Entre deux océans - Tome 2

By evaaans23

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Ravensbrück, Auschwitz, Mauthausen, des noms qui inspirent la terreur. Des noms de la mort. Alors que Blaine... More

Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32

Chapitre 28

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By evaaans23

- Catherine -

L'odeur du désinfectant et le bruit infernal d'un vrombissement m'ont sortie d'un interminable cauchemar. 

J'avais beau être consciente d'être dans un rêve, je n'arrivais pas à ouvrir les yeux. J'ai dû me rendormir car j'ai replongé dans ce monde de semi-conscience. Mon corps était rigide et j'avais beau me hurler de me réveiller, je n'y parvenais pas. Je tanguais comme si j'étais allongée sur la couchette d'un navire. 

Quand j'ai enfin ouvert les yeux pour de bon, j'ai été aveuglée par la lumière trop vive que les vieilles tentures de l'hôpital ne parvenait pas à filtrer. J'ai vu quelqu'un à côté de moi sans le reconnaitre et j'avais une furieuse envie de vomir.

J'ai cligné plusieurs fois des yeux avant de reconnaitre grand-père qui somnolait dans un vieux fauteuil abimé. Ses lunettes ne tenait que par une branche qui était en équilibre précaire sur son oreille.

J'ai essayé de parler mais une vive brulure a enflammée ma gorge et ma bouche m'empêchant d'émettre plus que de petits sons étouffés. 

- Coucou ma puce.

J'ai reconnu la voix de ma mère mais quand j'ai voulu tourner ma tête vers elle, celle-ci s'est mise à me faire atrocement souffrir à son tour. 

- Le médecin a dit que tu te sentirais sans doute un peu groggy. Tu veux de l'eau ? Tu y a droit.

J'ai fait un léger mouvement de la tête pour lui signifier que je ne voulais pas d'eau. Il y avait toute une fanfare qui jouait dans ma tête me donnant la migraine sans pour autant empêcher mon cerveau de penser à un million de chose en même temps. 

- Catherine, s'est réveillé grand-père. Tu vas bien ?

Non. Mon envie de vomir empirait et je me suis mise à pleurer sans m'en rendre compte. Bientôt, mes larmes se sont transformées en sanglot incontrôlable, des spasmes douloureux m'ont oppressés la poitrine et j'ai fini par vomir alors que le médecin arrivait, alerté par maman, pour m'injecter un calmant qui m'a aussitôt replonger dans un monde de cauchemar auquel je ne parvenais pas à échapper. J'avais envie de hurler mais à chaque fois que je m'apprêtais à le faire, une ombre noire abattait sa main sur ma bouche pour me faire taire. Mes yeux refusaient de s'ouvrir et emprisonnée dans l'obscurité, j'ai dû subir mes peurs encore et encore.

Quand j'ai enfin reprit connaissance, il faisait nuit. Ma gorge me faisait toujours souffrir, ma tête moins. Il y avait une bouteille d'eau et une boite d'ores posés sur la table de nuit à côté du lit. J'ai parcouru la pièce des yeux pour constater que ma mère n'était plus là contrairement à grand-père qui zappait au hasard. Il n'avait pas remarqué que j'étais réveillée. 

- Grand-père, ai-je murmuré.

Ma voix était rauque, ma bouche affreusement sèche et je mourrais de soif. J'ai tendu la main vers la bouteille d'eau mais je l'ai fait tomber par terre. Grand-père s'est levé aussi vite qu'il a pu pour la ramasser et verser un peu de liquide dans un gobelet.

- Comment tu vas Catherine ?

Il était inquiet. Ça se voyait. Ce n'était pas bon signe. Il ne laissait jamais transparaître ses émotions. Je lui étais tout de même reconnaissante pour ne pas me regarder de la même façon que ma mère l'avait fait plus tôt ce jour là : avec pitié, comme si j'étais une petite chose fragile prête à se briser si on lui lâchait la main.

- Je ne sais pas, ai-je répondu sincèrement.

Je savais que j'avais mal un peu partout, que j'avais très faim, très soif et un petit peu froid. Ou chaud. Ça dépendait du moment. Les évènements de la veille me revenait par flash et je m'efforçais à chaque fois de les faire disparaître. Je les avais déjà assez revécus durant mon sommeil.

- Comment ?

