Lie tes ratures

By UmiPage

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"Montre-moi toute la grandeur de ton amour." Victor, à dix-sept ans, est follement amoureux de son camarade d... More

Avant-propos
Février
Février - 1.
Février - 2.
Février - 3.
Février - 4.
Février - 5.
Février - 6.
Mars
Mars - 1.
Mars - 2.
Mars - 3.
Mars - 4.
Mars - 5.
Mars - 6.
Mars - 7.
Mars - 8.
Mars - 9.
Mars - 10.
Mars - 11.
Mars - 12.
Mars - 13.
Mars - 14.
Mars - 15.
Mars - 16.
Mars - 17.
Mars - 18.
Mars - 19.
Mars - 20.
Mars - 21.
Mars - 22.
Mars - 23.
Avril
Avril - 1.
Avril - 2.
Avril - 3.
Avril - 4.
Avril - 5.
Avril - 6.
Avril - 7 (1).
Avril - 7 (2).
Avril - 8.
Avril - 9 (1).
Avril - 9 (2).
Avril - 9 (3).
Avril - 10.
Avril - 11 (1).
Avril - 11 (2).
Avril - 12.
Avril - 13.
Mai
Mai - 1.
Mai - 2.
Mai - 3.
Mai - 4.
Mai - 5.
Mai - 7 (1).
Mai - 7 (2).
Mai - 8 (1).
Mai - 8 (2).
Mai - 9.
Mai - 10.
Mai - 11.
Mai - 12 (1).
Mai - 12 (2).
Mai - 13.
Juin
Juin - 1.
Juin - 2.
Juin - 3.
Juin - 4.
Juin - 5.
Juin - 6.
Juin - 7.
Juin - 8.
Juin - 9.
Juin - 10 (1).
Juin - 10 (2).
Juin - 10 (3).
Juin - 11.
Juin - 12.
Juin - 13 (1).
Juin - 13 (2).
Juillet
Juillet - 1.
Juillet - 2.
Juillet - 3.
Juillet - 4.
Juillet - 5.
Note de fin
Dix secrets de tournage

Mai - 6.

234 17 10
By UmiPage

Ce matin, tous les nuages orageux qui dominaient l'esprit de l'adolescent s'étaient dissipés. Les lueurs immaculées du bonheur avaient chassé la tempête qui grondait à l'horizon. Depuis quelques jours, souvent Victor se surprenait à penser au petit protégé de Yann. La façon dont Arthur était parti lui avait presque fait mal au coeur, sans trop savoir pourquoi.

Quand ce dernier revint en cours le surlendemain, l'air épuisé, hagard, regardant constamment derrière lui et jetant un regard régulier à son portable, portant une veste durant presque toute la journée, et ce malgré la douce chaleur qui régnait, ça lui avait paru très étrange. Arthur avait beau être déjà plutôt étrange, comme il l'avait constaté, son attitude lui parut encore plus étrange.

Mais bien vite, il chassa ces petits soucis. Il se promit malgré tout de garder un oeil sur le petit nouveau quand il en aurait l'occasion. Il savait que Yann serait content. Le blond avait l'air de vraiment se soucier de l'autre élève. Probablement se sentait-il responsable de lui ? Victor n'était pas dupe, il voyait bien l'air un peu jaloux de Yann chaque fois que Pauline parlait de Martin. Parfois, même avec lui, son caractère protecteur ressortait. Et surtout, il ne l'aurait avoué pour rien au monde à cause de sa propre jalousie, mais il le faisait parce qu'Arthur lui plaisait. Non pas physiquement, ni de la même manière que Yann. Mais l'autre adolescent lui plaisait et il comprenait ce que Yann ressentait à son égard.

Pour l'heure, cependant, pensa-t-il en retournant à sa lecture, c'était le cadet de ses soucis. Il scruta avec attention la date d'aujourd'hui, peut-être pour la cinquième fois depuis cinq minutes. Un sourire béat s'afficha sur son visage.

