Chapitre 11 - Aster

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Je n'aime pas mourir, je n'aimais pas ça il y a soixante ans et ce n'est toujours pas le cas aujourd'hui. Ça fait mal, c'est long et en plus je suis envoyé dans un endroit que j'imagine être le cœur de mon esprit ou le jardin de mes pensées et suis obligé de réfléchir aux actions qui ont conduit à ma mort.

Comme si je ne savais pas que j'avais merdé quelque part.

Après avoir analysé le mouvement de mon ennemi que je n'avais pas vu approcher, étant forcé de revivre la scène, encore et encore, mon cerveau me laisse enfin reprendre conscience.

Ma poitrine est douloureuse, je ne peux toujours pas bouger le moindre muscle, je dois attendre que mon cœur se referme et reprenne son mouvement de pompe. Après quelques minutes, mes poumons reprennent leur fonction, aspirant de grandes quantités d'air.

Le passage de l'air dans ma trachée est douloureux et la dilatation des poumons aussi, mais je suis en vie. J'espère que Naos a rattrapé Elisaria, car, si j'avais de sérieux doutes jusque-là, il est évident qu'elle n'est pas humaine et doit nous suivre jusqu'à la caserne.

Là-bas nous aurons sûrement quelques indications quant à l'espèce que renferme son corps humain et elle aura probablement des informations à nous fournir sur les forces forskiennes et Amira.

Je reprends contrôle de ma jambe gauche en premier, puis de l'autre quelques minutes plus tard. C'est toujours un processus long et peu pratique notamment en territoire ennemi. Heureusement pour moi, Naos a retiré le poignard de mon dos et mon cœur.

Même si je ne peux pas mourir définitivement d'un coup porté dans le cœur, si l'arme n'est pas retirée, il m'est impossible de me réveiller. Si Elisaria avait été mieux informée et avait visé mon foie ou mon crâne, je serai resté mort et n'aurais eu aucune chance de me réveiller. Je bénis les Dieux que les forskiens soient si mal éduqués sur le fonctionnement du corps de leurs ennemis.

Je regagne des sensations dans mes mains, de légers picotements sur le bout de mes doigts et essai d'ouvrir les yeux. Naos se tient au-dessus de moi et se baisse pour m'aider à me redresser. Ma tête tourne légèrement, mais après quelques secondes je réussis à reprendre le contrôle de mon corps.

— Je te l'avais dit.

Je ne prends pas la peine de répondre, je m'attendais à ce qu'il me le dise depuis le moment où la lame a percé ma peau. J'avale ma salive avant d'articuler difficilement.

— Elisaria ?

— Je l'ai ramenée. Elle dort, mais il va falloir que tu m'aides à l'attacher, si tu vois ce que je veux dire.

Je remarque alors ses canines et la couleur de ses yeux.

Effectivement il va avoir besoin de moi, le soleil ne tardera pas. Je me relève et cherche la jeune femme. Je la trouve allongée sur le dos, ses cheveux sont étendus autour d'elle et pour la première fois depuis que nous la suivons, elle semble apaisée. Les deux marques rouges sous son oreille ressemblent à du sang séché.

— Ses plaies se sont déjà refermées ?

— Quelques minutes après la morsure, oui. Elle n'est pas knen. Elle n'est rien de ceux que j'ai pu goûter. En plus de deux cents ans, je n'ai jamais approché un sang comme le sien.

— D'accord.

L'information est trop étrange pour que je me focalise dessus dans l'immédiat.

— Récupère les cordes. Tu l'as fouillée ?

— Ce n'est pas moi qui roupillais, mais oui, et sa tenue est étonnante, me répond-il en me montrant les armes débordant du sac.

Nous attachons ses poignets dans son dos et ses chevilles entre-elles. Pour une mesure de sécurité supplémentaire, nous joignons ses poignets et ses chevilles avec une nouvelle corde. Si elle essaie de se débattre, elle sera arrêtée dans son élan et tombera en avant.

Nous terminons au moment où le ciel change de couleur et je fais signe à Naos de changer de forme. Il s'écarte de quelques pas et reprend sa forme humaine.

— Je vais la porter aujourd'hui. On restera éloigné des routes et des villes, nous ne devrions croiser personne. Et si ça arrive, nous leur dirons que cette femme est recherchée et que nous allons la remettre à notre employeur.

Naos acquiesce et avance vers le soleil. Je mets Elisaria sur une épaule et le suis. Je peux prendre une forme animale, mais pas la maintenir aussi longtemps que Naos. Elisaria ne tardera pas à reprendre conscience et je préfère ne pas attendre et reprendre la route avant qu'elle ne nous ralentisse en se débattant.

Nous avançons vers le sud-est et, une fois sortis de la forêt d'Octali, nous serons à découvert en traversant Gretisall. Cette région est plate et peu d'arbres y poussent. Elle est à la hauteur de son patronyme qui signifie « landes abandonnées » en ancien forskien.

Si la nuit prochaine nous arrivons à nous reposer,nous devrions pouvoir nous transformer le lendemain et reprendre la route plusrapidement. Cela nous permettra d'atteindre le sud du Lac des Ombres le joursuivant en fin de matinée.

Ivos 1 - Feuille d'if parmi les sapinsWhere stories live. Discover now