Chapitre 2 - Elisaria

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Les feux n'ont pas encore été allumés. J'ai encore le temps d'exécuter mon dernier rituel.

Avant chaque combat, avant chaque coup que je porte à autrui, je ferme les yeux et me force à prendre trois inspirations. Je me force à me détacher d'une partie de moi.

Un. Pour une prière silencieuse aux dieux.

Deux. Je demande pardon aux âmes que je vais prendre. Sachant que cela me coûte une partie de la mienne aussi.

Trois. Je renonce à toute humanité. Plus aucune émotion ne me traverse.

Je ne deviens plus que détermination, et je vais tuer le plus de knens que je pourrai.

Mes inquiétudes pour Mia, pour mon âme ou pour ma vie me quittent et je me tourne vers Jasmina qui m'observe avec un sourire carnassier. C'est le moment qu'elle attend. Celui qu'elle préfère. Celui où je passe de l'état de Protectrice, à celui d'une tueuse sans âme.

J'ai découvert cette capacité lors de mes premiers combats, lorsque je n'étais qu'une enfant. Jasmina l'a découvert au camp d'entraînement, mais même après toutes ces années, elle reste toujours aussi fascinée. Elle envie ma capacité à me couper de tout et se fiche de savoir qu'il m'est de plus en plus de difficile de me retrouver après chaque changement.

Ce qu'elle veut, c'est voir la Elisaria qui fera regretter aux knens d'exister.

— Concentre-toi. On n'a pas la nuit devant nous et je ne veux pas de sang sur ma veste alors tu ne me perds pas de flèches inutiles. Tu tires, tu tues. Si tu me perds des flèches, tu descends les récupérer sur les morts ! je lui lance d'une voix cinglante.

Son sourire ne fait qu'augmenter.

— Va te faire, je te parie que j'en tue plus que toi. Pense à faire les comptes.

— Pourquoi, tu ne sais plus compter jusqu'à trois ?

Elle me tire la langue et ricane.

Les feux s'allument et nous encochons. Une cinquantaine de knens sont présents. Presque autant de femmes que d'hommes, une autre différence avec l'armée de Forska. Aucun d'eux ne porte d'armes, ils n'en ont pas besoin.

Nous ne sommes que trente-cinq dans cette maison, répartis entre les combles, où nous sommes, et la colline. Les protecteurs restent à l'intérieur pour soigner les futurs blessés. Les soldats sont à l'extérieur, en face à face directe avec les knens.

Le silence devient pesant et n'est percé que lorsqu'un knen d'une vingtaine d'années s'avance au sein de ses guerriers. Grand aux épaules larges, ses yeux transpercent les rangs de nos soldats à la recherche de la moindre faille.

Les mains dans les poches, l'air insolent, il s'adresse à nos soldats d'une voix claire et grave.

— La nuit est tombée sur le royaume de Forska. Vous détenez quelque chose qui nous appartient. Nous venons le récupérer. Inclinez-vous, ou subissez notre colère.

Ces mégalos pensent vraiment que nous jetons les armes aussi facilement ?

Nous ne nous rendrons pas. Cette chose qu'ils prétendent vouloir retrouver est notre terre, et il est hors de questions que nous leur laissions.

Voyant qu'aucun de nos hommes ne se rend, le knen hurle dans une langue inconnue.

— Aruma Vasiki !

Ce que j'interprète comme un appel aux armes puisque tous ses soldats se jettent sur nos compagnons à peine l'ordre terminé.

Je décoche sur les knens qui commencent à reculer. Nous devons les cibler en priorité puisqu'ils sont souvent ceux qui préparent des attaques élémentaires. Le brouillard se lève vers le bas de la colline. Le knen qui le contrôle tombe, une de mes flèches lui transperçant l'œil.

Le brouillard disparaît.

Nos soldats se battent en hurlant, je ne comprends toujours pas en quoi ça les aide, crier ne les rend pas plus forts. C'est à mes yeux, une dépense d'énergie.

Une nouvelle flèche envoie une femme knen à terre. Je préfère de loin le silence des protecteurs.

J'enchaîne mes tirs avec une précision remarquable. Chaque flèche touche sa cible. Tantôt le cœur de mes adversaires, tantôt leurs têtes. Jasmina rate quelques tirs, mais ne fatigue pas pour autant.

J'aperçois mon père – malheureusement toujours en vie – en train de se battre contre deux knens. Un mouvement sur ma gauche m'indique que les protecteurs restés à l'intérieur viennent chercher les blessés pour les ramener dans la vieille bâtisse.

Il ne me reste plus que cinq flèches dans mon carquois. Jasmina marmonne un juron. Elle doit être à sec elle aussi. Je l'envoie chercher de nouvelles flèches rapidement et lorsqu'elle revient, il ne reste plus qu'une vingtaine de knens.

Seule une dizaine des nôtres sont encore aptes à se battre. Dont mon père.

Je fantasme à nouveau de lui tirer une flèche dans le crâne et le faire passer pour un accident, mais ce serait une mort trop douce pour tout ce qu'il m'a fait. La mort que lui réservent les knens est bien plus intéressante.

Je détourne le regard et me reconcentre sur ma tâche.

Le commandant knen qui a parlé plus tôt n'est plus sur le champ de bataille.

Un léger grincement me parvient du fond de la pièce.

— Merde.

Le juron m'échappe.

Une ombre imposante se détache des ténèbres. Ces salauds de knens utilisent le voile d'obscurité pour se déplacer. Littéralement.

Il n'aurait pas dû nous repérer aussi facilement.

Il est difficile de distinguer ses traits dans l'épaisse noirceur.

— Alors vous vous cachiez ici.

Sa voix est doucereuse. Celle d'un chat devant une souris.

J'échange un regard avec Jasmina. D'un seul mouvement, nous nous jetons sur lui, l'une sur son torse, l'autre sur ses jambes.

Il se désintègre au moment où nous aurions dû l'atteindre et réapparaît dans un coin de la pièce.

Ivos 1 - Feuille d'if parmi les sapinsWhere stories live. Discover now