Dire qu'il avait attendu ce jour plus que tous les autres était sûrement un euphémisme. Chaque seconde qui s'écoulait le faisait rentrer un peu plus dans un état d'excitation incroyable.

Aujourd'hui, ce n'était pas un jour ordinaire. C'était l'anniversaire de Yann.

Une journée si particulière... Victor esquissa un petit sourire discret devant le miroir de sa chambre. Il réajusta une mèche rebelle qui tombait légèrement sur son front. Il devait être parfait. Choisir les bons habits n'avait pas été une tâche aisée. Il voulait se faire le plus beau possible. Il se retint de pouffer de rire en imaginant qu'il incarnait parfaitement l'héroïne clichée d'un roman pour adolescents, passant un temps considérable à choisir ses vêtements.

Finalement, il parvint enfin à se décider, après plusieurs minutes d'intense réflexion. Son choix se porta sur des vêtements suffisamment classes pour marquer la différence avec les autres jours sans que ce ne soit trop... snob.

— Tu es sûre que ça va lui plaire ?

— Tu es parfait, répéta Pauline.

— Tout est en place ?

— Oui. Tout est en place, il a prévu une place spécialement pour vous.

— Tu gères tellement ! s'exclama l'adolescent.

— Ce n'est pas moi qu'il faut remercier, c'est ma mère.

Un sourire étira les lèvres de Victor. De l'autre côté du portable, il put entendre le petit ricanement amusé de son amie. Il ne savait pas trop comment lui dire, mais sa mère lui permettrait certainement d'offrir la meilleure journée d'anniversaire possible au blond. Et ça, rien ne pouvait lui faire plus plaisir.

— Elle est incroyable, ta mère.

— A qui le dis-tu ? Je suis la première au courant !

— Embrasse-la de ma part.

— Tu pourras le faire toi-même, on arrive.

— Sérieux ? Mais je ne veux pas la déranger...

— Elle m'a dit qu'elle n'avait rien à faire de la journée, m'a-t-elle dit... Après, confia Pauline en baissant la voix, si tu veux tout savoir... Je crois qu'elle est surtout curieuse.

— Ah bon ?

— Vous avez un vrai fan club, tous les deux, vous savez ? Maman est peut-être la numéro 2 après moi. Ah, au fait ! Tonton Paul m'a dit de te passer le bonjour... et un message.

Victor haussa un sourcil intrigué.

— Si tu ne l'embrasses pas langoureusement là-bas, je te botterai moi-même le cul, lança Pauline d'un ton si sombre qu'il déglutit. Voilà ce qu'il a dit mon petit loup ! Et Papa est de son avis, si tu veux tout savoir. Allez, je te laisse, Maman est prête.

La communication se coupa. L'adolescent posa son portable sur son bureau, abasourdi par l'audace de la famille de sa meilleure amie. Il repensa à ce qu'elle venait de lui dire. La consigne de l'oncle Paul était claire : s'il ne roulait pas la meilleure pelle à son petit ami à ce moment-là, Paul lui botterait les fesses ! Et le vieil homme était du genre à chausser de grosses bottes dont la pointure égalait celle des plus grands joueurs de basket ! Ce n'étaient plus des pieds, mais des marteaux surpuissants.

Pourtant, la confiance rayonnait sur le visage du jeune lycéen. S'il y avait bien quelque chose sur lequel il pouvait lui faire confiance, c'était bien sur la qualité des baisers qu'il offrirait à Yann. Il le défiait ? Il aurait son défi ! Et il mettrait la barre si haute que cette dernière entrerait en orbite.

Une foule de scènes se mirent à éclore dans sa tête. Pendant qu'il se préparait, Victor imaginait en même temps ce qu'il dirait. Lui souhaiterait-il juste bon anniversaire après l'avoir embrassé ? Trop ringard. Il écarta aussi la possibilité de le faire avant... Trop classique. Devait-il lui faire une déclaration lorsqu'il s'y attendrait le moins ? Ou au contraire préparer tout en amont pour que ses mots aient le plus d'impact possible ? Devait-il se montrer pressant ou attendre le point culminant ? Il renia le scénario où il le lui dirait après. Ce qu'ils comptaient vivre allait être fort, il en était certain. Ses mots glisseraient probablement sans toucher son petit ami comme ils le devraient.