Je voulais lui demander comment j'étais arrivée à l'hôpital, mais j'avais encore du mal à parler correctement. 

- Comment tu es arrivé ici ? a demandé grand-père.

J'ai fait oui de la tête.

- C'est un employé du fast food qui t'a entendu crier. Il s'est battu avec ce sale petit vaurien et ensuite il t'a conduite à l'hôpital. Le chef du service a appelé la police et c'est mon ami Jim qui lui a répondu, il m'a tout de suite contacté. 

Je n'ai pas écouté ce qu'il m'a dit ensuite. J'avais de vague fournir de quelqu'un projetant Travers au sol mais pas du reste. 

- Ne t'inquiète pas Catherine, ce garçon ne te touchera plus jamais, a dit fermement grand-père. 

Je pense qu'il devait avoir peur que je pense trop alors il s'est mis à parler de tout et de rien. Ce n'était pas dans ses habitudes et il n'étais d'ailleurs pas très doué pour ça. Il m'a raconté en détail le match de basket d'une équipe qui m'était totalement inconnue. Si j'avais eu assez de force, je lui aurai rappelé que ni lui ni moi n'aimions le basket. 

J'allais m'endormir quand des agents de police sont entrés dans ma chambre. J'ai d'abord pensé qu'il venait pour me poser des questions mais ils étaient là pour grand-père.

- Vous faites quoi ? Grand-père il se passe quoi ?!

Je me suis levée, arrachant au passage la perfusion qui était dans mon bras, pour m'approcher des agents de police.

- Qu'est-ce que vous faites ? Vous lui faites mal, ai-je dit à l'agent qui tenait le bras de grand-père dans son dos.

Mais c'est alors que j'ai compris. J'ai vu la main de grand-père, sa vieille main parsemée de tâches brunes et d'ecchymoses. 

- Grand-père, qu'est-ce que tu as fait ? ai-je paniqué.

- Monsieur Jonathan McMuellen ? a demandé l'autre policier.

- Oui, c'est moi. Ne t'inquiète pas Catherine, ça va aller. 

Maman est arrivée au moment où il se faisait passer les menottes.

- Monsieur McMuellen, je vous arrête pour coups et blessures volontaires. Veuillez-nous suivre.

Maman et moi l'avons regardé se faire emmener sans savoir quoi faire. Le dos vouté, la démarche mal assurée à cause de son arthrite, il s'est tourné vers moi pour me lancer un clin d'oeil rassurant. Il n'avait pas l'air de s'inquiéter. Il avait dit que plus jamais Travers ne me toucherait. J'ai senti mon coeur s'emballer dans ma poitrine, prise de vertige, j'ai du m'asseoir tandis que maman suivait les policiers.

- Catherine, je vais appeler ton oncle, a dit maman qui était revenue dans ma chambre. 

- C'est de ma faute, ai-je dit entre deux sanglots.

- Non, bien sûr que non.

- Blaine m'avait prévenue mais je ne l'ai pas écouté. Grand-père aussi s'inquiétait de mon amitié avec...

- Catherine, tu ne pouvais pas savoir. Ce n'est pas de ta faute, a-t-elle répété fermement. Travers t'a drogué et ensuite il a voulu profiter de toi. Et ton grand-père... si cet imbécile de chef de la police m'avait appelée moi au lieu de le prévenir lui en premier. 

Maman s'est mise à pleurer à son tour.

- Il m'a téléphoné en me jurant qu'il allait le tuer mais je n'aurais jamais cru qu'il le ferait, a-t-elle lâché de façon hystérique. 

Je suis rentrée le lendemain à la maison accompagnée de vertiges, de nausées et d'écorchures. Maman m'a déposée devant la maison avant de partir au poste de police. Elle espérait que Jim, l'ami de grand-père, l'aiderait un peu à s'y retrouver. Elle savait que grand-père avait été transféré en prison alors être resté toute la nuit en garde à vue. Elle n'avait pas été autorisée à aller le voir ni même à lui donner ses lunettes. Mon oncle Kieran devait arriver dans la soirée.

D'autres agents étaient venus me voir pour prendre ma déposition. J'avais essayé de savoir de quoi on accusait vraiment mon grand-père mais il avait refusé de me répondre. Je n'avais pas dormi cette nuit là et je savais que je ne dormirais pas plus maintenant que j'étais chez moi alors que mon cerveau en ébullition me secouait de crise de panique. Pour essayer de me détendre un peu, j'ai pris une douche, regardé la moitié d'une série irlandaise qui passait à la télé et préparé des sandwichs pour maman et Kieran ce soir. J'allais faire la vaisselle quand j'ai vu un morceau de papier sur la table. Un numéro de téléphone et un nom était écrit de façon grossière. En-dessous, l'écriture soignée de maman indiquait qu'il s'agissait du serveur du fast-food.

J'ai pris le combiné du téléphone, j'ai hésité une demi-seconde puis j'ai composé le numéro. 

- Allo ?

Je suis restée figée. J'avais espéré tomber sur la messagerie vocale. 

- Allo ? a-t-il répété.

J'allais raccroché quand je me suis ravisée alors qu'il disait "allo" pour la troisième fois.

- Bonjour, je... je parle bien à Tyler Ryan ?

- Oui, c'est bien moi, a répondu une voix grave à l'accent très marqué.

- Bonjour, je m'appelle Catherine. Catherine Evans. Je suis... je suis la fille que vous... enfin sur le parking...

- Oh oui bien sûr ! s'est-il exclamé avec une certaine gaieté dans la voix. Je suis content de t'entendre, j'espérais bien avoir de tes nouvelles. Tu vas bien ?

- Je... Honnêtement, je ne sais pas trop. 

- Je comprends ou du moins j'imagine.

Il y a eu un silence que ni lui ni moi n'osions briser. Finalement, Tyler s'est raclé la gorge.

- Je suis content que tu ailles bien. Je vais te laisser...

- Non ! me suis-je écriée. Enfin, je veux dire... si tu as un peu de temps est-ce qu'on peut parler de ce soir-là ? J'ai l'esprit un peu embrumé et j'essaye de me souvenir de certaines choses.

- Oui, vas-y. 

Il m'a raconté comment il s'était rendu compte qu'il se passait quelque chose de louche et qu'en s'approchant de la voiture, il avait vu ce que Travers essayait de faire. Il se sont un peu battu mais il n'a pas mis longtemps à avoir le dessus.

- Il se battait comme une fille, a-t-il plaisanté. Sans t'offenser bien sûr.

- Y a pas de mal. Est-ce qu'il a déposé plainte contre toi ?

- Non, mais ce serait culotté tu ne crois pas ? 

J'ai fait une grimace en me demandant à quel point Travers pouvait se permettre de l'être et en essayant d'estimer le nombre de fois où l'argent de sa famille l'avait sans doute tiré d'un faux pas. 

- Et après ça tu m'as emmené à l'hôpital, ai-je supposé. 

- Pas tout à fait.

Il m'a expliqué que j'avais vomi plusieurs fois avant de m'écrouler au sol. Il n'avait pas eu le temps de me rattraper et j'avais cogné ma tête sur le bitume, ce qui expliquait la bosse que j'avais à l'arrière du crâne.

- Tu es restée comme ça au sol avec les yeux grands ouverts. J'ai bien cru que tu étais morte. J'allais prendre ton pouls quand tu t'es mise à rire comme une folle. Je t'ai relevé et je t'ai fait monter dans ma voiture. Tu l'as redécorée avec ton vomi. Deux fois.

Honteuse, je lui ai dit que je paierai pour les frais de nettoyage mais Tyler mais il a répondu qu'il s'en fichait et que je n'avais pas à m'inquiéter pour ça. Il avait dû attendre la police pour leur livrer son témoignage et l'un des médecins avait trouvé ma carte d'identité et c'est comme ça que grand-père avait été averti par son ami de ma présence à l'hôpital.

- Ton grand-père a failli m'étrangler, genre littéralement, a-t-il rajouté en riant faux.

J'ai émis un grognement entre le rire et les larmes. Je ne savais pas ce qu'il avait fait à Travers mais j'étais à peu près certaine qu'il ne devait pas s'agir d'une tape amicale dans le dos puisqu'il était en prison et mon agresseur... et bien je l'ignorais.

- Je voulais attendre d'avoir de tes nouvelles mais il était déjà tard, a repris Tyler. J'ai laissé mon numéro à ton grand-père et je suis content que tu m'as appelé. 

