Pendant ce temps dans le village de Cerfblanc, la vie de David et Ayel continuait tranquillement.
L'apprentissage de David avançait bien.
Il s'améliorait de jour en jour, même si ses progrès en lecture restaient légers.
Mais plus le temps passait et plus il tenait fermement sa plume. Il pouvait passer des heures à recopier les symboles que lui apprenait Ayel ; réussir à produire quelque chose le rendait très fier.
Depuis quelques temps, ils avaient également commencé à en apprendre plus sur le métier de Ayel. Ce dernier lui enseignait comment manier les outils et leurs usages.
C'était passionnant.
David avait soif d'apprendre.
David passait beaucoup de temps à s'occuper des chats de Ayel.
Il s'était particulièrement lié d'affection à Borgne, le plus jeune des deux.
Il faut dire qu'il était très collant, toujours à vouloir des câlins. Il venait ronronner et réclamer de l'attention dès que David travaillait.
Et ce dernier n'avait aucun moyen de résister à l'adorable bestiole.
Malgré tout ça, David continuait de se torturer.
Ses doutes n'avaient pas disparu, il apprenait simplement à faire avec.
Il intériorisait. Il aimait Ayel, plus que tout. Mais il continuait de penser qu'il n'était pas assez bien pour lui, qu'il ne méritait pas ce bonheur et qu'un jour tout ça lui serait retiré.
Alors il souriait et profitait un maximum de ces moments de bonheur.
Après tout, rien ne disait qu'ils n'étaient pas éphémères.
David et Ayel dormaient souvent ensemble, lovés l'un contre l'autre. Les nuits étaient froides dans le Nord.
Mais rien de sexuel ne s'était passé entre eux... et David appréhendait le moment où Ayel voudrait aller plus loin.
Il essayait de se convaincre qu'ils devaient le faire.
Que c'était un passage obligatoire.
Qu'au moment venu il devrait prendre sur lui et laisser Ayel faire ce qu'il voulait.
Même s'il avait peur.
Sa seule expérience du sexe, c'était ce qu'il avait vécu. Ce que la mère de Öta lui avait infligé.
Son viol.
Avant qu'elle n'abuse de lui, il ne s'était jamais intéressé à l'acte.
Il savait depuis très jeune comment ça fonctionnait, mais n'avait jamais ressenti l'envie de le faire.
Et après toutes ces violences...
Il assimilait l'acte à de la douleur, de la honte, à quelque chose de sale... Il était terrifié à l'idée de revivre ça.
Mais étonnement, Ayel ne semblait pas décidé à franchir la limite.
Certains soirs, alors qu'il l'embrassaient tendrement, David avait l'impression que Ayel voulait plus.
Mais à chaque fois, il coupait court à l'échange.
Pourquoi ?
David ne savait plus quoi penser, ni ressentir. Il était rassuré lorsqu'il voyait qu'ils n'iraient pas plus loin. Rassuré de savoir qu'il ne souffrirait pas ce soir là.
Mais il était aussi troublé.
Pourquoi ? Pourquoi Ayel n'insistait pas ?
Mille questions se mélangeaient au soulagement.
Des questions qui ne faisaient qu'accroître le mal-être de David.
En réalité, Ayel ne savait pas comment agir.
David était une personne difficile à cerner. Il était très discret sur son passé et sur ses sentiments. Il n'aimait pas parler de lui.
Mais quand ils s'embrassaient, il était passionné, câlin et amoureux.
Il n'hésitait plus à prendre les devants, à quémander un baiser ou à enlacer Ayel. Une boule d'amour.
Mais quand Ayel allait un peu trop loin, toute sa passion s'envolait. David devenait comme une poupée de chiffon.
Son regard perdait son éclat, devenant résigné... teinté de peur.
Il se laissait alors juste faire. Comme s'il s'agissait de monter à l'échafaud et d'attendre que tout soit fini.
Ayel l'avait remarqué, il n'était pas aveugle. Mais lui aussi avait peur.
Peur qu'en posant trop de questions, qu'en obligeant David à se confier... il finisse par le blesser plutôt que de l'aider.
Ayel décida de demander conseil.
Il hésitait à parler à David, car il avait peur qu'en le confrontant et qu'en posant trop de questions ce dernier se braque et soit blessé.
Ayel avait besoin qu'on lui dise, qu'on le rassure et qu'on le pousse à faire le premier pas.
Il savait au fond de lui qu'il devrait parler à David d'une manière ou d'une autre. Mais il avait besoin de l'entendre.
Alors il donna rendez-vous à Hem, le Shaman du village.
Hem était toujours là pour soutenir ceux qui avaient besoin de se confier, sa sagesse et ses connaissances n'étaient plus à prouver.
Et surtout, il savait garder le silence. Après tout, la relation entre David et Ayel était encore secrète. Seul Luc, le meilleur ami de Ayel, était au courant.
Hem ne répétait jamais les secrets des villageois.
Et Ayel avait totalement confiance en lui.
Ce n'était pas la première fois que Ayel venait se confier à l'homme.
A la mort du maitre de Ayel, il l'avait aidé à faire son deuil et à avancer. Il lui avait enseigné de toujours aller de l'avant.
De même, lorsqu'il avait eu des problèmes avec son précédent compagnon et qu'il avait vécu une violente rupture, Hem avait été là pour le guider.
Alors ce jour-là, Ayel discuta longuement avec lui.
Hem n'avait pas le droit de divulguer les secrets des personnes qui se livraient à lui.
De ce fait, il ne pouvait pas aborder le passé de David, il ne pouvait rien lui révéler de ce que le jeune homme lui avait dis bien des mois plus tôt.
