Agustin, tout ému, vit la fatigue s'abattre sur Tomine, qui ne put lutter et s'écroula sur le lit.
Il l'embrassa tendrement et se plongea dans la bible de la maternité.
Il finit par venir la rejoindre, comme avant la guerre, elle vint se blottir dans sa chaleur. Il put constater combien sa présence contre lui, la nuit, lui avait manqué...
Pour lui, les nuits étaient difficiles, les actes que ses supérieurs appelaient 'de bravoure' avaient laissé dans son esprit des visages, des suppliques... des pleurs... et des cris de souffrance qui ne lui laissaient pas une nuit de répit.
Son premier cauchemar le réveilla en sursaut. Contre lui, Tomine gémit doucement. S'efforçant de ne pas bouger, il resta là, les yeux grands ouverts, à la sentir, la respirer... et peu à peu, sa simple présence l'apaisa...
Son esprit partit sur son idée pour la cérémonie de vendredi... il allait lui demander de l'épouser, là tout de suite, le colonel était d'accord pour les marier... il en avait parlé à Martin et Nikita qui avaient validé, bien sur.
S'il n'était pas dévasté d'émotion, il lui posera la question en recevant sa médaille, elle aurait le temps d'aller avec ses parents choisir une robe et se préparer pour revenir après l'hommage aux victimes et se marier avec lui...
Martin avait parlé de leur voyage de noces... il parlait d'un tour du monde... Agustin n'était pas sur que cela soit approprié... ils auraient peut être besoin de quelque chose de plus calme... Venise! Voilà, Venise jusqu'au prochain rendez vous pour le bébé puis voyage et fin de l'hiver à l'hacienda... Tomine avait dit vouloir y voir le printemps arriver...
Le sommeil le reprit et cette fois, il dormit tranquillement jusqu'au matin.
Tomine n'émergea pas.
Il se leva et laissant une petite cocotte en papier plié avec un petit message, il fila chez le bijoutier chercher les alliances, puis à la maison de couture pour vérifier que tout serait prêt, y compris le coiffeur sur place...
Tout semblait prêt, il devait juste gérer ses émotions et rester capable de faire sa demande malgré toutes les horreurs dont il allait être question et tous ces malheureux qui n'avaient pas eu sa chance et y avaient laissé leur peau.
A son retour, elle dormait toujours. Il s'assit sur le fauteuil et resta là, à la contempler, émerveillé...
Vers 11h, elle bougea un peu et se réveilla en sursaut.
- salut...
- 'lut... marmonna t elle en sautant sur ses pieds, toute pale.
Elle passa devant lui en vitesse.
Il l'entendit vomir tripes et boyaux dans les toilettes. Il la suivit et la trouva à genoux par terre, les larmes aux yeux. Un haut le cœur lui retourna encore une fois l'estomac puis elle se releva en prenant la main qu'il lui tendait.
Il resta derrière elle, impuissant à l'aider, tandis qu'elle se lavait les dents.
Dans le miroir, leurs regards ne s'étaient pas lâchés.
Il passa le bras derrière ses genoux et la souleva dans les bras, elle ferma les yeux et nicha son visage dans son cou.... heureusement que sa jambe allait mieux... il la conduisit dans le salon où s'assit dans le canapé, la gardant dans les bras sur lui.
Elle était bien, tellement sécurisée de sentir sa force et sa chaleur autour d'elle.
Tomine venait de retrouver sa place dans l'univers.
Ils ne bougèrent pas jusqu'à midi, sans parole, juste un dialogue de battements de cœurs.
Des coups frappés à leur porte les firent sursauter. Agustin déposa son amie sur la banquette et se leva presque sans grimacer de douleur.
Un militaire à l'air suffisant portait un colis et une lettre.
De retour sur le canapé, il ouvrit le tout. Le colis contenait un uniforme de cérémonie et des badges d'accès à la tribune VIP et la lettre était une convocation avec l'heure... matinale... où il était attendu le lendemain.
Tomine déplia l'uniforme.
- on dirait le costume du prince dans Cendrillon... souffla t elle.
- pff... ce gars là, il a jamais du sortir du carrosse paternel! Ironisa t il en lisant attentivement sa convocation.
- tu vas me les faire tous, c'est ça le plan?
- quoi? S'étonna t il en levant la tête.
- ... mes fantasmes d'adolescente...
- voilà, sourit il en balançant la lettre par terre et la prenant dans ses bras.
'un dessin animé?? sans déconner? tu veux qu'on parle des miens?'
Et bien justement, la question arriva accompagnée de deux yeux tous brillants.
Il répondit en disant qu'il était un garçon, lui, que c'était pas un déguisement même de soubrette qui le mettrait en transe.
- ce que tu as fait l'autre fois avec ta bouche...ça, c'est un fantasme de mec... développa t il l'air extatique rien que d'y penser...
