Chapitre 41 - Elisaria

21 3 0
                                    

— Mais, que faites-vous ? Elle est une amie de la couronne ! s'écrie Aster en se plaçant entre les soldats et moi.

— Ah ça, je suis bien d'accord, dit le roi avec un sourire en coin.

Ses yeux clairs sont toujours fixés aux miens. Il tourne la tête vers chacun de mes camarades avant de répondre.

— Je vous remercie, Aster et Naos, d'avoir ramené mon premier enfant à la maison.

Je suis en train de me débattre de la poigne des soldats qui ont contourné Aster, mais sa déclaration m'arrête dans mon élan.

Son premier enfant ? La princesse ? Quoi ?

Ma tête me tourne. Le choc m'engourdit les doigts et je sens une sueur froide couler dans mon dos.

Aucun son ne sort de ma bouche qui s'ouvre et se referme aussi élégamment qu'un poisson hors de l'eau.

Finalement c'est la voix de Naos, qui résonne dans la grande salle.

— Comment est-ce possible ? Comment pouvez-vous la reconnaître si la dernière fois que vous l'avez vue, elle était encore bébé ?

Le roi balaye sa question d'un revers de la main.

— Tss. Je le sais. Une voyante m'a dessiné à la naissance de mon premier enfant, un portrait d'elle, dit-il en faisant un mouvement de menton dans ma direction.

Mon sang bat frénétiquement dans mes tempes et ma vision est brouillée. J'ai du mal à respirer. J'observe Aster. Était-il au courant ? Vu la tension de ses épaules, la contraction de sa mâchoire et ses poings serrés le long de son corps, j'en doute. Ça ne fait cependant rien pour m'apaiser.

— Le dessin n'est pas parfait, et son visage est actuellement caché par la saleté, mais je ne doute pas qu'après un bain, le visage d'Amira soit exactement le même que celui qui lui était prédit.

Il s'applaudit en me regardant dans les yeux.

Deux soldats me retiennent encore les poignets et les épaules, et je sens la présence d'un autre dans mon dos.

— Pourquoi la retenez-vous ? demande Naos, qui est visiblement le seul à pouvoir construire des phrases sans bafouiller.

— Ah. Ça, petit métamorphe, c'est parce que je ne veux pas qu'elle nous glisse entre les doigts.

Je fronce des sourcils. Mon cerveau est à la fois en surchauffe pour essayer de comprendre ce qu'il me veut, et totalement ramollis par la révélation.

Je remarque Aster baisser la tête du coin de l'œil, toujours aussi tendu.

Le roi paraît, en revanche, on ne peut plus heureux. Une lueur victorieuse dans le regard. Ce n'est pas exactement de cette manière que je m'imaginais apprendre mes liens de parenté.

Pourquoi je ne peux pas tomber sur une gentille famille de paysans qui m'auraient accueilli les bras ouverts et m'auraient tout expliqué de mon identité ?

— Voulez-vous entendre une petite histoire par hasard ? demande le roi avec amusement. Je vous la raconte tout de même.

Il s'installe plus confortablement sur son trône, et demande un verre de vin à un soldat avant de commencer à parler d'une voix grave.

— Il y a bientôt trente ans, le Fléau est arrivé dans les royaumes du sud, détruisant tout sur son passage. Ne laissant que très peu de survivants. Le royaume était menacé et, bien que le Fléau ne semblât pas s'intéresser à Oscor, nous ne pouvions prendre aucun risque.

Je ne comprends pas où il veut en venir, mais il ne semble pas prêt de terminer de parler, je dois donc être patiente.

— Je suis donc allé voir une voyante proche de la couronne. Cette dernière m'a annoncé une prophétie : seules deux personnes du même bois peuvent s'affronter et faire plier l'autre. Je ne compris rien de la prophétie à l'époque, mais quelques mois plus tard, la vieille voyante m'a présenté une femme. Elle était magnifique, de grands yeux verts, des cheveux d'un rouge feu, et un visage d'ange. Nous essayions depuis quelques années de faire un enfant avec ma défunte épouse, sans résultat. Mais lorsque cette femme est arrivée dans ma vie, et m'a annoncé qu'elle pourrait porter mes enfants sans rien attendre en retour, je n'ai pas mis longtemps avant d'accepter sa proposition. La voyante m'avait présenté cette femme comme étant la résolution de mes problèmes. Et, lorsqu'elle tomba enceinte, je pensais qu'un enfant de la couronne pourrait motiver certains soldats à combattre et défendre le royaume en cas d'attaque.

Il s'arrête un instant, perdu dans ses pensées.

— Lorsque tu es née, la voyante est revenue me voir. Elle m'a annoncé que tu seras celle qui fera disparaître le Fléau. Mais il y avait une condition. Il fallait que tu sois élevée en Forska, que tu t'entraînes et que tu grandisses sans connaissance de cette menace. Tu devais retrouver le chemin de la maison par tes propres moyens, termine-t-il en désignant le palais d'un geste large.

Maison.

Ce mot résonne dans ma tête. Si ce palais est quoique ce soit, il n'est certainement pas ma maison.

Je vois vaguement Aster faire un pas en arrière, le visage tordu par la trahison. Mes mains tremblent et la tension dans mon épaule à peine soignée me fait mal.

— Qu'est-il arrivé à la femme ?

Je parviens à demander, mais ma voix est faible.

Le roi reporte son attention sur moi, et c'est avec dégoût qu'il me répond.

— Elle est morte. Le Fléau l'a emportée.

Ses derniers mots semblent rebondir sur les murs.

— Ce que la voyante avait omis de me dire, lâche le roi avec amertume. C'était que cette femme, était de la même espèce que ce démon.

Le choc m'abasourdit, j'entends le roi et les voix d'Aster et Naos continuer à parler, sans pour autant comprendre les mots prononcés.

Ma tête tourne.

Le Fléau.

Le plus grand tueur de notre époque.

Je fais partie de son espèce.

Aster et Naos se placent devant moi et forment comme un mur entre moi et le roi.

Le rire gras de ce dernier me sort de ma torpeur.

— Je vois qu'elle vous a attirés dans ses filets. Vous êtes si faibles. À peine capables de résister à la tentation et à l'attractivité malsaine qu'elle dégage.

Le dégoût suinte de tous ses pores.

— Il me semble que vous non plus, si j'ai tout compris.

Je marmonne sans m'en rendre compte.

Le roi me regarde longuement, la lèvre supérieure retroussée, sans toutefois répondre.

— Le seul moyen de libérer les royaumes et les peuples du Fléau est que toi, ma fille, tu affrontes le dernier spécimen de ton espèce. « Son sacrifice nous libérera du Fléau », m'a annoncé la voyante avant de disparaître. Tu devras l'affronter. Seules deux personnes du même bois peuvent s'affronter et faire plier l'autre.

Cela n'a aucun sens.

— Cela a du sens. Le Fléau se détruira après qu'il aura tué les derniers porteurs de son sang, réplique le roi d'une voix dure qui me fait sursauter.

Je n'ai pas conscience d'avoir parlé à voix haute.

— Amenez-les dans leurs appartements.

Je secoue la tête en me laissant porter par les soldats, suivie de près par mes acolytes qui semblent aussi désorientés que moi.

Ivos 1 - Feuille d'if parmi les sapinsOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz