Entre deux océans - Tome 2

By evaaans23

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Ravensbrück, Auschwitz, Mauthausen, des noms qui inspirent la terreur. Des noms de la mort. Alors que Blaine... More

Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32

Chapitre 11

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By evaaans23

Février 1942

Ça fait deux jours que j'échappe au travail. Non pas par la grâce des gardiens, mais parce que hier matin, ou plutôt hier au milieu de la nuit à trois heures du matin, durant l'interminable appel qui n'en finissait plus de faire trembler nos jambes trop maigre pour nous supporter, le Schutzhaftlagerführer, le commandant adjoint de Koegel, est venu se mêler aux gardiens et aux policiers.

Le Schutzhaftlagerführer assiste rarement à l'appel. Il préfère profiter de son lit douillet dans sa jolie villa avec sa petite femme et sa fille. Je le sais parce qu'une fille d'un Block voisin au mien a eu l'occasion de faire des travaux de jardinages chez lui. Pas que chez lui d'ailleurs.

- Ils ont de belles maisons, bien entretenue avec du personnel, l'avais-je entendu raconter.

Le personnel est composé des plus jolies filles du camp, souvent des nouvelles arrivantes qui n'ont pas encore connu les affres de la faim, du froid et des poux. Qui ne pues pas la merde à cause de la dysenterie et qui n'ont pas l'air ridicule avec des jambes plus grosses que le reste de leur corps à cause des œdèmes qui ont commencés se former dessus.

Il s'agit souvent d'allemandes, mais quelques polonaises et hongroises non-juives arrivent à avoir ces places en or où le travail est moins dur que les travaux de terrassement ou le vidage des wagons remplis de matériel de plus en plus lourd. Même Ilona ne fait plus la fière maintenant.

Mais hier, le Schutzhaftlagerführer n'a pas profité de son lit douillet et de son petit-déjeuner pris bien au chaud devant un bon feu de bois préparé par sa prisonnière-esclave.

L'alarme nous a réveillé de son cri strident à trois heures piles. Nous n'avons pas eu droit à cette bouillie tiède qu'ils appellent café ni le temps d'utiliser les toilettes et les quelques éviers encore fonctionnelles.

Rassemblées sur la place d'appel, le comptage à commencé en même temps que la pluie et les coups se sont mis à tomber de concert. 

Une heure, deux mortes, une trentaine de femmes battues et une défigurée plus tard il a été décidé sous l'ordre du Schutzhaftlagerführer de nous faire déshabiller.

- Pour mon bon plaisir, a-t-il dit en riant à un gardien SS qui ricanait lui aussi.

La veille au soir, pour essayer de combattre le froid, je m'étais enveloppé la poitrine avec des journaux. Evidemment, je n'avais pas pris le temps de les enlever avant de sortir. Je n'étais la seule à m'emballer de journal, mais toutes celles qui étaient sorties jambes nues recouvertes de journaux avaient goûté de la cravache.

J'aurais pu l'enlever discrètement et le laisser tomber par terre l'air de rien, mais j'étais bien trop paniquée pour penser à quoi que ce soit et de toute façon je crois que le résultat aurait été le même.

J'ai été trainée en-dehors du rang par un officier et après avoir reçu plusieurs coups de poings au visage, j'ai fini par terre ou j'ai été ruée de coup-de-pied dans le ventre, le dos et sur les jambes. Le spectacle semblait beaucoup amuser ses collègues que j'entendais rire et j'ai même compris certaines de leurs remarques graveleuses quand soudain, l'un d'eux c'est approché de moi avec son chien.

Il s'est arrêté à quelques centimètres de mon visage, le chien à ses pieds. Du sang coulait dans mes yeux, mais je pouvais tout de même voir les dents du berger allemand qui me regardait avec appétence à l'idée du goût de ce liquide chaud qui rougissait le sol.

- Je crois que lui aussi il veut jouer, a dit le propriétaire du chien en parlant de celui-ci.

- Bah ! J'en ai fini avec elle, qu'il l'achève.

Non, pas comme ça, ai-je pensé. Je ne veux pas mourir déchiquetée par un de leur sale cabot. Je ne veux pas sentir ses crocs s'enfoncer dans ma peau et l'entendre l'arracher. Je ne veux pas souffrir plus encore que je ne souffre déjà. Pitié, mettez-moi une balle dans la tête qu'on en finisse.

J'ai fermé les yeux dans l'attente. J'ai attendu. Mais rien n'est venu.

- Obersturmbannführer, ai-je entendu à la place.

J'ai vu les deux officiers allemands se mettre au garde-à-vous et échanger des paroles que je n'ai pas comprises. Mes oreilles bourdonnaient et ma tête résonnait encore des rires moqueurs des SS. Devant mes yeux persistaient l'image du chien prêt à me dévorer même s'il n'était plus près de moi.

J'ai été remise debout sans ménagement pour me retrouver face à l'Obersturmbannführer. C'était lui. L'officier qui avait empêché qu'on me coupe mes cheveux lors de mon arrivée. 

Je sentais mes jambes qui risquaient de se dérober à tout moment sous moi et l'effort que je fis pour rester debout face à lui fut surhumain. 

Il m'a regardé longuement avant de prendre mon menton entre ses doigts pour tourner ma tête sur le côté.

- Je reconnaitrais ses yeux entre mille. Quel gâchis, une si belle petite chose, a-t-il rajouté en me regardant de haut en bas.

Il a lâché mon visage tout en continuant de m'observer. J'ai frissonné sous ses yeux bleus car l'espace d'un instant, j'ai cru qu'il pouvait sonder mon âme. 

- Tu as les yeux les plus magnifiques que je n'ai jamais vu, a-t-il rajouté avant de tourner les talons.

Savait-il que je pouvais le comprendre lorsqu'il parlait? Non, je ne le crois pas, mais toujours est-il qu'il m'a sauvé la vie.

Il a ordonné qu'on me ramène à mon Block où l'une des deux Blockowas allait devoir panser mes blessures sous peine de punition. Bien sûr, aucunes fournitures n'a été fournies dans ce sens. Comme je pouvais à peine marcher j'ai été trainée plus que portée par l'Aufseherin Carla qui n'a pas manquée de me faire tomber dans chaque flaque de boue qu'elle voyait sous prétexte que j'étais trop lourde à soutenir.

Mais au moins j'ai échappé à une nouvelle journée de travail dans le froid et la neige. J'ai échappé à l'appel du soir et j'ai même eu le luxe de pouvoir faire sécher mes vêtements même si j'ai finalement dû les remettre encore un peu humides sur moi.

Je souffre peut-être le martyre, mon corps est peut-être recouvert d'ecchymoses et j'ai peut-être du mal à ouvrir mon œil droit, mais j'ai gagné deux jours de repos. Trois avec celui de demain. L'Obersturmbannführer m'en a accordé trois.

- Il n'est plus Obersturmbannführer, m'a dit la Blockowa qui a aussi été dispensé de travail pour s'occuper de moi. Il a été nommé Obergruppenführer pour les services qu'il a rendus les derniers mois où il était absent du camp. C'est un très haut grade qui impose le respect à ses pairs.

- Il a l'air jeune pour déjà être aussi bien gradé non ?

- C'est toujours plus facile quand on est le filleul de quelqu'un d'important.

- Comment tu sais tout ça ? ai-je demandé en essayant d'oublier la douleur lancinante qui parcourait mon dos à chaque fois qu'elle y déposait son chiffon sale et mouillé.

- J'ai travaillé dans les bureaux avant d'être renvoyée dans ce trou.

Je crois qu'avoir été dispensée de sortir sous la pluie et la neige grâce à mon infortune a rendu Yéléna moins hostile à mon égard. Elle ne se montre plus austère quand nous ne sommes que toutes les deux depuis l'incident.

De toutes les Blockowas, elle reste sans aucun doute la plus respectueuse. Elle ne frappe que quand elle y est obligée (parce que les Aufseherinnen la regardent) et sait ramener de l'ordre dans le Block quand les choses dérapent.

Elle a même permis à une jeune roumaine de conserver sa chevelure lors de l'inspection d'hygiène alors que cette dernière avait des poux à ne plus savoir qu'en faire si ce n'est en refiler quelques uns à ses camarades.

Nous discutons un peu quand il n'y a pas trop de monde dans le Block. On parle dans un mélange d'allemand et d'anglais devant le poêle éteint depuis deux semaines. Depuis qu'on ne nous fournit plus de bois.

- C'est mon papa qui m'a appris ta langue. Il était ambassadeur et il a travaillé au Royaume-Uni. Maintenant il n'a plus rien parce qu'il a distribué des pamphlets contre la propagande de Staline.

- Et toi, pourquoi tu es ici ?

Yéléna n'a pas répondu tout de suite, comme-ci elle réfléchissait à ce qu'elle allait me dire.

- Disons que j'ai aussi distribué des pamphlets, a-t-elle fini par répondre avec un sourire en coin qui en disait long sur ce qu'elle voulait taire.

La Russie lui manque mais pas le régime totalitaire imposé par son président. Elle a peur pour son père qui a été envoyé au goulag où il a sûrement été tué afin de faire définitivement taire se libre penseur. Elle ne s'inquiète pas pour sa mère qu'elle soupçonne d'avoir été la maitresse de Staline et qu'elle sait maintenant remariée à l'un de ses ministres.