Car seul David pouvait le faire.
« Mais comment veux-tu qu'il se confie à toi, si toi-même tu ne te confies pas à lui ? »
Ces mots tournèrent en boucle dans la tête de Ayel.
Ce n'était pas du tout la réponse qu'il aurait voulu entendre.
Mais elle le fit beaucoup réfléchir.
Il pensait que David était sensible, qu'il lui faudrait beaucoup de temps pour aller de l'avant. Il reportait tout sur lui, se disant que si leur couple avançait peu, c'était à cause de son passé.
Mais Ayel n'avait jamais réalisé qu'il avait également un travail à faire sur lui. En y repensant, il se rendait compte qu'il se confiait peu à David.
Il n'était pas étonnant qu'il ne lui parle pas ce qui le tourmentait, Ayel ne lui avait jamais montré l'exemple.
Certes, ils avaient évoqué une partie de son passé ensemble, mais ce n'était pas l'initiative de Ayel.
C'était David qui avait fais le premier pas. Qui avait posé les questions.
Ayel avait été soulagé de parler, mais sans David il ne l'aurait peut-être pas fait.Et maintenant qu'il s'en rendait vraiment compte, il se trouvait stupide.
Évidement que David ne lui parlait pas de ce qui le troublait ! Évidement qu'il prenait sur lui.
Ils étaient beaucoup trop semblables. David et lui agissaient de la même manière.
Ils fuyaient ce qui les faisaient souffrir, tentant de faire croire qu'ils allaient bien.
Tenter de cacher un passé douloureux, faire comme si ça n'existait pas, c'était exactement ce que faisait Ayel en refusant de parler de parler de sa précédente relation.
Un soir, Ayel prit son courage à deux mains. Il se lança.
Même s'il ne se sentait pas prêt à partager son passé, il devait parler à David.
« Il y à quelque chose que je dois te dire. C'est important. »
Le coeur de David manqua un battement. Ayel était sérieux, plus qu'il ne l'avait jamais été.
« Je ne te forcerais jamais à avoir de relation sexuelle avec moi.
Je sais que tu penses que c'est nécessaire dans un couple, mais tu as le droit de dire non si tu n'en as pas envie.
Tu as le droit de m'en parler, tout comme tu as le droit de garder tes raisons pour toi, »
Sa voix se cassa.
« Tu as le droit de refuser, tout comme j'en avais le droit ... »
Ayel fondit en larmes.
David l'enlaça au moment même où il fondit en larme. Il resta longtemps dans ses bras.
Il s'excusait, répétant qu'il était désolé de pleurer, qu'il était égoïste. Ses larmes ne tarissaient pas. Il avait l'impression qu'aucun de ses mots n'avaient de sens.
« Je ne te forcerais jamais. Je ne veux pas voir la peur dans ton regard, seulement la confiance... j'aurais voulu faire ça bien, te montrer que j'étais quelqu'un qui pouvait te soutenir et t'aider... mais finalement c'est toi qui m'aides... »
David ne dit rien, lui caressant la tête tendrement. Les mots de Ayel le touchait. Mais il ne voulait pas y penser. Pas maintenant.
Pourtant...
Leurs larmes se rejoignirent.
Finalement, ce soir là ils ne parlèrent pas plus.
Ils restèrent l'un contre l'autre, sans mot dire. Le pull de David mouillé de leurs larmes.
Voila longtemps que les deux hommes n'avaient pleuré devant quelqu'un, qu'ils n'avaient pas simplement lâché prise.
Pour David, voir Ayel dans une telle situation de faiblesse... c'était comme un choc. Il ne l'avait jamais vu comme ça.
Ayel était toujours souriant, heureux et doux... De son sourire se dégageait une aura de sécurité. Il en devenait presque inaccessible.
Alors le voir ainsi, aussi vulnérable et tourmenté...
David se rendait compte d'une chose : ils étaient beaucoup plus semblables qu'il ne le pensait.
Le lendemain, David ne cessa de ressasser les mots de Ayel.
La phrase qu'il avait lâché avant de craquer, il ne l'avait pas oublié... au contraire.
Quand il l'avait entendue, son cœur avait raté un battement.
Même s'il avait pensé tout ce temps que ce n'était qu'un espoir idiot, il avait tant rêvé de l'entendre.... et il avait toujours du mal à y croire.
C'était forcément irréel, non ?
Ayel n'allait pas le forcer, il n'allait pas l'obliger à aller plus loin s'il ne le souhaitait pas...
C'est du moins ce que Ayel lui avait dit.
Mais encore fallait-il que David lui confirme qu'il avait vu juste.
Alors il inspira profondément et se lança.
David ne se confia pas sur son passé. Il n'en était pas capable, pas encore.
Mais il expliqua à Ayel qu'il ne se sentait pas prêt à aller plus loin. Qu'il n'avait jamais ressenti d'attirance pour l'acte et que ça lui faisait peur.
Il n'arrêtait pas de s'excuser entre chaque phrase, espérant que Ayel lui pardonne d'être différent.
Il l'aimait tant, il ne voulait pas tout gâcher entre eux ! Il se sentait si bien avec lui. Heureux...
David s'en voulait de ne pas pouvoir apporter à Ayel ce qu'il attendait ...
Mais Ayel le rassura. L'amour ne se résumait pas qu'a ça, il y avait bien d'autre moyens de l'exprimer et de s'aimer. Car aimer, c'était aussi accepter son compagnon et le soutenir.
Ils avaient encore un long chemin à faire avant de pouvoir construire quelque chose de solide entre eux.
Mais aujourd'hui, ils avaient fait un grand pas en avant.