Pour celui-là, on devait prendre un lieu marquant de notre enfance et écrire un texte dessus en mélangeant des données géographiques, historiques... Et en faisant des répétitions.
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Quand j'étais jeune, j'allais pêcher avec mon père. Mon père, ma belle-mère, et puis bien plus tard ma petite sœur, et encore plus tard mon petit frère. Ma sœur a neuf ans aujourd'hui. Mon frère en a six. Ma belle-mère, je ne m'en rappelle pas. Mon père non plus. Je n'ai jamais été doué pour retenir les dates d'anniversaire et les âges de mes proches.
Mon père a toujours aimé pêcher. Il allait dans des magasins de pêche et pouvait y passer un temps fou, sans revenir avec grand chose finalement, car il est le seul à travailler et ne gagne pas beaucoup. Avant, c'était plus facile, parce qu'il n'y avait que moi. Des fois, ma belle-mère partait faire des magasins pour elle, et elle revenait avec pleins d'habits pour moi. Maintenant, c'est plus compliqué. L'inflation, comme on dit. Tout est plus cher, il y a plus de bouches à nourrir, donc tout est plus compliqué, forcément.
Quand on allait pêcher, on prenait les tentes et on se posait au bord du lac. Mon père avait deux lacs qu'il aimait beaucoup, celui d'Esparron et celui de Carcès. Je crois que nous sommes allés plus souvent à celui d'Esparron, mais j'en ai moins de souvenirs qu'à celui de Carcès. Le lac d'Esparron est très clair, l'eau est belle, bleu turquoise. Le lac de Carcès est plus petit et l'eau y est plus trouble, un peu marron. Je crois que j'ai déjà perdu des lunettes de plongée là-bas. Le lac de Carcès est dans le Var. Il s'alimente par deux rivières, le Caramy et l'Issole, et par un fleuve, le fleuve l'Argens. Il n'est pas très haut, 171 mètres d'altitude. Il n'est pas très grand, 1km² de superficie. Ses coordonnées sont à 43° 28′ 07″ Nord, 6° 10′ 02″ Est.
Quand on allait pêcher, on prenait les tentes et on s'installait juste à côté de l'eau. Juste à côté de l'eau, pas vraiment à côté, mais à quelques mètres. On installait nos affaires, puis je jouais sur le côté avec des seaux, des pelles, des râteaux, je cherchais les coquillages, regardais les poissons, jouais avec le chien. C'était un labrador, tout noir, c'est ma belle-mère qui l'avait recueilli quand il était tout petit. Il avait eu des otites, et son ancienne maîtresse ne s'occupait pas de lui. Et comme elle ne s'occupait pas de lui, les otites ont empiré et il a perdu l'ouïe. Et comme il a perdu l'ouïe, forcément, il ne pouvait pas entendre, et ça ne plaisait pas à sa maîtresse, alors elle l'a abandonné. Ma belle-mère l'a recueilli et s'en est occupé. Quand elle et mon père se sont rencontrés, elle lui a dit : "Toi, tu as un enfant, alors je viens avec mon chien", et il a dit oui. Bandit, il s'appelait Bandit. Mais on l'appelait Mignon. Je ne sais plus pourquoi, je crois que c'est ma petite sœur qui l'a appelé comme ça, et c'est simplement resté. De toute façon, il était sourd, alors un prénom comme un autre, pour lui, ça n'avait pas grande importance.
Quand on allait pêcher, on prenait nos tantes et on s'installait au bord de l'eau pendant que mon père prenait sa canne et sa sacoche à leurres et s'en allait. Au début, il restait à côté de nous. Il pêchait au bouchon. C'est pendant ces moments-là que je pouvais pêcher avec lui, parce que la pêche au bouchon, c'était simple. On attrapait des petits poissons, je ne saurai plus dire lesquels, ça fait un moment que je n'ai pas pêché. Ensuite, quand il commençait à faire nuit (car c'est quand il commençait à faire nuit que les plus gros poissons sortaient) il s'éloignait et on ne le revoyait plus avant deux heures ou trois. Parfois plus. Parfois moins. Parfois les mains vides. Parfois les mains pleines. Parfois avec des leurres en moins parce qu'il en avait perdu au fond de l'eau. Parfois avec des leurres en plus parce qu'il en avait trouvé accroché dans des arbres ou perdus au fond de l'eau.
Il n'y avait pas que la pêche, il y avait aussi les promenades autour du lac. Bandit, ou Mignon, comme vous voudrez, adorait l'eau. Quand il voyait un poisson, il fallait qu'il se jette dans le lac pour tenter de l'attraper. Tenter de l'attraper, mais il n'y arrivait jamais. Les poissons sont plus rapides que lui. Une fois, je crois, il a réussi à en attraper un. Il l'a tout de suite mangé, je crois que c'était un poisson chat. Les poissons chats, se sont des nuisibles. Ils ne sont pas très bons, et envahissent les lacs. Il est dit que quand on en pêche, on ne doit pas les remettre à l'eau. C'est dommage pour les poissons chats. C'est vrai, ils n'ont rien demandé, eux.
Le lac de Carcès est à côté de Cabasse. Cabasse, c'est aussi un lieu qui me parle. Mon père et ma belle-mère ont acheté un terrain à Cabasse. En plein milieu d'un champ, entouré de ronces d'un côté et d'herbes sèches de l'autre. Il n'est pas si grand, il n'est pas si beau, mais on y a installé un portique pour y mettre deux balançoires et un toboggan. Ils ont peu servi, et je crois qu'on s'est fait voler le toboggan, mais ils y sont toujours, parmi les herbes sèches qui nous grattent les jambes et les ronces qui jonchent le sol. Nous avons cueilli beaucoup de mûres, une fois, et avons fait une tarte avec. Elle était bonne.
