Tutoiement (texte concours)

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Lui, le thème était imposé, on devait écrire sur le tutoiement (remarquez combien je me suis foulé pour trouver un titre), et c'était 2 pages max il me semble.



– Et puis d'un coup, la bombe a explosé. Boum ! Un million de morts. Donc après, les scientifiques sont intervenus, ils ont retrouvé les traces de doigts de la femme blonde, et elle a été arrêtée. Alors que ce n'était même pas elle, la coupable !

– Mm hm.

– Et ensuite, l'inspecteur qui est à fond sur la femme a continué sa petite enquête, et il a trouvé la fameuse drogue HP604 dans la voiture du vrai criminel, celui que la blonde n'arrêtait pas d'accuser.

– Si tu me racontes la fin du film, je jure que je vais te trucider.

Luka se tut, amusé, et sortit ses cahiers. Je me hâtai de prendre sa trousse – unie, blanche, bien propre – et d'y inscrire mon nom dessus, au feutre rouge. Les autres élèves s'installaient tranquillement à leur place, bavardant avec leurs copains, heureux de se retrouver après deux longs mois de vacances. Les discussions n'étaient pas très originales ; on nageait entre « T'étais où cet été ? » et « Faudra se refaire une autre soirée, c'était cool ! ». Certains, plus réservés, écoutaient sans parler, cherchant du coin de l'œil les nouveaux arrivants en espérant y voir un ami. Un autre, les écouteurs aux oreilles, semblait dormir.

– T'es sérieux, là ? râla-t-il. Tu sais combien je l'ai payée ?

– Combien ta mère l'a payée, tu veux dire. Tu ne dépenses jamais rien.

– Elle était toute neuve. Pourquoi t'as écrit ton nom ?

– Pour que tu penses à moi tous les jours, riais-je en ouvrant mon propre cahier et en y inscrivant, sur la première page, le mot « italien » en grosses lettres.

– Difficile de t'oublier, avec ton caractère de cochon, marmonna-t-il, se prenant ainsi mon coude dans les côtes.

Une jeune femme entra finalement dans la salle. Elle était plutôt jolie, avec sa chemise ample à carreaux et ses cheveux bruns relevés en chignon décoiffé. Elle posa ses affaires sur son bureau, puis nous fit face en souriant.

– Bonjour ! Je suis Mme Melloni, votre professeure d'italien. Je viens de Florence, et c'est la première fois que j'enseigne en France. Je m'excuse d'avance pour mon accent ou pour mon vocabulaire assez restreint. Puisque je suis aussi votre professeure principale, je vais vous parler du bac que vous allez passer en fin d'année.

– Ce qu'elle a l'air nouille, ricana une fille derrière nous, nous faisant nous retourner. Son accent est ridicule.

– C'est toi qui es ridicule, répondit Luka brusquement.

– Non, moi c'est Lara.

– Hilarant.

– Il y a un problème ?

Tels des ressors, nous revenons à notre position initiale. Mme Melloni nous regardait avec intérêt ; elle n'avait pas l'air méchante, et je ne discernai aucune trace de mépris ou de colère dans sa voix. Elle nous regardait à tour de rôle, Luka et moi, et je finis par secouer la tête.

– Non, aucun. On parlait juste. Désolé.

– Ça ne fait rien ! répondit-elle de bonne humeur. Je comprends que vous ayez envie de parler, c'est normal. Je vous demande juste d'écouter les conseils que je vais vous donner pour réussir votre année. C'est tout à votre avantage. Vous pouvez ranger votre cahier si vous voulez, jeune homme, nous n'en aurons pas besoin aujourd'hui.

Je lançai un regard ahuri à mon ami, qui me le rendit. La classe se fit soudain tout à fait silencieuse, ce qui sembla déconcerter Mme Melloni.

– Qu'y a-t-il ? demanda-t-elle, inquiète. Vous ne parlez pas de ce genre de choses, ici ? C'est bien cette année que vous passez le bac, n'est-ce pas ?

– Vous m'avez vouvoyé ?

Ce fut tout ce que j'arrivai à répondre, encore perplexe par la semi affirmation que je venais d'énoncer à haute voix. Elle haussa les sourcils, à son tour étonnée.

– Oui ? Elle répondait comme si ça tombait sous le sens. C'est une forme de respect ? Vous me vouvoyez, je vous vouvoie.

– Personne ne nous vouvoie jamais, continua Luka à ma place. On a toujours été tutoyés par nos professeurs.

– On n'est pas habitués à être respectés, lança Lara, sarcastique. Bienvenue en France.

– C'est bizarre que vous nous vouvoyiez, repris-je. Vous voulez bien nous tutoyer ?

– C'est plus naturel pour nous, renchérit un garçon deux rangées devant nous.

Mme Melloni restait confuse. Elle nous regardait tous, à tour de rôle ; chacun hochait la tête, chuchotait à son voisin, souriait d'un air attristé.

– Vous voulez dire... qu'aucun de vos professeurs ne vous vouvoie ?

– Aucun, assura un autre que j'avais vu quelques fois en travaux pratiques, sans me rappeler son nom. Mais c'est plutôt normal pour nous.

– Quand on nous vouvoie, on a l'impression de devenir vieux ! s'exclama une fille au premier rang, provoquant le rire – presque – général.

L'intéressée se massa le crâne, pensive, muette, ses ongles s'enfonçaient presque dans sa peau. Le brouhaha finit par se dissiper, et le calme s'installa. Elle finit par retourner à son bureau, toujours aussi interdite, et une bonne minute s'écoula, pendant qu'elle semblait méditer nos propos.

– Je ne peux pas vous tutoyer, déclara-t-elle finalement. C'est contre mes principes.

– Madame, dis-je, c'est comme si nous on vous tutoyais. Ce serait trop bizarre.

– Mais si je vous tutoie, c'est pour moi que ce sera bizarre ! Ceux qui se tutoient sont des jeunes, des amis, des proches, des membres de la famille. Nous ne sommes rien de tout ça. En Italie, tout le monde se vouvoie, tout le monde se respecte. Je ne comprends pas pourquoi ici ça n'est pas le cas.

– C'est parce que vous êtes trop gentille, répondit un autre. Ce n'est pas votre faute.

– On a qu'à être tous amis, alors ! proposa Luka en riant. Comme ça, vous pourrez nous tutoyer.

Mme Melloni le regarda comme s'il lui annonçait la troisième guerre, et éclata de rire.

– Vous, les français, vous êtes si étranges ! Très bien, si vous voulez ! Je vais vous tutoyer. Allez-vous écouter mes conseils, à présent ?

Après ça, dans la bonne ambiance générale, nous avons discuté de l'examen qui nous attendait, du programme que nous allions parcourir et du tralala qui allait avec.

En mi-juillet, c'était avec une joie non dissimulée que j'avais découvert mon 17.5/20 pour mon épreuve d'italien.


Fin

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