement. Toutefois, celui-ci était propre et presque trop rangé, signe qu'il avait été absent de nombreuses fois.

« Où t'étais ? J'ai essayé de t'appeler des millions de fois ! » Son ton était sec, épris d'une pure angoisse. « J'suis passé au studio et chez toi tous les jours ! »

« J'ai des trucs à faire. » Mathieu attrapa son paquet de cigarette pour s'en allumer une, aucunement atteint par l'attitude d'Antoine. Il s'appuya contre l'îlot avec toute sa nonchalance disponible.

« Et quoi ? » Il haussa les épaules, ne souhaitant pas avouer ses occupations. « Mathieu, dis-moi tout de suite ou notre collaboration et notre amitié sont terminées. »

« T'es sérieux ? » Antoine acquiesça. En réalité, il ne l'était pas parce que le blond était devenu un membre indispensable à sa vie. Toutefois, il savait que la peur de l'abandon était la plus grande faille de son protégé. Il avait put le voir avec ses histoires de famille puis, plus récemment, avec sa petite amie. Et même s'il s'était promis de ne pas l'utiliser, il lui semblait inconcevable de faire autrement alors qu'il était devant lui, presque dans un état de décomposition tant la fatigue le trépassait. « J'ai pas confiance en Ben. » Antoine était prêt à crier, certain que la folie l'avait épris mais il n'eut le temps s'ouvrir la bouche que Mathieu continuait. « Écoute, avant de dire que j'suis dingue. Peut-être que c'est un gars bien, il vient d'une famille aisée et il fait des études... ok... mais j'ai promis à Lina de toujours la protéger. Alors, je compte m'assurer que c'est quelqu'un de bien. Pour le moment, j'ai aucune preuve qu'il ne va pas lui faire du mal. Il traîne beaucoup en voiture et il a l'air toujours sur ses gardes. Un mec comme ça n'a pas à s'inquiéter. Je trouve ça bizarre. »

« Il est peut-être sur ses gardes parce qu'il se sent suivi ? »

« Nan, je le sens, un truc est pas normal et tant que j'suis pas certain, je lâcherai pas l'affaire. »

« Si Lina l'apprend, elle va te tuer. »

Mathieu secoua la tête puis écrasa son mégot dans le cendrier. « Non, parce qu'elle le saura pas. T'es le seul au courant et tu diras rien. »

Antoine s'éloigna, se sentant étouffer par l'atmosphère tendue instaurée par son ami. Il regarda son téléphone à la recherche d'une évasion. Néanmoins, l'inquiétude que Mathieu devienne complètement fou trottait dans sa tête. Surveiller quelqu'un pendant des heures n'avait rien de sain. Il ne put se retenir de penser que cette relation devenait toxique, presque obsessionnelle et que si ce n'était pas lui, Lina finirait par se brûler les ailes. Il regarda encore une fois le protagoniste qui semblait absorbé par un cadre. Ce que le plus âgé ne savait pas, c'était que ce tableau avait été achetée par la brune pour son premier appart. Et alors qu'elle avait pris la fuite sur l'île, Mathieu avait embarqué avec lui la photographie de la Guadeloupe, comme seul souvenir. Il l'avait mise dans la pièce principale pour être sûr de pouvoir l'admirer à tout moment. Il arrivait presque à y voir Lina marchant au bord de l'eau à force de l'observer.

« Lucie ou Lina est enceinte. » Antoine balança l'information comme s'il annonçait la météo. Mathieu quitta le paradis fictionnel pour l'absurde réalité.

« Qu'est-ce que tu racontes ? »

« La semaine dernière, Lina a appelé Inès et Lucie. J'ai pas tout suivi car Inès est partie dans la salle de bain mais quelqu'un a dit qu'elle était enceinte. »

« C'est pas Lina. » Bien sur que c'était possible, il le savait. Néanmoins, il préférait ignorer la réalité et les statistiques des pilules contraceptives plutôt que de s'imaginer construire le même échec familial qu'il avait subit. « Impossible. Et de toute manière, elle me l'aurait dit. » Il ne put se retenir de douter. Après tout, il lui avait brisé le cœur encore et encore alors il pensait qu'elle avait tous les droits de ne rien dire pour protéger un enfant de sa monstruosité. Puis, il était convaincu de ne pas vouloir de progéniture. Il était hors de question de prendre le risque d'être un mauvais père, d'être comme le sien.

« Tu devrais quand même t'en assurer. » Antoine haussa les épaules. « De ce que je sais, Lucie n'a plus de copains depuis longtemps. »

« Elle a pas besoin d'un mec pour baiser. »

« Certes. » Mathieu n'essaya pas d'argumenter plus que ça, préférant se monter la tête tout seul. Il était effrayé. « Est-ce que tu veux venir à la maison ? » Il déclina fermement. Il était hors de question d'être une nouvelle fois assisté mais surtout il refusait de perdre son temps chez Antoine alors que Ben était toujours dehors, libre de faire du mal à Lina. « Tu vas encore le surveiller longtemps ? »

« Jusqu'à ce que je sois sûr qu'elle ne risque rien. » Sur ses propres mots, il attrapa sa veste et un mug de café. « Et j'y retourne d'ailleurs. Ils se voient ce soir. »

Antoine le suivit alors jusqu'à la voiture. Et, sans un mot, ils s'enlacèrent, le producteur abandonnant l'idée de changer son avis. Mathieu semblait inatteignable, complètement obnubilé par ses promesses tant il avait gâché le reste.
Le moteur allumé, il partit à toute vitesse pour rejoindre la maison du père de Ben où ce dernier vivait encore. Il se gara sous un arbre, se camouflant de la lumière des réverbères de la rue. Il profita du calme pour attraper son portable. Il répondit rapidement à sa famille, une pointe de culpabilité dans le cœur à cause de son absence. Puis, spontanément, il contacta une personne inattendue.

« Allô ? »

« On peut se voir, s'il te plaît, c'est important. »