- J'ai trente-et-un an, m'a-t-elle dit après que je lui eue posé la question.

Mon étonnement l'a fait rire. Elle ressemble plus à une vieillarde de soixante ans. Allez, peut-être cinquante. Elle peine à se tenir droite et son visage est tout fripé. Même ma grand-mère avait meilleure allure le jour de sa mort. 

- C'est ce qui arrive quand on reste en vie assez longtemps dans un camp de concentration, m'a-t-elle dit sans se vexer.

- J'ai l'air de ça ? ai-je demandé sans vouloir entendre ce qu'elle en pensait.

Yéléna m'a regardé un long moment avant de me répondre.

- Tu as plutôt l'air d'un boxer qui a perdu un match, a-t-elle plaisanté.

J'ai souris à sa tentative d'humour ce qui m'a arraché une grimace de douleur.

- Tu es très maigre, mais tu t'en sort plutôt bien par rapport à ton amie, la grande gigue.

- Josianne, ai-je répondu.

- Elle, elle ressemble aux autres. Celles qui avancent comme des machines parce qu'ils ont réussi à les mettre à genoux. Les gardiens, les SS, le camp, a-t-elle expliqué face à mon air interrogateur. Tout est fait pour nous priver de notre dignité, de notre espoir. On arrive même à s'entre-tuer. La hiérarchie des Blocks est faite de telle sorte qu'on ne puisse pas s'entraider. On est même pas des chiennes, on est moins que des animaux.

En y réfléchissant, il est vrai que tout ce que j'admirais chez Josianne, sa façon subtile et piquante avec laquelle elle pouvait remettre quelqu'un à sa place, sa grande générosité cachée sous un masque de stoïcisme, le fait qu'elle n'avait pas peur d'aller au conflit pour désamorcer une situation, tout ça avait disparu depuis son arrivée ici. Seule Elisheba semblait avoir gardé la même force de vivre que lors de notre première rencontre. Sûrement parce qu'elle aussi était encore habité par l'espoir. Mais elle avait aussi un fort caractère, cela devait bien l'aider à survivre en terrain hostile. 

- On ne m'a jamais défini comme une personne de caractère, ai-je dis plus pour moi-même que pour Yéléna.

- J'ai vu beaucoup de grande gueule mourir en quelques jours et beaucoup de petites souris survivre sans faire de bruit.

Le bruit d'une gamelle métallique tombant au sol nous a fait sursauter, m'arrachant une exclamation douloureuse tandis que mes côtes donnaient l'impression de vouloir transpercer ma peau.

Plus vive, Yéléna était déjà debout et me fit signe de me taire. En me retournant doucement j'ai vu un énorme chat noir qui lui ne semblait pas du tout souffrir de la faim.

- C'est celui de Johannn Müller. L'Obergruppenführer qui t'a sauvé la vie.

Je m'apprêtais à lui dire que je m'en fichais quand une crampe intestinale m'a rappelée que j'avais faim et que ce chat semblait plutôt bien nourri...

- On pourrait l'attraper, ai-je chuchoté.

- Tu penses exactement à la même chose que moi, a répondu la russe avec un sourire de conspiratrice.

Si quelqu'un avait pu nous voir il aurait ris à en avoir mal aux côtes. S'il avait s'agit d'une Aufseherin, elle nous aurait plutôt passé à tabac.

C'est qu'il faut l'imaginer, deux maigrichonnes qui ont à peine la force d'ouvrir les yeux le matin, l'une d'entre elle avec des jambes plus grosses que le reste de son corps à cause d'un œdème blanc et l'autre recouverte de plaies et de croutes en train d'essayer d'attraper un chat qui bondit de paillasse en paillasse avec la grâce d'une gazelle.

- Il est bien plus agile que son poids ne le laissait penser, a dit Yéléna à bout de souffle.

Elle s'est laissé tomber à même le sol tandis que j'observais le matou qui me regardait en souriant. Il savait qu'il venait d'échapper à la casserole le bougre !

- Cette sale bête se moque de nous, ai-je dis en lui jetant un regard noir.

Le chat n'en a pas pris égard, à la place, il s'est étiré paresseusement en plantant ses griffes dans la paillasse pleine de vermines depuis laquelle il nous narguait. Puis, voyant que nous n'avions plus l'intention de le divertir, il est partit par la fenêtre cassée du Block par laquelle il était sûrement rentré.

- Bah, on n'a pas de feu de toute façon. On n'aurait jamais pu le faire cuire, a relativisé Yéléna.

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