Lie tes ratures

By UmiPage

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"Montre-moi toute la grandeur de ton amour." Victor, à dix-sept ans, est follement amoureux de son camarade d... More

Avant-propos
Février
Février - 1.
Février - 2.
Février - 3.
Février - 4.
Février - 5.
Février - 6.
Mars
Mars - 1.
Mars - 2.
Mars - 3.
Mars - 4.
Mars - 5.
Mars - 6.
Mars - 7.
Mars - 8.
Mars - 9.
Mars - 10.
Mars - 11.
Mars - 12.
Mars - 13.
Mars - 14.
Mars - 15.
Mars - 16.
Mars - 17.
Mars - 18.
Mars - 19.
Mars - 21.
Mars - 22.
Mars - 23.
Avril
Avril - 1.
Avril - 2.
Avril - 3.
Avril - 4.
Avril - 5.
Avril - 6.
Avril - 7 (1).
Avril - 7 (2).
Avril - 8.
Avril - 9 (1).
Avril - 9 (2).
Avril - 9 (3).
Avril - 10.
Avril - 11 (1).
Avril - 11 (2).
Avril - 12.
Avril - 13.
Mai
Mai - 1.
Mai - 2.
Mai - 3.
Mai - 4.
Mai - 5.
Mai - 6.
Mai - 7 (1).
Mai - 7 (2).
Mai - 8 (1).
Mai - 8 (2).
Mai - 9.
Mai - 10.
Mai - 11.
Mai - 12 (1).
Mai - 12 (2).
Mai - 13.
Juin
Juin - 1.
Juin - 2.
Juin - 3.
Juin - 4.
Juin - 5.
Juin - 6.
Juin - 7.
Juin - 8.
Juin - 9.
Juin - 10 (1).
Juin - 10 (2).
Juin - 10 (3).
Juin - 11.
Juin - 12.
Juin - 13 (1).
Juin - 13 (2).
Juillet
Juillet - 1.
Juillet - 2.
Juillet - 3.
Juillet - 4.
Juillet - 5.
Note de fin
Dix secrets de tournage

Mars - 20.

915 68 29
By UmiPage

Voilà vingt bonnes minutes que Victor attendait, entouré de ces murs à la blancheur impersonnelle. Cette couleur avait toujours prodigieusement énervé le jeune terminale. Il voyait en elle une froideur morbide qui lui glaçait le sang. Et, enfermé dans ce couloir presque vide, il peinait à garder son sang froid.

Il ne cessait de repenser à cette simple phrase de Pauline, cette phrase qui avait fait basculer sa belle soirée en une sorte de cauchemar informe. La fatigue l'étreignait, et on ne pouvait pas dire que les chaises de l'hôpital étaient aussi confortables qu'un lit. Les muscles de son dos le tiraillaient.

Ses jambes, tout aussi nerveuses que le reste de son corps, martelaient le sol rapidement. Mais, même si ce simple mouvement répétitif avait eu le pouvoir de le calmer les premières minutes, l'agitation de ses jambes, ce petit choc qui remontait dans le bas de son dos, l'énerva encore plus, faisant pénétrer ses membres au centre d'un cercle vicieux exigeant de lui toujours plus d'énergie et de mouvements.

Les mots que lui avait glissés Pauline le hantaient, encore et encore. Il jeta un coup d'oeil vers la porte se situant à sa droite. Elle restait désespérément fermée. Un soupir franchit ses lèvres. 

Les yeux et le coeur vides, Victor peinait à chasser de son esprit toutes les nuances du regard de Pauline au moment où ils s'étaient rendus à l'hôpital. Il y lisait autant de la peur que de la colère, de la tristesse et de la détermination à s'y rendre le plus vite possible. La fatigue le fit sombrer dans des réflexions s'éparpillant comme les branches d'un arbre.

Étrangement, il se mit à songer à la fin du lycée. Ce n'était vraiment pas le moment. Mais en pensant à son école, aux étendues d'herbe couvrant la cour, aux bancs chargés de neige en hiver et si réconfortants après trois tours de piste en cours de sport, aux bâtiments de trois étages offrant leur ombre protectrice aux élèves lorsque l'été pointait le bout de son nez chaleureux, ou même aux grilles devant lesquelles le cycle des amours adolescentes se déroulait entre premiers baisers et premières larmes, une profonde nostalgie anticipée lui vrilla les tripes. Il ne l'avait pas quitté, ce lycée, qu'il le regrettait déjà.

Victor inspira longuement, gorgeant ses poumons d'un air chaud, en observant les murs de l'hôpital, qui lui rappelaient vaguement ceux du lycée. Au premier étage, ils avaient la même peinture, hideuse, variant entre blanc cadavérique et jaune poussin devant finir dans un fast-food entre quelques frites froides et molles.

Le brun poussa un soupir en évitant un haut-le-coeur qui l'empoigna soudainement. Surtout, il ne fallait pas qu'il rende sa soirée sur le carrelage. En urgences pédiatriques, ce n'était franchement pas conseillé. 

Pour éviter ce petit incident, puisqu'il pensait au personnel qui devrait nettoyer ses verres de trop, il se concentra sur son téléphone. Il n'arrivait pas à décrocher son regard des messages que Yann et lui venaient de s'envoyer.

Il releva la tête et réprima une grimace. En face de lui, une petite fille, peut-être âgée de huit ou neuf ans, s'afférait à remplir de vie une feuille vierge de dessins, à côté d'un homme, probablement son grand-père. Un petit sourire ornait ses fines lèvres.

Victor s'affaissa dans sa chaise et tendit les jambes. Il leva le menton vers le plafond, quant à lui recouvert d'un blanc plus terne que ceux des murs. Il lui était inutile d'aller chercher un miroir pour savoir que ses yeux cernés brillaient de fatigue.

— Je déteste l'hôpital, se contenta-t-il de souffler doucement pour que personne ne l'entende, en se grattant les genoux.

Il n'arrivait pas à se débarrasser d'une idée sombre : et si les docteurs ne stabilisaient pas l'état de Martin ? S'ils ne parvenaient pas à le sauver ? Cette insupportable possibilité lui tordait l'estomac avec une extrême violence, et il avait toutes les peines du monde à la calmer. 

Victor devait faire confiance aux docteurs. La science avait des mains puissantes et mystiques ; il se devait d'y croire, ne serait-ce que pour son amie.

Au bout de ses doigts, de petits picotements lui rappelaient l'absence cruelle de son petit ami. Yann n'avait eu ni le courage, ni la force de l'accompagner. Il l'avait vu au fond de ses yeux. Pourtant, à ce moment précis, Victor en aurait eu bien besoin. Pas que lui, d'ailleurs. Pauline et Martin également.

Depuis le temps qu'il les connaissait, toute son affection envers le petit frère de sa meilleure amie s'était totalement mué en une émotion proprement ressentie envers les personnes qui nous sont les plus chères, au-delà des liens de sang. 

Le voir malade comme ça, son frêle petit corps offert sur l'Autel de la mort, créait un vide absolu dans le corps et l'âme de Victor. Et il aurait bien aimé se réconforter avec la présence du blond. 

Yann n'était pas la personne la plus bavarde qu'il connaissait, mais il avait cette énergie, cette aura, qui l'apaisait immédiatement en sa compagnie, et nulle autre personne sur terre n'avait ce pouvoir, pas même Lili, qui avait certes la chance de savoir le réconforter et le comprendre, mais certainement pas de le calmer avec le talent du jeune écrivain.

Il passa sa main sur son visage, et y récolta une larme solitaire. Il n'aimait pas l'idée d'affronter cette épreuve tout seul. Son absence le renvoyait plusieurs mois auparavant, quand il n'était pas armé pour affronter cette impitoyable solitude, qui le rongeait et l'étouffait sans pitié.

L'hôpital se changea en salle de classe, les patients en lycéens et les dessins accrochés aux murs en affiches préventives. Posant ses coudes sur les genoux, avachi contre lui-même, il se sentit tout à coup démuni contre les vagues de réminiscences qui l'invitaient à modeler la réalité en un miroir qui lui renverrait toute la force de son passé ; les larmes lui piquaient déjà et les yeux, et le nez, et la gorge. 