- tu es désespérément terre à terre...
- et j'assume... mais bon, le costume de soubrette devrait bien t'aller...
- aller, soupira t elle, il va falloir penser à manger...
- tu as faim?
- non. Mais il y a là, une personne qui doit manger régulièrement... même si je galère...
Doucement, il posa les mains sur sa taille et l'attira devant lui toujours assis. Il releva délicatement son tee shirt et posa longuement ses lèvres sur le ventre de sa fiancée. Émue aux larmes, elle glissa ses doigts dans ses cheveux.
' sois gentil, tout petit mininous, ta maman, elle galère, tu sais...' souffla t il avant de se redresser.
Tomine, bouleversée, vint s'asseoir à califourchon sur lui.
- 'madame je sais tout sur les bébés' dit qu'il peut m'entendre... expliqua t il.
- oui, le doc l'a dit aussi, il dit que c'est bien de lui parler, de l'habituer à ta voix...
- quand on sera chez nous, je vous chanterai des chansons... promit il, entre deux baisers.
Baisers qui devenaient plus...fébriles... il s'écarta...
- tu n'as rien dans l'estomac... c'est pas sérieux...
- tu rigoles, j'ai plus de nausées... c'est l'occasion d'en profiter!!
- je suis ravi d'apprendre que je te file pas envie de vomir.
- crétin... fais moi l'amour au lieu de faire des commentaires...
- Sergent Galiano à votre service mon capitaine!! toujours prêt pour les missions périlleuses!
Ils riaient comme des enfants avant d'enchaîner sur des manœuvres beaucoup moins 'enfantines'.
- bon, il faut manger... décréta Agustin, peu après, alors qu'ils étaient toujours dans le canapé, mais apaisés, mininous et moi, on crève la dalle!
- c'est drôle 'mininous' comme nom... sourit Tomine en attrapant la main qu'il lui tendait pour se lever.
Une douche plus tard, ils étaient au restaurant de l'hôtel devant une montagne de frites.
- tu as faim finalement?
- ben oui, on dirait... je vais en profiter!!
Devant son air perdu, elle expliqua,
- je me sens comme un avion qui se fait détourner, je ne contrôle plus rien... l'appétit, l'humeur, la fatigue... c'est vraiment étrange... le doc dit qu'il faut pas lutter...
- je crois pas que ça me plairait de porter un enfant...
- surtout avec le final... soupira Tomine.
Il soupira aussi, que faire d'autre?
- oh, le doc m'a dit un truc... un truc qui m'embête...
- quoi?
- quand je l'ai appelé pour demander si je pouvais prendre l'avion et tout il a parlé de... des soldats qui ont vécus des trucs difficiles...
- et?
- il m'a dit de faire attention... si on devait pas être d'accord... enfin, je veux dire, si on se disputait...
- pourquoi?
- il a peur que... tu... que ta réaction... enfin, il pense que tu pourrais réagir en étant violent... moi, je ne le crois pas une seconde mais il a insisté en disant que, depuis tout ces mois, tu te défends comme ça... comme si la guerre allait avoir modifié tes réactions.
Agustin soupira et lui prit doucement la main, très doucement...
- il a raison, j'ai senti ce... cette violence commencer à prendre le contrôle de moi... les premiers mois... un mec a voulu faire une blague et m'a piqué tes lettres un vendredi soir... je suis devenu quelqu'un d'autre... ils ont du s'y mettre à quatre pour m'empêcher de le tuer...et je l'aurais fait... ils m'ont regardé autrement, avec appréhension et respect aussi... ce jour là, pour tous, je suis passé de petit jeunot à homme viril...
Il prit le temps de boire un peu d'eau, cherchant ses mots.
- mais moi, j'étais mal... ce mec qui aurait pu tuer pour des lettres, c'est pas moi... j'ai pas lu tes lettres, j'ai passé la nuit à penser à ce que toute cette violence autour de moi, et que je devais avoir en moi pour m'en sortir, était en train de me faire... et j'ai décidé que non, moi j'allais l'utiliser mais pas lui laisser les rênes... et plus jamais, elle ne m'a dirigé... j'ai fait des choses horribles mais... sans y prendre plaisir ni sans que cela devienne normal... chaque vie que j'ai pris, je l'ai prise avec respect et humanité, je n'ai fait souffrir personne plus qu'il le fallait...
- je te crois...
- mais il a raison, tu dois pas te laisser faire... même juste verbalement... je ne crois pas pouvoir te faire du mal... mais j'en ai fait à tellement de personnes...
Elle se pencha au dessus de la table.
- je t'aime...
- moi aussi...
- invite moi à danser en attendant le dessert...
'toute la vie, on va danser nous deux... pas seulement en attendant le dessert...'