En croquant dans un biscuit au chocolat, il secoua la tête. C'était bête. Toutes ces pensées parasitaient son esprit et l'empêcheraient sûrement de profiter. Il abandonna donc ces considérations inutiles, finit son gâteau et attrapa un sac à dos. Un simple coup d'oeil à l'horloge lui tira une grimace. Il se fustigea intérieurement et courut jusqu'à la salle de bains pour se laver une dernière fois les dents.

Alors qu'il rangeait ses affaires, son portable vibra. Il décrocha et acquiesça avant de remettre l'appareil dans sa poche. C'était Pauline, qui avec élégance, lui sommait de ramener son arrière-train dans la voiture s'il ne voulait pas qu'elle vienne le chercher. En moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, Victor s'empressa de rejoindre le véhicule garé devant chez lui. Il connaissait trop bien Pauline pour ignorer qu'elle ne plaisantait pas.

Le trajet jusqu'à chez Yann se passa dans une atmosphère bon enfant. La mère de l'adolescente ne cessa de poser des questions au petit lycéen sur tout et n'importe quoi. Victor lui répondait, un peu gêné par l'enthousiasme extravagant auquel il avait droit et en profita pour la remercier chaleureusement. Elle lui assura que ce n'était pas grand chose. Ce gamin était comme son propre gosse. Elle se souvenait encore de ces longues soirées agréables, lorsqu'il passait un week-end chez eux. Le jeune garçon, haut comme trois pommes, s'entendait parfaitement avec la rousse. Les deux enfants formaient un tandem étonnant. Et encore aujourd'hui, les deux adolescents pouvaient se montrer parfaitement surprenants...

Alors elle avait été très heureuse de voir que Victor avait réussi à se mettre en couple avec Yann. Au début, le littéraire lui avait paru envoûtant, mais elle se méfiait de ce qu'il pouvait faire avec Victor. Son instinct lui faisait penser que Yann aurait pu le manipuler. Mais à voir comment les yeux de son fils presque adoptif brillaient à l'évocation de ce jeune homme tout à fait respectable, ses craintes se dissipèrent peu à peu. Puis elle apprit à le connaître. Yann avait ce quelque chose d'hypnotique, d'indescriptible. Chaque fois qu'il souriait, elle ne pouvait s'empêcher de sourire également. Comme tout le monde.

Petit à petit, elle avait apprécié le jeune lycéen. La mère de Pauline gardait un oeil sur les deux garçons, parce qu'elle savait le monde cruel. Puis ce sentiment amical évolua peu à peu en une sorte d'amour maternel et de fascination pour le couple que les deux garçons formaient. Un couple admirable et tellement mignon. Un couple qui lui rappelait les balbutiements de son idylle adolescente...

La vue de la maison du jeune écrivain l'extirpa de sa torpeur rêveuse. Elle regarda dans le rétroviseur et aperçut Victor qui sortait de la voiture pour ramener le héros du jour.

En quittant le véhicule, Victor s'étira de tout son long, comme un félin le ferait après une bonne sieste. Il se dirigea d'un pas guilleret vers la porte. Un léger sourire plein de promesses flottait sur son visage. Heureux ainsi, il aurait trompé n'importe qui. Néanmoins, au fond de lui, l'adolescent sentait bouillir une appréhension certaine. L'idée même que tout ne soit pas parfait le terrifiait.

Pour se calmer, il pressa longuement sur le petit bouton de la sonnette. Un silence pesant suivit, contrastant étonnamment avec l'immense vacarme qui tourbillonnait dans son esprit. Plusieurs secondes passèrent, puis le bruit du loquet résonna et on finit par lui ouvrir.

Yann apparut, plus ravissant que jamais. Il portait sensiblement le même genre de tenue que Victor. Sûrement avait-il longuement réfléchi pour décider ce qu'il devait porter. Victor lui avait envoyé un message pour lui demander de se préparer pour cette journée. Il l'avait visiblement pris au pied de la lettre.