Il s'en rendait compte, aujourd'hui encore plus que tous les autres jours : tout peut basculer en un appel, une seconde, une aventure, un événement imprévu.

Chaque fois que des pas se faisaient entendre, leur lourde note répétitive battant le sol, Victor regardait si ce n'était pas Pauline, ou ses parents, qui revenaient, pour lui annoncer une quelconque nouvelle, qu'elle soit bonne ou mauvaise. 

Il sentait en lui monter l'angoisse, mais déjà les souvenirs revenaient à la charge. Il n'était pas aisé d'y résister, et il était encore plus difficile de ne pas se complaire dans ce marasme de pensées et d'images venues d'ailleurs, des tréfonds de son esprit. 

À l'époque, déjà, ses heures creuses se déroulaient en solitaire quand sa meilleure amie n'était pas là. Assis au fond d'une salle aux mille échos de conversation, il incarnait le marin, l'esprit vagabond, se retenant comme il le pouvait à sa table, comme le ferait l'homme de la mer à son mât pour échapper aux vagues. 

L'écume de sa tristesse passée l'éclaboussait encore. Trop loin de lui, l'image qu'il se faisait de Yann l'aidait tout de même à tenir au milieu de cet univers.

Mais il devait se faire à l'impitoyable réalité qui le frappait déjà des mois auparavant. L'amour qui habitait son cœur était autant son mât que sa tempête.

Perdu au cœur du labyrinthe de ses pensées, Victor se laissa bercer par le ronronnement des passages. Toute la tension de la soirée lui pesait à présent sur les épaules. Ses yeux brûlants de fatigue et de larmes retenues se fermèrent, le laissant sombrer lentement dans les ténèbres de ses souvenirs.

Ce furent quelques pas précipités qui le firent émerger de sa torpeur. Combien de temps s'était écoulé depuis qu'il s'était laissé aller ? Trente secondes ? Entre ses songes, il sentait son esprit s'évader hors de cette courbe humaine que la société nomme le temps.

Porté par le courant de ses émotions, le visage de Yann s'était superposé sur celui de Martin. Une peur sourde monta en lui, tandis qu'il affrontait ses turbulences mentales. Mais l'absolu sentiment d'espoir prenait également le pas sur cette terreur.

Victor leva la tête. Un nouveau soupir franchit ses lèvres, en constatant que ce n'étaient pas ceux qu'il attendait. Mais bien vite, son agacement fut coupé net tout comme son souffle. Au bout du couloir, Pauline arrivait. 

Un savant mélange de tristesse, d'ivresse et de fatigue l'avait atteinte. Pouvait-il en être autrement, vu la situation ?

Comme s'il avait été monté sur des ressorts, le brun se redressa en un éclair pour faire face à son amie.

— Alors ? s'écria-t-il avec vivacité.

Pauline s'assit à ses côtés. Ses yeux pétillants étaient embrumés de larmes ayant déjà roulé trop de fois. Victor aurait sûrement blagué sur le fait qu'ils avaient roulé eux aussi dans cet état jusqu'à l'hôpital. Mais il ne se sentait pas d'humeur, et voulait plutôt s'accrocher aux lèvres de Pauline, desquelles il souhaitait que sorte une bonne nouvelle.

— Ils ont réussi à stabiliser son état pour le moment.

Le son de cette phrase lui parvint de façon lointaine. La voix de sa meilleure amie paraissait rayée par la fatigue. Il pouvait presque jurer qu'il entendait les battements de son coeur tant ce dernier voulait se décrocher de sa poitrine.

— Ah, parvint-il à répondre, l'esprit encore embrouillé.

Elle acquiesça.

— Vous avez vu son docteur ?

— Ouais. Il a dit qu'ils ne savaient pas d'où venaient ses crises, pour le moment. Mais ils supposent qu'il y a un fort lien avec la... la dernière fois.

Cette simple hésitation, ce balbutiement, trahissait à quel point Pauline était affectée par cette situation. Comme une bulle, il aurait fallu d'une aiguille, un contact, pour la faire éclater. Les sourcils froncés, certainement pour rassembler ses forces, elle continua :

— Ils continuent à chercher, en faisant d'autres examens complémentaires.