Nous avons continué à échanger quelques banalités, ne sachant pas ni l'un ni l'autre comment prendre congé. Quand j'ai finalement reposé le combiné du téléphone sur son support, j'ai essayé d'appeler ma mère sans succès. Comme je ne voulais pas passer mon après-midi à tourner en rond à attendre de ses nouvelles, je me suis préparée pour aller courir sauf qu'une fois arrivée sur le pas de la porte, je me suis raidie, parcouru de frissons et j'ai été incapable de sortir de la maison. 

Je me suis posée devant la télévision en la regardant sans la voir. J'ai dû m'endormir à un moment parce que je n'avais pas entendu la voiture qui venait de se garer devant chez moi. Le bruit d'une clé dans la serrure m'a fait sursauter, mon coeur s'est accéléré jusqu'à ce que je reconnaisse mon oncle.

- Oncle Kieran ?

- Ta mère arrive, elle est partie chercher Sam. 

- Tu as des nouvelles de grand-père ? ai-je demandé en lui prenant son manteau des mains pour l'accrocher à un patère déjà bien encombré. 

- Non, je viens juste d'arriver à Galway. Ma voiture de location n'était pas prête quand je suis arrivé, j'en ai eu une autre mais ça a pris du retard et je viens juste d'avoir Maïra au téléphone qui ne m'a rien dit de plus que ce que je viens de t'annoncer.

Il essayait de rester calme mais il n'avait de cesse de serrer et desserrer les mâchoires. Intérieurement, il bouillonnait. Il a posé un regard lourds de questions sur moi mais a eu l'élégance de n'en poser aucune. C'était la première fois que j'étais mal à l'aise en sa présence. Lui ne savait pas où poser les yeux.

- Je vais me faire du café, a-t-il fini par dire en se dirigeant vers la cuisine.

Je ne l'ai pas accompagné. J'avais peur qu'il me reproche ce qui était en train d'arriver et il n'aurait pas eu tord. Si je n'avais pas été aussi stupide, si j'avais écouté Blaine en premier lieu, tout ça ne serait pas en train de nous tomber dessus. 

Maman est arrivée avec le chien de grand-père une heure plus tard. Entre temps, Kieran était venu s'asseoir près de moi au salon et sans un mot, avait pris ma main dans la sienne ce qui avait un peu apaisé la tension qui pétrifiait tous mes muscles. 

- Alors ? avons-nous demandé à l'unisson alors qu'elle venait de franchir le seuil de la porte.

Elle n'a pas répondu tout de suite. Elle a pris un temps qui m'a semblé infini pour retirer son manteau et son écharpe tandis que Sam venait nous faire la peine. 

- Maïra ? a dit mon oncle en essayant de rester calme.

Mais elle ne lui a pas répondu. Elle est partie dans la cuisine où elle a mis une casserole sur le feu. Nous l'avons suivi en la regardant couper avec minutie des carottes. 

- Maman ?

- Maïra ? 

Elle a soupiré bruyamment face à notre insistance, manquant de se couper un doigt quand elle a éclaté en sanglot. Kieran et moi nous sommes regardés, nerveux et pas sûr de ce que nous devions faire ou dire. 

- C'était tellement dur de le voir dans cet endroit, a-t-elle fini par lâcher. 

Kieran, qui n'était pas très démonstratif, lui a gentiment tapoté la main en lui tendant la boite de mouchoir qui trainait sur le dressoir. Après s'être mouché bruyamment, elle nous a dit que grand-père avait passé la nuit au poste avant d'être transféré et qu'il avait refusé de dire quoi que ce soit tant que son avocat ne l'avait pas rejoint. 

- Une sage décision, a commenté Kieran en hochant la tête.

- Grand-père connait des avocats ? 

- Je suis aussi surprise que toi mais figure-toi que ton grand-père semble avoir une liste de contact longue comme le bras. Bref, on ne sait pas grand-chose pour le moment. 

- Et le garçon qu'il a frappé ? a demandé Kieran.

Maman m'a regardé avec hésitation. Je lui ai fait un signe de tête pour qu'elle réponde.

- Il a une commotion cérébrale mais rien de bien grave d'après notre avocat. Du moins, sa vie n'a pas été mise en danger. Il a aussi la mâchoire démise, plusieurs dents cassées et... 

D'un geste vif de la main, je l'ai pressée de continuer.

- Ton grand-père l'a agrippé aux... à ses parties. Il a quelques soucis à ce niveau là donc.

- Bien, pas grand chose donc, a dit Kieran avec sarcasme.

J'ai enfoui ma tête entre mes mains, partagée entre l'envie de rire et de pleurer. J'ai fini par faire les deux.

- Tu ne vas pas t'y mettre aussi, a dit Kieran en tapotant maladroitement mon épaule.

- Tout ça, c'est de ma faute, ai-je hoqueté.

- Catherine, a doucement dit maman.

- Catherine, l'a coupé mon oncle, j'ai un peu d'expérience avec la gente féminine. J'en ai aussi avec les salauds dans le genre de ce type qui a voulu te faire du mal. Ce petit enfoiré de fils de riche qui croit que tout lui est dû t'a drogué pour pouvoir abuser de toi. C'est méprisable. Mais je crois que tu es assez intelligente pour savoir que rien n'est de ta faute.

- On m'avait dit de me méfier de lui.

- Et parce que tu ne les as pas écoutées ça justifie son acte ? Et puis peut-être que ta jupe était trop courte et que tu étais trop maquillée. Catherine, tu sais que je ne suis pas du genre à suivre tous ces mouvements qui ne sont féministes que de nom mais je suis assez d'accord sur le fait qu'à notre époque une femme ne devrait plus avoir à porter la honte et la culpabilité de son agresseur. 

- Mais maintenant, à cause de moi, grand-père risque d'aller en prison. Il ira en prison, la famille de Travers à les moyens de l'y envoyer.

- Pour le moment nous n'en savons rien, a tempéré Kieran. 

Et nous n'avons rien su pendant treize jours. Treize longues et interminables journées durant lesquelles mamans ne faisaient que cuisiner tandis que Kieran, entre du télétravail et des appels professionnels, était en contact avec l'avocat de grand-père. 

Pour me changer les idées, j'étais retournée au travail mais j'avais la tête ailleurs et au bout de quatre jours, Jake qui avait été mis au courant de tout par maman qui n'avait pu s'empêcher de l'informer afin qu'il garde un oeil sur moi m'a suggéré de prendre un peu plus de temps pour moi et de revenir quand je serais vraiment prête. Quand j'avais insisté que je voulais rester et que j'allais faire plus d'efforts, il m'a avoué qu'il allait fermer le magasin.

- Quoi ? ai-je questionné en écarquillant les yeux.

- Je ne voulais pas te tracasser davantage en te le disant mais je vais le revendre. Avec l'argent, je vais pouvoir me consacrer à mon refuge et puis soyons sérieux, on a tellement peu de client que tu as eu le temps de lire tous les Harry Potter deux fois. 

- Oui, mais j'ai besoin de cet emploi !

- Oui, je sais mais je me fais vieux et j'ai envie de revoir mes priorités pour faire quelque chose qui me tient un peu plus à coeur. Tu vas recevoir une indemnité généreuse avec ton dernier salaire. Tu n'as qu'à en profiter pour faire un petit voyage et te changer les idées ailleurs.

Je suis rentrée chez moi dépitée, riant de la facilité qu'avait les gens à vous conseiller de partir voyager pour vous changer les idées comme-ci cela réglait tout. Ou comme-ci nous n'avions pas besoin de cette somme supplémentaire d'argent inattendue pour autre chose de plus important qu'un petit vol vers l'étranger tout en sachant qu'à notre retour, nous n'aurions plus de quoi faire bouillir la marmite. 

J'avais passé les deux journées et nuis suivante à cogiter en dormant à peine quelques heures. Je ne mangeais plus, j'avais des cernes de dix mètres de long sous les yeux et ma tête me donnait l'impression qu'elle allait exploser à tout instant si mon cerveau ne se décidait pas à la mettre en sourdine. Au septième jour, j'étais épuisée, mais j'avais une idée. 

C'est le matin du treizième jours que mon idée a frappé à la porte. Je me suis précipitée dans les escaliers pour empêcher ma mère d'ouvrir la porte.

- Attend. N'ouvre pas, lui ai-je ordonnée en lui bloquant l'accès à la porte.

- Pourquoi ?