— Joyeux anniversaire, mon amour !

Victor se jeta dans ses bras et entoura les siens autour de son cou. Il huma avec bonheur son parfum ambré, sentit ses doigts caresser sa nuque puis se balader contre son dos. Il le serra plus fort encore qu'il ne l'avait jamais fait, comme s'il allait s'envoler d'une minute à l'autre. Il sentit à son tour dans son dos les mains du blond se poser avec une certaine douceur.

Au bout de quelques secondes, il s'écarta pour mieux revenir tanguer sur les vagues de l'amour, s'emparant avec une tendresse et une fermeté infinies des lèvres roses de son amant. Sa langue vint taquiner celle du blond, qui lui répondit avec nonchalance.

Le baiser ne dura pas longtemps ; ils devaient conserver leur souffle. En se reculant, Victor tiqua devant l'air passif de son ami.

— Salut...

Le mot était froid, sans vraie passion. Victor ne souleva pas son attitude, mais il sentit son coeur se refermer comme une huître.

— Merci, ajouta Yann.

— Tu vas bien ? s'enquit Victor. T'es chaud ?

— Ouais, j'espère que ce sera cool.

— Bien sûr que ça le sera !

Il le pensait vraiment. Il voulait que tout soit parfait. Mais l'air fatigué de Yann, ses yeux rougis derrière ses lunettes et son teint blafard l'inquiétaient. Pourtant, l'adolescent affichait son petit sourire rassurant, flottant, rêveur.

Victor n'était pas dupe. Le masque qu'il portait dissimulait derrière les fissures de son inquiétude. Les failles de son être.

— T'es magnifique, lui lança Yann. Une vraie muse.

— Euh... Ouais... Je... Merci. Toi aussi.

— J'ai fait de mon mieux.

Et comme pour appuyer ses paroles, il haussa les épaules, l'air de dire que ce n'était pas grand chose.

— Tout va bien ? T'as l'air fatigué...

— C'est rien, ne t'inquiète pas. On y va ?

Il n'attendit même pas la réponse de son petit ami et commença à avancer en direction de la voiture. Victor soupira discrètement et lui emboîta le pas. Lorsque les deux garçons arrivèrent au niveau du trottoir, le brun ne put vraiment cacher sa joie en constatant l'accueil que la mère et la fille réservèrent à Yann :

— Joyeux anniversaire ! chantonnèrent-elles en chœur, tandis qu'il les rejoignait, un petit amusé serein sur le visage.

Un sourire amusé... S'il ne connaissait pas si bien le blond, Victor aurait presque pu tomber dans le panneau. Mais il savait décrypter la plupart de ses expressions et il savait bel et bien que derrière ce masque se cachait une gêne qu'il ne voulait pas montrer. Plus qu'une gêne, Victor pouvait lire sur son visage une sorte d'appréhension. Heureusement, cette dernière semblait tout de même danser aux côtés d'une attente certaine.

— Merci, répondit-il en prenant tour à tour Pauline puis sa mère dans ses bras. C'est vraiment gentil d'être venues et de nous accompagner.

Ces quelques mots s'adressaient surtout à la mère de Pauline, laquelle les balaya d'un revers de la main très élégant, accompagné d'un petit rire :

— Mais non, ce n'est rien !

Sur ces charmantes paroles, tout le petit groupe monta dans la voiture. Yann salua l'intérieur du véhicule, confortable et chic. Au moment où l'engin démarra, une question traversa l'esprit de Victor. Installé à côté de son blondinet préféré, il lui pressa la main d'un geste tendre mais assez fort pour attirer son attention :

— Tu as pris tes médicaments ? lui susurra-t-il à l'oreille. On va manger dehors, aujourd'hui.

— Oui, le rassura Yann. Je les ai pris, ils sont dans mon sac.

— C'est bon, vous êtes prêts, les enfants ? questionna la mère de Pauline.

— Oui, madame ! répondit le blond avec un grand sourire.

