Un dîner [de cons] d'artistes (exercice cours d'art et littérature S4)

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On arrive aux travaux d'écriture du Semestre 4, qui se termine à l'heure où j'écris, dans moins de deux semaines ! :') Dans ce semestre, on a jamais autant écris que dans tous mes cours d'écritures réunis, on avait des textes à écrire dans plusieurs matières.

Pour celui-ci, c'était en cours d'art et littérature, on travaillait sur Cardin et Spoerri, deux artistes dont le premier est un spécialiste de la nature morte et l'autre s'amuse à coller des tables et des couverts et à les présenter dans des musées.

La consigne, c'était de les présenter et de comparer un peu leurs œuvres à travers un texte dialogué.  



– C'est amer et beaucoup trop épicé, grimace Armin en reposant sa cuillère dans son assiette remplie de Halászlé*.

– Oh, je ne trouve pas que ce soit très épicé, moi, répond Lajos en goûtant dans l'assiette de son voisin. On sent bien le brochet.

Quatre amis, autour d'une table remplie de différents plats hongrois, plus ou moins épicés selon la tolérance de leur palais. Ils n'étaient pas arrivés ici au hasard : ils avaient été conviés par Daniel Spoerri en personne, et avaient l'immense honneur de participer à la création de son prochain projet.

Pourquoi ces quatre jeunes hommes ? Personne ne le sait vraiment. Le destin les avait réunis tous les quatre sans prévoir qu'ils étaient de vieux amis qui ne s'étaient pas revus depuis longtemps. Ils avaient eu tout leur temps pour rattraper les années perdues et profitaient à présent d'un repas copieux, et surtout gratuit.

Entre les assiettes, du Gulyás*, du Paprikás csirke* et quelques Hortobágyi palacsinta*. Les verres se vidaient vite, changeant constamment de place.

Le projet ? Pour eux, c'était simple ; il leur suffisait de manger. Puis l'artiste s'occuperait de tout, harmonisant les restes alimentaires pour en faire une table œuvre d'art. Le but étant de présenter... Eh bien, un repas terminé. Simple, efficace.

Armin n'était pas convaincu, c'était le moins qu'on puisse dire. Il n'était pas contre un repas gratuit, mais est-ce que le résultat attendu serait aussi spectaculaire que Daniel Spoerri l'affirmait ?

– Mais qui voudrait voir une table ?

Il n'avait pas tellement souhaité parler de vive voix, mais les mots étaient sortis d'eux-mêmes de sa bouche. Gáspár, grand amateur d'art, secouait la tête comme s'il grondait un enfant.

– Tu ne comprends rien, tu n'as pas la sensibilité de l'artiste.

– Je me mets à la place du paysan, du couturier, du maître d'école. Pourquoi viendraient-ils voir une table remplie d'assiettes vides et de verres sales ?

– Je ne comprends pas bien tout, intervient Fábián, la bouche pleine de Lángos. Mais je trouve le concept original.

– Fábián, tu étudies les langues. Tu trouves absolument tout original.

– C'est faux, nia-t-il. Il y a des choses qui sont dépassées.

– Comme les vieilles musiques classiques, complète Lajos.

– Certains ne seront pas de ton avis, lui répond Gáspár. Le goût est subjectif.

– D'accord. Le goût est suggestif. Cependant, je ne reviens pas sur mon avis : qui, de sensé et de normalement constitué, irait voir une table, une nappe jaune, des assiettes à moitié vides et des verres éparpillés dans tous les sens ?

Lajos haussa les épaules.

– Fut un temps où l'idée même d'exposer des tableaux dans une pièce pour les montrer au grand public dépassait l'entendement, renchérit Fábián.

– Exactement, répondit Gáspár. Dis-toi que certains s'extasiaient devant Raisins et Grenade, peint par Chardin. Un tableau qui représente simplement du raisin et des grenades de la façon la plus réaliste possible. "Mais qui irait voir un tableau représentant des fruits ?" me dirais-tu. Eh bien, il y en a, et plus encore que tu ne le crois.

– Diderot lui-même était un grand admirateur de Chardin, ajoute Fábián. Il le considérait comme un grand artiste, un peintre de renommée, capable de réhausser l'estime que le monde avait pour la peinture morte. "Celui qui étudiera Chardin sera vrai", écrit-il dans ses essais sur la peinture. (Essais sur la peinture, Diderot)

– Tu te prends pour un professeur ou bien ? répond Armin, sarcastique.

– Oh, je peux t'en citer une autre, rien que pour toi, rétorque Fábián, piqué au vif. "Ce n'est pas ainsi qu'en usent Vernet et Chardin ; leur intrépide pinceau se plaît à entremêler avec la plus grande hardiesse, la plus grande variété et l'harmonie la plus soutenue, toutes les couleurs de la nature avec toutes leurs nuances." (Essais sur la peinture, Diderot) C'est bon, c'est assez "professoresque" pour toi ? Encore une ?

– Est-ce que tu peux me passer le sel, s'il te plait ? demande discrètement Lajos à Armin, voyant bien que l'atmosphère changeait progressivement en quelque chose qu'il n'aimait guère.

– Oui, mais enfin, un tableau, c'est déjà un certain degré d'art. La peinture n'est pas à la portée de tout le monde.

– Décidément pas à la tienne, en tout cas, se moque Gáspár en riant.

Si Armin avait pu le fusiller du regard, Gáspár ne serait plus de ce monde.

– Non, mais je suis d'accord avec Armin, intervient Lajos. La peinture, c'est une technique plutôt particulière. Surtout si vous dites que ce Chardais, ou je-ne-sais-plus-bien-son-nom, arrivait à rendre ses peintures réalistes. Une table, des assiettes et des verres, ce sont des matériaux qui existent réellement, donc il n'y a pas besoin de les rendre réalistes puisqu'ils le sont d'eux même. Et j'admets que le concept est assez abstrait, je veux dire, si je me retrouvais moi-même devant une table avec des assiettes vides et des verres éparpillés, je me demanderai probablement ce que cette chose ferait ici et en quoi ce serait une œuvre d'art.

C'était définitivement la première fois que Lajos parlait aussi longtemps. Pour dire des choses intéressantes, de surcroît.

– Enfin, finit-il. Vous feriez mieux de finir de manger avant que tous les plats ne refroidissent.


*

Halászlé : Une soupe de poisson épicée, souvent préparée avec des poissons d'eau douce comme le poisson-chat, le brochet ou la carpe.

Goulash (Gulyás): Un ragoût épicé à base de viande de bœuf, de poivrons, de tomates et de paprika, généralement servi avec des nouilles ou du pain.

Paprikás csirke : Un plat de poulet en sauce crémeuse au paprika, souvent servi avec des nokedli (sorte de petites pâtes) ou des pommes de terre.

Hortobágyi palacsinta : Des crêpes farcies de viande de poulet ou de veau, assaisonnée, servies avec une sauce crémeuse.


Fin

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