Elle m'observait avec précaution comme si j'étais une bête dangereuse qui pouvait la mordre à tout moment.

- Avant je dois te dire que j'ai sans doute réussi à trouver comment arranger les choses pour grand-père. 

- Et qu'est-ce que ça a à voir avec la personne qui essaye de défoncer notre porte ?

La sonnette avait laissé place à des coups bien sentis sur le bois vieilli de notre vieille porte verte.  J'ai ouvert avec appréhension, ne sachant pas vraiment à quoi m'attendre malgré notre appel téléphonique plutôt cordial. Un homme de grande taille au front un peu dégarni s'est avancé vers nous avec un sourire rassurant.

- Maman, je te présente George, le père de Blaine. Je lui ai téléphoné il y a quelques jours et je lui ai laissé les coordonnées de Kieran et je crois qu'ils sont parvenus à un accord.

George a tendu la main vers ma mère qui l'a serrée du bout des doigts. Comme elle ne réagissait pas, je l'ai invité à s'asseoir à la table de notre salle à manger qui me semblait bien modeste tout à coup mais à aucun moment George n'a paru s'insurger de nos vieux meubles démodés ou du tapis qui se décollait au coin des murs. 

- Catherine m'a tout expliqué et elle a bien fait de m'appeler. Mon frère ne m'avait soufflé cette histoire qu'à mi-mot et j'ignorais alors qu'il s'agissait de toi Catherine. Bien sûr, que ce soit toi ou une autre, cela n'excuse en rien ce qui c'est passé mais...

Il n'a pas terminé sa phrase, conscient qu'il risquait de nous heurter toutes les deux. La vérité, c'était que Travers avait déjà eu des actes déplacés envers les filles et qu'à force de scandal et malgré l'argent de sa famille, l'université où il faisait son master avait souhaité qu'il le termine ailleurs. En échange, aidé d'une généreuse donation, il avait fermé les yeux sur un incident plus ou moins grave. Du moins, c'est en ces termes que George nous l'a expliqué. 

- Et son père ne dit rien, il se contente de payer ?! s'est offusquée maman.

Mal à l'aise, George n'a pas vraiment su quoi répondre. Il a dit du bout des lèvres qu'il ne cautionnait pas ce comportement mais maman l'avait tout de suite rabroué en lui disant que dans tous les cas il ne le condamnait pas. Malheureusement, elle était loin d'être au bout de ses surprises. Travers avait dit qu'il était près à négocier avec son oncle à la condition que je retire ma plainte. 

- C'est hors de question ! s'est-elle écriée.

- C'est trop tard, ai-je murmuré.

- Mais, mais... je...,a-t-elle bafouillée avant d'exploser. C'est à cause de ça que ce genre de personne s'en sort toujours ! 

- Oui maman, c'est parce que certaines personnes peuvent payer leur liberté qu'elles s'en sortent. Mais en retour, je vais faire sortir grand-père de prison. 

Du moins, à ce stade, je j'espérais. George n'avait pas encore vu son neveu mais il était plutôt optimiste quant à l'issue de cette histoire pour grand-père. Apparement, ce n'était pas la première fois qu'un parent en colère s'en prenait à Travers. 

Je n'ai pu m'empêcher de me demander si Blaine connaissait tous les cadavres qui se trouvait dans le placard de son cousin ou s'il n'avait que des soupçons à cause de certains bruits de couloirs qui lui étaient parvenus. 

George a pris congé de nous en nous promettant de régler tout ça au plus vite. Il n'avait pas menti. Deux jours plus tard, Kieran se garait dans l'allée sombre, l'unique lampadaire de la rue n'ayant toujours pas été remplacé. 

- Kieran, pourquoi tu es tout seul ? lui ai-je demandé, Sam sur mes talons.

- Ne t'inquiète pas. Tout c'est bien passé. Ce petit merdeux a tenu sa parole puisque tu en as fait de même. 

Le regard sombre, oncle Kieran ne cessait de serrer et desserrer les poings tel un boxeur de rue près au combat. 

- Ca va oncle Kieran ? ai-je demandé prudemment. 

- Je trouve ça tellement injuste pour toi Catherine. Au final, c'est toi et ton histoire qu'on a sacrifié.

- La vie est souvent injuste mais dans ce cas, je l'ai fait pour grand-père.