— Tu peux m'appeler Valérie, affirma-t-elle. Bon, si vous êtes prêts, alors allons-y !

Victor lança un petit regard en direction de Yann. Ce dernier, la tête posée contre la vitre, semblait absorbé par la contemplation du paysage. Il le trouvait bien silencieux, et malgré ses tentatives pour le faire parler longuement, l'adolecent ne recevait que des petites phrases un peu vagues.

— Tu penses à quoi ? lui demanda-t-il après plusieurs minutes de silence.

Ils avaient fait assez de route ; d'abord en plaisantant et en discutant, puis dans un léger silence, troublé par la radio.

— A notre roman, répondit-il laconiquement. J'espère qu'il sera accepté...

— Je ne vois pas pourquoi il ne le serait pas.

— Il y a plus de chances qu'il ne le soit pas que l'inverse.

— On l'a travaillé pendant des mois. On va y arriver.

— Nous serons bientôt fixés.

— Vous l'avez envoyé quand ? demanda Valérie.

— Il y a presque trois semaines.

— Ah... En moyenne, une bonne maison d'édition ne répond pas avant au moins deux mois, et ça c'est chez les petites maisons d'édition qui n'ont pas beaucoup de manuscrits. Parfois, ils peuvent envoyer une réponse des mois plus tard.

La nouvelle fit grincer des dents les deux garçons. Ils savaient que ça prendrait du temps, mais une part d'eux restait désespérément positive. Victor déglutit. Entre le temps de réponse, le temps d'éditer le livre et le temps de le recevoir, en supposant qu'il serait accepté du premier coup, il faudrait au bas mot six mois, certainement un an, voire plus.

La cruelle vérité frappa Victor de plein fouet.

Yann ne pourra jamais se voir comme auteur.

La probabilité qu'il puisse seulement toucher leur livre était faible et diminuait de jour en jour. Il ne pourra probablement jamais le montrer, ni à sa mère, ni au reste de sa famille. Il ne fera jamais de dédicace. Il ne vivra jamais comme l'artiste reconnu qu'il devrait être.

Cette révélation lui troua le coeur. Il sentit ses yeux se mouiller, son nez lui piquer, sa gorge se nouer. Aucun mot ne sortit de sa bouche. Pauline, à sa droite, posa une main sur son genou en guise de soutien.

— Et je me demande ce que tu me réserves, comme surprise, reprit Yann. J'ai hâte de savoir. C'est le plus important, pour moi, aujourd'hui.

Victor se tourna et cligna plusieurs fois pour chasser les larmes qui menaçaient de parader sur ses joues. Ce ne serait pas vraiment du meilleur effet. Pleurer le jour de l'anniversaire de son petit ami ? Pathétique. Il ne voudrait gâcher cette journée pour rien au monde.

La pression de la main de Yann sur sa cuisse calma le tambour infernal dans sa poitrine. Victor se mordit la lèvre inférieure. Un simple toucher suffisait à l'apaiser. Plus encore, l'œillade tranquille que lui renvoyait l'écrivain lui fit comprendre quelque chose. Quelque chose qu'il avait presque oublié.

Le présent comptait plus que n'importe quoi.

Plongé dans la contemplation morbide de son futur sans Yann, il s'était isolé de ce temps si précieux. Et la douce main de celui qu'il aimait tant le retenait ici. Il tourna tour à tour la tête vers Yann, puis Pauline, dont les vaillantes pupilles réveillèrent la flamboyante certitude qui dormait au fond de lui.

Il se posa contre son appuie-tête, un soupir quittant ses lèvres. Il était bien entouré. Il le savait : s'il s'égarait, ils seraient là pour le soutenir. Non, définitivement... Il n'avait rien à craindre aujourd'hui.

Trente minutes s'écoulèrent et les discussions se succédèrent. Le petit groupe de voyageurs se plaisait à réagir aux émissions de radio et au lot de sottises vomies par les invités, tour à tour racistes, homophobes ou sexistes, si ce n'était pas les trois en même temps, et que le présentateur, fervent porteur d'humanité, recadrait avec plaisir.