— Et ça pourrait aller jusqu'à l'opération ?

— Peut-être, ils l'ont dit clairement.

— Putain... souffla Victor en se massant les tempes.

— Ouais. Ils gardent Martin en observation au moins demain.

— J'imaginais bien qu'ils n'allaient pas le laisser sortir tout de suite... Le pauvre... Il n'a vraiment pas de chance, bordel...

Victor n'avait pas besoin d'entendre Pauline le lui dire : il entendait déjà toute la tristesse qui émergeait de son cœur, sans qu'elle n'ait besoin de le formuler. Elle était harassée par cette maudite épreuve.

Mais elle n'était pas seule. Lui aussi était fatigué. Il le sentait : et si parler avec elle lui avait donné un regain d'énergie, il sentait à présent que l'épuisement revenait à grands coups fracassants, s'écraser comme un tsunami sur les côtes de son âme.

— Il s'est endormi ?

— Oui, répondit Pauline. Ça n'a pas été facile. Il a d'abord fallu lui faire une prise de sang. Martin déteste les aiguilles...

— Je sais. La dernière fois, pour sa prise de sang, on avait dû lui montrer autre chose pour détourner son attention.

Sa meilleure amie esquissa un léger sourire. Elle s'en souvenait très bien. C'était quelques mois auparavant ; Victor, qui travaillait avec elle sur un commentaire pour un cours de français, l'avait accompagnée pour le bilan sanguin du pauvre gamin. Ça avait été toute une affaire ; le petit s'était mis à pleurer. Le brun le comprenait : lui-même avait une certaine peur, non pas des aiguilles, mais il connaissait bien le problème des phobies.

— Vous avez réussi ? questionna Victor.

— Ouais. Heureusement, d'après les infirmiers, il a de bonnes veines, ça aurait été plus facile s'il n'avait pas eu peur, soupira Pauline.

— Et tes parents ?

— C'est dur pour eux... Papa a dit qu'il voulait rester là. Il va sûrement louper son boulot demain.

— Merde. Je sais qu'il adore son job, en plus.

— Ouais. Ils méritent pas ça... dit-elle, des trémolos dans la voix.

— Ton frère non plus. Mais je suis sûr qu'il va s'en sortir.

— Les docteurs l'ont dit. Une rechute est dangereuse...

— Eh, Lili. Je serai toujours là pour toi, ok ? Il a affronté cette putain de saloperie une fois. Il va le refaire. Et on sera là pour lui. Ne perds pas espoir. Je serai là pour toi, d'accord ?

Son amie lui fit un petit sourire, ce qui rassura le brun. Il n'aimait pas la voir malheureuse ; c'était elle qui parvenait à lui remonter le moral. Cette victoire, certes minime, avait le don de lui réchauffer le cœur. Pour une fois, c'était lui qui la faisait sourire et non l'inverse. 

À ce moment-là, une petite sonnerie retentit faiblement. Victor attrapa son portable, qu'il avait glissé plus tôt dans sa poche. La jeune femme haussa un sourcil en voyant le brun lui-même arborer une mine qui jonglait entre l'agacement et l'intérêt.

— C'est qui ? demanda-t-elle.

— Rien de spécial, c'est Yann, il nous souhaite bon courage.

Pauline hocha la tête doucement. Elle se tourna un peu plus vers son camarade, qui restait le regard bas, vers son téléphone, la main crispée. Il tapa une réponse rapide, l'effaça, en rédigea une autre tout aussi courte, puis il replaça de nouveau son téléphone où il était : dans sa poche.

— Rien de spécial ? dit la jeune femme. T'es sûr que ça va ?

— Ouais, ouais...

Il ne savait pas s'il parviendrait à lui parler de ce qui s'était déroulé au cours de la soirée. Lui-même n'avait pas les idées claires. Son autre main libre s'appuya contre sa bouche. Son doigt passait longuement là où les lèvres de l'amour de sa jeune vie s'étaient échouées. 

