Chapitre 16 - Elisaria

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Je suis complètement déboussolée. Je ne comprends pas comment toutes mes convictions, toutes mes vérités ont pu être détruites en l'espace de moins d'une semaine. Il y a encore sept jours, je ne m'imaginais pas ailleurs qu'auprès de Mia à accomplir mon devoir. Je me voyais mourir vieillir à ce poste.

Puis Jasmina est morte, et je ne comprenais plus l'intérêt de continuer à voir mes amis tomber. Je n'aime pas tuer et pourtant j'y ai été contrainte par la force des choses. J'ai fait quelque chose que jamais je n'aurais cru avoir le courage de faire. J'ai déserté. Je savais qu'il n'y aurait aucun retour en arrière possible, mais je ne pensais pas que ma vie prendrait un tel tournant.

Lorsque Naos m'a raconté l'histoire d'Oscor, je n'ai pas voulu y croire, mais la mélancolie et le désespoir qui se dégageaient de lui m'ont convaincue. Je savais qu'il ne mentait pas. Je l'ai su au plus profond de moi.

J'ai toujours su quand quelqu'un est honnête avec moi et je sais qu'ils l'ont été tous les deux. C'est ce qui me déstabilise le plus. S'ils ne m'avaient pas dit la vérité, ça les rendrait moins sympathiques. Mais surtout, s'ils m'avaient menti, cela ne voudrait pas dire que j'ai été enlevée bébé et élevée et entraînée comme chair à canon pour tuer les « miens ».

Quelle ironie pour quelqu'un réussissant à détecter les mensonges de ne pas avoir réussi à découvrir celui qui a régi ma vie pendant 23 ans.

Penser que ces personnes sont comme moi, que je suis comme ces personnes, me donne le tournis. Je ne suis pas prête à penser à eux en ces termes.

La bonne nouvelle, s'il faut en trouver une, c'est que celui que je considérais comme mon père ne l'est peut-être pas. Cela me soulage d'un poids, moi qui avais peur de lui ressembler ou de devenir comme lui, il y a moins de risque que ça arrive puisque son sang ne coule pas dans mes veines.

Je pourrais accepter la proposition d'Aster, m'entraîner puis partir, une fois mon pouvoir en main, cela m'aidera sûrement à canaliser mes changements capillaires et à me rendre moins reconnaissable si je décide de repartir en Forska.

Je pourrais aussi refuser et repartir directement en Forska. Je ne sais pas ce que j'y ferai. Je vivrais certainement cachée et changerais régulièrement de cachettes, mais soyons honnêtes, ce n'est pas une vie. Je n'ai pas envie de m'installer quelque part et y construire une famille, mais je n'ai pas non plus envie d'avoir peur de mon ombre le restant de ma vie, aussi longue ou courte soit-elle.

Il ne me reste qu'un choix. Me ranger du côté de l'ennemi. Qui n'est plus réellement un ennemi. Mais que je vois mal m'accueillir à bras ouverts pour autant. J'ai tué trop des leurs pour qu'ils m'acceptent aussi facilement. En même temps, ils ont tué beaucoup des miens aussi et si j'arrive à passer outre, je ne vois pas pourquoi eux ne le pourraient pas.

Je décide d'arrêter de réfléchir et me lève. Étirant mes jambes en marchant vers la porte, je toque trois coups.

— Je suis prête.

Et puis, je commence sérieusement à en avoir assez de cette petite pièce humide et insalubre. Il est temps de changer d'espace et de commencer un nouveau chapitre.

Les verrous de la porte se déverrouillent et la porte s'ouvre.

**

Les gardes m'emmènent dans une grande salle au plafond haut. Une cheminée est allumée et l'odeur de fumée et de bois embaume la pièce.

Je n'ai aucune idée du nombre de jours que j'ai passé dans cette cellule, mais en sortir fait le plus grand bien.

Une grande table en bois prend quasiment la longueur de la pièce et plusieurs personnes sont assises sur des chaises à dossier haut, en train de discuter. En m'approchant, je découvre une carte sur laquelle sont placés plusieurs pions, ils doivent être en train de parler stratégie. L'avantage qu'ils ont, c'est que nous sommes vraiment mal éduqués en Forska sur la géographie des autres royaumes et que je ne pourrais pas me repérer ni même deviner la direction des pions.

Ivos 1 - Feuille d'if parmi les sapinsWhere stories live. Discover now