- Oui, je sais et nous t'en sommes tous très reconnaissant. Mon père est vieux et en mauvaise santé et il a agi sous le coup de l'émotion mais au final, on a laissé triompher un petit salopard qui recommencera. 

J'ai secoué la tête pour m'empêcher d'y penser, je l'avais déjà trop fait depuis que j'avais accepté la proposition de George. 

- Je ne peux pas sauver tout le monde oncle Kieran. Et tu as bien vu que sa famille a beaucoup de contact que ce soit au Royaume-Uni ou en Irlande. Il faut être réaliste, on aurait fini par en arriver à se réunir tous ensemble pour signer un accord. Les honoraires auraient ruiné maman.

- Je sais. Je ne dis pas ça pour te faire culpabiliser. Excuse-moi.

- Et grand-père, il arrive quand ? 

- Ta mère va aller le chercher demain. 

- Elle est où là ?

- Elle avait besoin de décompresser, elle m'a demandé de la laisser à un club de... tricot, c'est possible ?


Grand-père est arrivé à la maison le lendemain après-midi, un sourire aussi radieux que le soleil qui brillait de toutes ses forces comme pour fêter le retour du fils prodigue. Sam s'est jeté sur lui pour lui faire la tête tandis que je l'observais un peu en retrait comme-ci je le rencontrais pour la première fois. 

- Catherine, a-t-il dit en s'approchant de moi.

- Crétin, ai-je répondu sèchement.

- Je le referais.

J'en étais certaine. Il n'avait pas l'air d'éprouver le moindre remord. 

- Tu n'es pas naïve Catherine. Tu sais comment le monde fonctionne. Tu sais comment le monde de ton petit copain fonctionne. Tu aurais fini par accepter de l'argent pour pouvoir laisser cette histoire derrière toi. Ou alors, il aurait été acquitté sous prétexte que ta robe était trop courte ou parce que tu portais l'un de ces machins avec une ficelle en guise de sous-vêtement. Il aurait même pu prétexter que c'était à cause de la façon dont tu avais remué l'oreille ce soir-là qu'il aurait réussi à s'en tirer. 

- Tu aurais pu rester en prison !

-  Ça ne m'aurait pas posé de problème. Dans quelques mois j'aurai plus d'un siècle, ce n'est pas un pied dans la tombe que j'ai, ce sont les deux. J'aurais été en prison en sachant qu'il avait au moins reçu plus qu'une petite tape sur l'oreille. Et si on ne m'avait pas arrêté, je l'aurais tué.

Un silence de mort s'est abattu dans la pièce face à cette dernière déclaration. Il avait dit ça avec beaucoup de calme comme il aurait pu me parler des résultats des courses hippiques. 

- Catherine, a dit maman en se raclant la gorge, George est dehors. Il aimerait bien discuter avec toi si tu es d'accord.

Je suis sortie sans savoir si j'étais énervée, abasourdie ou toute autre émotion que je ne pouvais pas nommer là tout de suite. 

- Bonjour Catherine, a dit George qui était assis sur le capot de sa voiture de location. Tu veux bien qu'on aille faire un tour ?

Nous sommes allez marcher jusqu'à nous retrouver près du phare qui fait face à la mer. Celle-ci était plutôt agitée, un peu comme mon esprit.

- Je suis vraiment content que tu m'aies appelé. J'aurais été triste que cette histoire ne puisse pas bien se finir pour toi. Je n'ai pas les mots pour te dire à quel point je suis honteux et désolé pour ce que mon neveux t'a fait.

- Mais ce n'est pas la première fois et vous le savez. C'est juste tombé sur quelqu'un que vous connaissez.

- C'est vrai. Mais j'ai vraiment été très peiné pour toi.

- Et pas pour les autres ?

- Si, bien sûr. 

Il avait l'air sincère mais je ne pouvais pas en être certaine. Je me suis retenue de lui demander s'il y en avait eu beaucoup et jusqu'où il avait réussi à aller avec ces filles. 

- J'ai bien peur Catherine que dans la vie il y a toujours un prix à payer pour tout ce que l'on désire. Tu voulais que je fasse sortir ton grand-père de prison et je l'ai fait non ? 

- Il y a eu d'autres accords alors ? n'ai-je pu m'empêcher de demander.

- J'en ai bien peur. 