Mais quand il constata que Pauline le regardait, sa main s'agita pour gratter son début de barbe, tout en essayant de cacher sa gêne. Si elle avait capté ce geste... il était bon pour un interrogatoire. Il se pencha vers son téléphone, puis releva la tête pour confronter le regard de sa camarade.

Il jura intérieurement.

— Vic, tu ne sais pas... tu ne sais pas mentir, dit-elle.

— Hein ? Si, mais, je mens pas...

— Il s'est passé quelque chose ? Ne me mens pas, Vic. S'il te plaît. Pas ce soir.

Le brun accusa le coup. C'était déjà assez dur pour elle et sa famille. Il ne voulait pas la décevoir. Mais comment pouvait-il lui parler d'un événement qu'il peinait déjà à comprendre lui-même ? Soudain, il se souvint d'un conseil que Pauline lui avait donné : se lancer sans crainte. Surtout avec elle. Il se rapprocha de sa camarade, dans le désir d'une confidence.

— J'ai... Yann... On... On s'est embrassé, tout à l'heure.

Pauline le regarda avec de grands yeux, et resta un instant tout à fait silencieuse, balbutiant quelques mots qu'il n'arrivait pas à comprendre.

— Sérieux ? finit-elle par articuler. Vous vous êtes...

— Ouais.

— Oh la vache !

Et d'un seul coup, sans qu'il ne puisse s'y attendre, elle le prit dans ses bras tout en étouffant un petit cri si aigu qu'il ressemblait à celui d'une souris. Une dame, présente à côté, lui lança un petit regard de travers. 

Victor, trop surpris par le geste de sa meilleure amie, ne l'aperçut que très rapidement ; sans aucun doute aurait-il regardé lui-même de travers cette pauvre innocente pour oser porter son regard courroucé sur l'une des personnes les plus importantes de sa vie.

— Je suis... Oh bordel, Vic... Tu peux pas savoir à quel point ça me fait plaisir, dit-elle finalement après s'être reculée.

Pour la première fois depuis qu'ils avaient quittés le bar, un sourire orna le visage de Pauline : non pas une esquisse, un petit bout de sourire gribouillé sur des lèvres faussement étirées, non pas un sourire de politesse ou tout autre ébauche inachevée côtoyant les plus grandes mascarades de l'histoire humaine, mais bien un sourire sincère, rempli de joie, un de ces sourires qui réchauffe et le cœur, et l'âme, et le corps.

— T'as enfin eu ton premier baiser, mon pote !

— Pas si fort, pesta Victor. On n'est pas seuls, ici...

— Maman, c'est quoi un baiser ?

— C'est comme un bisou...

— Le monsieur il a une amoureuse ?

Victor se passa une main sur le visage. Pauline, la reine de la discrétion ! Il échangea un petit regard souriant avec la mère et sa jeune enfant, avant de reporter son attention sur sa camarade.

— Tu veux pas qu'on aille prendre un petit café ? lui demanda-t-il en se levant.

— Volontiers, Quasimodo.

— Quoi ? Tu m'as appelé comment ?

— Bah Casanova, répliqua-t-elle avec un sourire.

— C'est pas ce que j'ai...

— Allez, avance, Casimir.

— Quoi ?

— Je t'ai juste dit d'avancer. Le café ne va pas se faire tout seul.

Le brun pesta, mais obéit tout de même. Bien rapidement, les deux adolescents se retrouvèrent dans le couloir. Victor en profita pour lancer un regard en biais à son amie, qui haussa un sourcil, l'air de lui demander ce qui se passait.

— Tu voulais pas un mégaphone ?

— Il faut bien crier l'amour sur tous les toits, plutôt que la guerre.

— Désespérante, ricana-t-il. Aïe ! Putain !

Le brun se tint le coude, tandis qu'il venait de se cogner contre un mur en bifurquant. Pauline le regarda et secoua la tête.

— T'es sûr que ça va ?

— Pourquoi ça irait pas ?

— Tu marches de travers, mon pote. Le bar a bien fait son boulot, visiblement.

— T'es en train d'me dire que j'suis bourré ?

— C'est à peu près ça.