Le lac de Carcès est important, parce que c'est lui qui alimente en eau beaucoup de villages à proximité. Comme Toulon. Toulon manquait d'eau potable, vers les 1930, alors le village a trouvé sa solution. C'est un vieux lac, formé par un barrage artificiel construit entre 1934 à 1939. Ce qui est triste, c'est que c'est un beau coin. Quand le lac est rempli, c'est beau. Mais depuis plusieurs années, le lac s'assèche. La rivière qui coule à côté de notre terrain à Cabasse est vide, elle aussi. Pas loin de notre terrain, il y a une cascade. Une cascade plutôt haute, et quand il y avait de l'eau, c'était impressionnant à voir. Oh, ça l'était probablement plus encore que maintenant parce qu'à l'époque j'avais neuf, dix ans. Il y avait des jeunes qui se laissaient glisser sur la cascade. D'autres jeunes avaient accroché une corde, un peu en hauteur, et ils prenaient l'élan et ils sautaient et ils s'agrippaient à la corde et ils se laissaient tomber. C'était haut, mais en bas c'était profond et ça ne risquait rien. C'était une des raisons de pourquoi mon père et ma belle-mère avaient pris un terrain là-bas : parce qu'il y avait de l'eau et de quoi s'amuser. Maintenant l'eau a disparu, les arbres que mon père plante ne poussent pas bien, et quand ils poussent, ils sont mangés par les moutons qui viennent pâturer dans notre terrain alors que c'est complètement interdit. Et qu'ils ne disent pas qu'ils ne le font pas exprès : notre terrain est grillagé, il y a des planches en bois qui font office de porte. Qu'un sanglier ait enfoncé le grillage, d'accord. Mais que les bergers enlèvent les planches et fassent entrer les moutons dans notre terrain ? Non, décidément pas légal.
Comme il y a moins d'eau, le lac aussi a moins d'eau. Une fois, mon père m'a montré des ruines qu'on ne pouvait pas voir avant car elles étaient immergées. Maintenant, on les voit presque tout le temps, car le niveau de l'eau est bas. Les ruines sont là, en pierre, vestiges d'une civilisation ancienne. Une fois les travaux finis pour la construction du barrage et la création du lac, trois quartiers ont été engloutis : Brauch, les Lonnes et Camredon (dont la mine d'albâtre). Les ruines que nous avons vu proviennent probablement de là.
Ça va faire un moment maintenant que je ne suis pas retourné ni à Cabasse, ni au lac de Carcès. Ça va faire un moment maintenant que je ne suis pas retourné pêcher avec mon père. Ça va faire un moment maintenant que je n'ai pas fait quelque chose avec ce côté de ma famille. Avec ma mère, mon beau-père et mon autre sœur, qui elle a treize ans mais ma mère et mon beau-père je ne m'en rappelle pas, on fait plutôt régulièrement des sorties. En fait, on essaie. Le weekend, quand il fait beau. La semaine, c'est plus compliqué, parce qu'il y a cours et qu'ils ont leurs propres sorties. Ma mère chante, par exemple, donc elle va souvent à ses cours de chant ou au karaoké. Mon beau-père, parfois il travaille jusqu'à tard, parfois il va voir ses copains, parfois il a son sport, du badminton je crois. Bref, ils sont souvent absents, et ma sœur est souvent seule, et ça la rend un peu triste. C'est vrai, elle n'a que treize ans, c'est jeune.
Avant, c'était surtout avec mon père que je faisais des sorties. Le weekend, c'est toujours le repas de famille. Ou bien le samedi, ou bien le dimanche. Avec ma mère, on ne fait pas souvent de repas de famille. Ils sont plus amis. Je crois qu'il y a des amis de maman que j'ai vu plus de fois que mon propre parrain. Ma marraine, elle, je la vois souvent, parce qu'elle est du côté de mon père, donc je la vois souvent les weekends.
Avant, c'était surtout avec mon père que je faisais des sorties. Des sorties de pêche, mais aussi de balades en randonnées, ou de lieux à visiter, comme des châteaux, des aquariums, des cascades, des fermes. Pendant les vacances, on bouge énormément. C'est un peu fatiguant maintenant, quand je suis en vacance j'ai surtout envie de me poser et de dormir toute la journée. Mais avant, je faisais plein de choses.
J'aimais bien Cabasse. C'était loin, mais c'était un lieu apaisant, avec la forêt autour et le bruit de l'eau en contrebas. Maintenant, c'est tout sec, rien ne pousse, il n'y a plus rien et même le pont est peu accessible, il tombe presque en ruine. Le lac de Carcès ne se remplit pas très vite, on continue de voir les ruines dépasser de l'eau. Je me demande si on y retournera cet été. Ou avant. Ou peut-être pas. Ou peut-être qu'ils iront mais pas moi. Ou peut-être que moi j'irai mais pas eux. On verra bien.
Le lac de Carcès, c'est un lieu qui a bercé mon enfance, mais il ne m'attire plus spécialement aujourd'hui. J'ai envie de voyager, j'ai envie de voir des choses, j'ai envie de faire des choses, de bouger, de ne pas rester toujours aux mêmes endroits. Si j'y retourne, je veux que ça soit dans longtemps, comme ça j'aurai des souvenirs lointains qui reviendront. Pour l'instant, les souvenirs ne sont pas encore lointains, donc ça ne fait pas un grand effet de nostalgie. On verra bien dans plusieurs années.
Fin