Tandis que Yann dissertait sur le manque d'intelligence des intervenants, la voiture emprunta un petit chemin escarpé. La ville était loin derrière à présent. Le blond n'avait pas cherché à savoir où Victor voulait l'emmener. De toute façon, il savait très bien que Victor resterait muet comme une carpe. Son petit sourire en coin était le seul indice quant à ce qui l'attendait. Et quel indice ! Il se serait damné pour ce sourire d'ange. Mais il n'avait pas la force de l'avouer ou de taquiner son amoureux.

Le chemin se dessina en une allée de plus en plus majestueuse. Il regarda Pauline puis Victor et enfin Valérie. Il réfuta automatiquement la première pensée saugrenue qui lui venait en tête. Ce n'était pas possible. Victor serait complètement dingue. Pourtant... Plus la voiture passait entre les arbres qui dressaient une haie d'honneur, plus l'idée prenait de place dans sa tête.

— Nous sommes bientôt arrivés, les enfants !

La voix enjouée de Valérie le fit presque sursauter, arrachant une petite moquerie de la part de son compagnon. Il n'eut même pas la force de lui renvoyer un regard réprobateur, trop occupé à la contemplation de l'immense bâtisse qui se dressait sous leurs yeux.

Dingue.

Ce fut le seul mot qui lui vint à l'esprit. Il devait fabuler. Voilà, c'était ça : le sommeil l'avait capturé et son imagination lui jouait un vilain tour. Comment cela aurait-il pu être possible autrement ? Juste inimaginable.

— C'est... C'est bien ce que je crois...

Personne ne répondit à sa question qui au final n'en était pas vraiment une. Il n'en revenait pas. Il dévisagea Victor, lequel se contenta d'un petit sourire angélique. Malgré tout, derrière cette façade, le brun ne semblait pas tranquille. Il pouvait presque sentir les vents tumultueux qui l'agitaient.

Lorsque l'immense demeure se dressa devant eux et que la voiture ralentit, le doute n'était plus permis. Yann n'en revenait pas. Il regarda une nouvelle fois Victor. Ce type cachait bien son jeu. Clairement. Qui aurait pu croire que, derrière ce mètre soixante-treize de gentillesse et de calme se dissimulait un être capable de déplacer des montagnes et de dépenser tellement d'énergie pour faire plaisir à celui qu'il aimait ? Honnêtement, même lui n'y croyait pas.

Et cependant, ce petit être si radieux l'avait fait et répondit à ses remarques silencieuses par un petit clin d'oeil. Bien qu'il aurait souhaité lui clamer toute la poésie du monde pour lui montrer à quel point il l'aimait à ce moment précis, Yann fut incapable de parler.

L'arrêt du moteur l'extirpa de ses pensées. Il contempla un long moment le chemin qui les attendait. Le petit groupe s'était arrêté sur une zone herbeuse, près d'une rangée d'arbres, à une quinzaine de mètres d'un portail. Victor, à côté de lui, y jeta un coup d'oeil. C'était un portail majestueux, noir de jais, mais bien différent de celui du cimetière. Il paraissait bien plus accueillant. 

Valérie annonça qu'ils venaient d'arriver, sous le regard toujours incrédule du jeune artiste. Même dans ses rêves les plus fous, jamais il n'aurait cru ça possible. Quand ils sortirent de la voiture et que son pied toucha le sol, la réalité faillit le faire chuter.

L'air vivifiant le réveilla pour de bon et il put enfin verbaliser ce qu'il voyait.

— Ouais, c'est bien ce que tu crois, déclara Victor qui se plaça à ses côtés.

— Un... Un château ! T'es... Tu es dingue.

— Et encore, ça, ce n'est que le décor.

— Qu'est-ce que tu me prépares ?

— Tu verras bien. Je ne vais pas te spoiler la suite, ce serait ingrat.

— T'es dingue.

— Je sais.

Sous le regard attendri des spectatrices, Victor s'empara des lèvres de son amant avec douceur, y laissant la trace fantomatique de leur bonheur.

— Bon anniversaire, chéri.

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