Un soupir franchit les lèvres du brun. Il n'ajouta plus rien, jusqu'à ce qu'ils arrivent devant la machine. Plutôt que d'ajouter à tout l'alcool présent dans son sang une petite dose de caféine, le jeune homme préféra taper dans la machine à sucreries. Pauline l'interrogea du regard.

— Quoi ? Je prends un petit truc à manger, j'ai la dalle.

— Un petit truc à manger ? Tu ne t'étonneras pas si t'as pris deux kilos demain...

— Bah quoi ? insista-t-il.

— T'as vu la taille de ton sandwich ? Enfin... de tes sandwichs ?

— J'ai la dalle, répéta-t-il. Faire des french kiss, ça creuse l'estomac.

Ils retournèrent dans la salle d'attente, avec un supplément café et sandwichs. Même s'ils parvenaient à rire, Victor et Pauline sentaient toujours toute la tension qui pesait sur leurs épaules. Le brun ne cessait de penser au petit frère de sa meilleure amie. Et il était tout à fait évident que c'était aussi son cas. 

Ils reprirent des forces en silence dans la salle d'attente. L'adolescent n'arrivait pas à parler, et préférait de loin se concentrer sur son encas. Finissant de manger, il jeta son papier dans la poubelle d'un air las et se rassit, sans forces.

Deux minutes s'écoulèrent, durant lesquelles le sommeil commençait à s'emparer de lui, venant alors par petites vagues pour l'assaillir de toute part. Ses muscles commençaient à s'engourdir et son esprit, comme emprisonné dans une chape de plomb, sombrait lentement dans le marécage des rêves. 

Et ses dernières pensées, avant de tomber dans les bras d'Hypnos, se tournaient vers sa lumière qui ce soir était absente.

— Vic ? Vic... Victor ! l'appela Pauline.

— Hein ? lança-t-il, à moitié éveillé.

— Tu commences à comater. Comme tout à l'heure. Tu devrais rentrer...

Le brun écarquilla douloureusement les yeux. Lui proposait-elle de rentrer et de la laisser toute seule ? Il n'en était pas question. Il ne voulait pas l'abandonner.

— Non... Je ne vais pas vous laisser...

— Victor, t'es têtu. Même moi, je vais bientôt partir. Je te ramène avec moi.

— T'es sérieuse ?

— On reviendra demain. C'est gentil que tu veuilles autant rester auprès de nous.

— Ok... Mais reste. Je vais me débrouiller.

Pauline se passa une main sur le visage, agacée. Elle n'avait même pas besoin de formuler sa pensée pour que Victor la comprenne : il se savait très pénible quand il buvait. Sa camarade aurait certainement rajouté, s'ils en avaient parlé, que ce n'était pas uniquement dans cet état qu'il était insupportable, ce qui l'aurait fait bouder.

— En voilà une autre ! Je te ramène, point barre.

— Mais t'as...

— Non, je n'ai pas bu. Et de toute façon, t'as pas le choix.

— Mais...

— Tu sais, fiston, tu devrais écouter Pauline.

La voix venait de derrière lui. Une main solide s'était posée sur son épaule. Victor se retourna et fit face au père de Pauline. Il avait perdu son petit sourire et, en l'espace d'une soirée, il semblait avoir pris dix ans. Ses cheveux, certes bruns, laissaient apparaître quelques cheveux grisonnants. 

A côté de lui se tenait une femme, de la même tranche d'âge, au corps élancé et aux maigres épaules que son manteau permettait de cacher. Si l'homme était brun, sa compagne en revanche arborait de beaux cheveux d'un roux timide, coupés au carré, encadrant de tous petits yeux brillants, presque fiévreux. Le couple partageait quelques rides au niveau des joues et du front.

Il avait beau les connaître, Victor se sentait toujours impressionné par ces deux personnages fatigués. Il ne pouvait s'empêcher de faire de petites comparaisons entre Pauline et ses parents. Et chaque fois que son regard tombait sur les cheveux de sa jeune camarade, il se disait qu'elle n'était certainement pas adoptée. 

Elle avait le même regard que son père, et les mêmes cheveux que sa mère, qu'elle avait néanmoins cachés sous ses différentes colorations.

