“Et là le dragon, il mange le chevalier !
– N'importe quoi, un dragon, c'est pas méchant ! C'est gentil, ça protège le peuple des rois cupides et avare !
Tout le long de ce débat qu'elle juge le plus sérieux du monde, un sourire naît sur le visage de l'enfant. Elle affectionne particulièrement ces soirs où avec son compagnon de voyages imaginaires elle parcourt le monde des histoires en quête de nouveaux horizons. Les sourcils froncés, son interlocuteur lui tapote la joue, mécontent de ce manque d'attention.
– Tu m'écoutes ?
Elle secoue négativement la tête et s'excuse.
– Je te disais que dans ce cas, c'est le chevalier qui mangeait le dragon !
Étonnée, elle fixe le petit bout d'être face à elle.
– De la viande de dragon ?
– Oui !
– Tu tues le gentil ?
– Non ! Après, il revit dans le corps d'un papillon !”
Chaque fois, elle ne peut s'empêcher d'exprimer de la surprise face à l'imagination sans frontières que possède le garçon. L'enfant ouvre la bouche, décidé à approuver l'idée. Cependant, elle est coupée dans son élan par cette porte qui s'ouvre. Rien ne sort, sinon le silence. Elle fixe le nouveau venu, l'ogre des contes, celui qui dévore les plus jeunes, les innocents. Le géant mangeur d'histoires.
“Au lit !”
L'ogre pose ses lèvres visqueuses sur le petit être, l'entoure de ses bras velus. Elle le regarde avec dégoût, mais ne pipe mot. Il lui fait signe de sortir.
L'enfant obéit, le suit.
L'ogre se tourne vers elle.
“Arrête ça. Ces bêtises pour fillettes le soir. Tu veux que notre fils devienne homo ?!”
L'enfant redevient adulte.
Elle quitte son rôle de fille innocente et reprend celui de mère et épouse.
Non, elle ne vit pas dans un château.
Elle ne s'est pas mariée avec un prince.
Et les bleus sur son corps ne sont pas des parcelles de ciel venus trouver refuge sur elle.