Nous avons marché en silence jusqu'à un banc. J'étais en train d'observer des fourmis qui s'acharnaient autour d'un reste de tomate qui provenait certainement de la boite à hamburger qui était par terre un peu plus loin. 

- Blaine me ressemble beaucoup, a-t-il dit tout à coup.

Je me suis retournée si vite vers lui que je me suis presque dévissée la tête. Je ne m'étais pas vraiment attendue à ce qu'on parle de Blaine et ça devait se voir sur ma tête car George a laissé échapper un petit rire. 

- Il fait les mêmes erreurs que moi à son âge. Enfin, on m'a fait croire que c'était des erreurs. J'ai toujours voulu avoir des enfants mais pas avec Ellen.

- Pourquoi l'avoir mariée alors ? 

- Parce qu'on me l'a imposée. Mais comme Blaine, j'ai été amoureux d'une fille qui venait d'un autre monde que le miens. Et comme mon fils, quand les obstacles sont venus se placer sur notre route, j'ai fuis. J'ai choisi la facilité en épousant Ellen plutôt que de me battre pour celle que j'aimais vraiment. 

- Pourquoi vous me dites tout ça ?

- Parce que cette histoire ne cesse de se répéter encore et encore. C'est notre malédiction à nous les MacMurray. Mon père a fait la même chose avant moi et mon grand-père avant lui. J'ai su avant même qu'il ne le sache qu'il était amoureux de toi. Maisie n'arrêtait pas de parler de toi, heureuse d'avoir une nouvelle amie. Blaine lui se contentait de grogner quand sa soeur essayait de l'inclure dans la conversation mais il n'avait pas besoin de parler. Ses yeux racontaient tout. 

Je mourrais d'envie de lui poser des questions sur ces amours interdits qui semblaient hanter sa famille mais je me suis abstenue, préférant ne pas l'interrompre.

- Je me suis toujours juré que je ne remettrais jamais le choix de mes enfants en cause pour des histoires de condition sociale. 

- Mais le coup à la Cesare et Lucrezia Borgia vous ne l'avez pas vu venir, ai-je dit avec un demi-sourire.

- Ils étaient frère et soeur. Ce n'est pas votre cas. Pas vraiment. En tout cas, je ne vois pas les choses comme ça. 

- Alors vous approuvé ?

- Je veux que mon fils soit apaisé. Heureux. Et si c'est toi qui lui apporte ça, alors c'est parfait. Bien sûr, rentrer dans notre monde ne sera pas facile pour toi et ils parleront, en mal bien souvent. Tu auras peux de vraies amies. Mais si vous vous aimez vraiment, vous avancerez ensemble et en-dehors de ces moments où seul le paraître compte, vous pourrez vous soutenir mutuellement. 

- Nous ne seront peut-être pas assez solide pour affronter tout ça. Blaine est parti au bout du monde quand c'est devenu un peu trop compliqué pour lui.

- Je lui avait dit de ne pas le faire, de venir te chercher mais il faut parfois perdre la chose à laquelle on tient le plus pour se rendre compte qu'on ne peut pas vivre sans elle.

J'ai médité ses paroles. Il n'avait pas tout à fait tort. Tout était allé trop vite entre nous. D'une étincelle qui avait perduré si longtemps sans jamais s'embrasser, nous avions déclenché un véritable incendie de passion, d'amour, d'émotion trop forte. 

- Blaine m'a contactée il n'y a pas très longtemps. Il aimerait qu'on réessaye. Pour de vrai, à notre rythme, sans se mettre la pression.

- Et toi, qu'est-ce que tu veux Catherine ?

J'ai inspiré et expiré profondément, me sentant vivante pour la première fois depuis notre séparation. Pour la première fois depuis cet instant où il m'avait brisé le coeur, le monde autour de moi retrouvait ses couleurs et sa saveur, du vent qui caressait ma nuque, aux oiseaux qui criaient au-dessus de nos têtes, de la colère, la tristesse et l'amour qui tiraillait ma poitrine, je ressentais tout de façon assourdissante moi qui avait fait taire tout ça depuis si longtemps. J'avais l'impression d'enfin exister face à cette simple révélation que j'acceptais enfin de me faire à moi-même.

- Je veux Blaine, ai-je répondu sans hésitation. 




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