— Monsieur...

Le père de Pauline regarda sa femme, puis sa fille en essayant de sourire, malgré la situation.

— Pauline a raison. Et je t'ai déjà dit de nous appeler David et Valérie...

— Désolé, fit Victor, sans trop savoir s'il excusait pour ça ou pour ce qui se passait.

Ils s'échangèrent tous les quatre un petit regard fatigué.

— Alors ? demanda Pauline, en regardant ses parents.

— Le docteur a dit que son état était plutôt stable, mais quand même préoccupant. Ils l'ont mis sous morphine pour atténuer la douleur. Ta mère va rentrer, je vais rester ici. Ils nous ont autorisés à rester, mais il faut qu'un seul d'entre nous le fasse.

— Le protocole, soupira la mère. Ils manquent de moyens dans les hôpitaux...

Sa voix était chevrotante, pleine d'agacement devant l'impuissance qui leur était jetée au visage et de tristesse à cause de cette situation. Victor intervint :

— C'est par rapport... ? Est-ce que c'est par rapport à...?

— Très probablement.

Le ton de David devint sec sur cette phrase. Victor déglutit. Quel imbécile ! Cet événement douloureux restait encore dans leur mémoire. Même lui s'en souvenait parfaitement. Après tout, il faisait quasiment partie de leur famille. Il aimait Martin comme son petit frère.

— Quoi qu'il en soit, tu devrais rentrer, fiston. Il se fait tard.

— Oui.... C'est... c'est vrai, bégaya le brun.

— Tu peux dormir à la maison, si tu veux, lança sa femme.

— Je... Je ne veux pas vous déranger...

— Idiot, maugréa l'adolescente. Tu ne nous déranges pas.

— Tu ne nous as jamais dérangés, renchérit Valérie.

Victor acquiesça, heureux de savoir qu'ils l'accueillaient sans problème. Néanmoins, il secoua la tête. Au fond de lui, il avait toujours cette impression d'être de trop, cette impression de les déranger. Et pour faire le vide dans son esprit, il devait être seul. 

S'il restait avec Pauline, et concentré sur les problèmes qu'ils devraient affronter ensemble, alors il serait incapable de se ressaisir.

— C'est très gentil, mais je pense que je vais rentrer.

Pauline lui posa la main sur l'épaule. Victor avait toujours été un garçon très altruiste. A force de se côtoyer, elle savait très bien ce qu'il pensait, sans même le dire. Elle savait qu'il faisait ça, certes pour lui, mais aussi pour sa famille. C'était peut-être ça qui avait attiré la jeune femme chez le brun.

Ils assistèrent à la séparation des parents de Martin ; Valérie et David discutèrent deux bonnes minutes, s'assurant de s'appeler si quoi que ce soit se passait. Victor lança un petit regard à sa meilleure amie ; les deux lycéens s'échangèrent la même promesse. 

Il savait pertinemment qu'il pouvait compter sur Pauline si la situation venait à changer. Ils finirent par se dire au revoir, et David regagna la chambre de l'enfant.

Victor, Pauline et Valérie regagnèrent silencieusement la voiture. Comme David était resté à l'hôpital et devait garder le véhicule, ils montèrent donc dans celui de l'adolescente. L'air était glacial et humide dans le sous-sol du parking. 

Victor pouvait presque sentir les gouttes d'eau flotter autour de lui. Il frissonna ; peut-être à cause du froid, peut-être à cause de tout le flot de sentiments qui l'envahissait depuis quelques heures.

Ils arrivèrent enfin à la place de parking où les deux ados s'étaient garés. La mère de Pauline voulut conduire. Elle n'arrivait pas à laisser le volant à sa fille. Cette dernière décida de monter à l'avant, pour soutenir sa mère, laissant le brun seul à l'arrière.

Mais avant de monter, elle lui serra la main et lui fit un petit sourire qui se grava dans la mémoire du lycéen. Ce dernier écarquilla les yeux. Avait-il bien entendu ? Il se répéta cette phrase, encore et encore, laissant derrière elle un écho incompréhensible :

— Merci.

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