Lie tes ratures

By UmiPage

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"Montre-moi toute la grandeur de ton amour." Victor, à dix-sept ans, est follement amoureux de son camarade d... More

Avant-propos
Février
Février - 1.
Février - 2.
Février - 3.
Février - 4.
Février - 5.
Février - 6.
Mars
Mars - 1.
Mars - 2.
Mars - 3.
Mars - 4.
Mars - 5.
Mars - 6.
Mars - 7.
Mars - 8.
Mars - 9.
Mars - 10.
Mars - 11.
Mars - 12.
Mars - 13.
Mars - 14.
Mars - 15.
Mars - 16.
Mars - 17.
Mars - 18.
Mars - 19.
Mars - 20.
Mars - 21.
Mars - 22.
Mars - 23.
Avril
Avril - 1.
Avril - 2.
Avril - 3.
Avril - 4.
Avril - 5.
Avril - 6.
Avril - 7 (1).
Avril - 7 (2).
Avril - 8.
Avril - 9 (1).
Avril - 9 (2).
Avril - 9 (3).
Avril - 10.
Avril - 11 (1).
Avril - 11 (2).
Avril - 12.
Avril - 13.
Mai
Mai - 1.
Mai - 2.
Mai - 3.
Mai - 4.
Mai - 5.
Mai - 6.
Mai - 7 (1).
Mai - 7 (2).
Mai - 8 (1).
Mai - 8 (2).
Mai - 9.
Mai - 10.
Mai - 11.
Mai - 12 (1).
Mai - 12 (2).
Mai - 13.
Juin
Juin - 1.
Juin - 2.
Juin - 3.
Juin - 4.
Juin - 5.
Juin - 6.
Juin - 7.
Juin - 9.
Juin - 10 (1).
Juin - 10 (2).
Juin - 10 (3).
Juin - 11.
Juin - 12.
Juin - 13 (1).
Juin - 13 (2).
Juillet
Juillet - 1.
Juillet - 2.
Juillet - 3.
Juillet - 4.
Juillet - 5.
Note de fin
Dix secrets de tournage

Juin - 8.

174 15 4
By UmiPage

NDA (IMPORTANTE) : Bonjour à tous et à toutes.

Je fais cette note d'auteur pour vous parler de ce chapitre. En effet, jusqu'à présent, mon roman a été assez... sûr pour tout le monde. Il aborde certes des sujets compliqués, vous l'aurez compris, tel que le deuil (ce sujet sera mis sur le tapis un peu plus tard), les remords, les regrets, le harcèlement scolaire, mais je n'ai jamais eu vraiment besoin de faire de précision dessus, parce que je les traite de façon assez "éloignée" quand même ; ces thèmes font partie de mon roman mais mon roman n'est pas entièrement centré sur ces thèmes... Aujourd'hui, je me dois de faire cette note.

Ce chapitre en particulier va traiter de deux thématiques assez compliquées et dures. Cette NDA est donc un TW. Si vous voulez suivre l'histoire sans être spoilé en étant sûr d'avoir le coeur bien accroché, vous pouvez ignorer le reste de la NDA et la passer. Mais il risque de heurter votre sensibilité.

Voici les sujets dont il est question : la maltraitance infantile et l'automutilation. Je n'en montrerai que les marques et je ne décris pas la pratique. Mais j'en parle, et je sais à quel point ces sujets peuvent toucher les gens même sans vraiment les montrer. 

Je suis désolé, ça vous spoile le thème du chapitre mais je préfère mettre au clair tout de suite, parce que je n'ignore pas à quel point certains sujets peuvent mettre mal à l'aise ou vraiment heurter les lecteur.ice.s (et ce n'est clairement pas mon but). Ces sujets sont pour moi-même également assez difficiles (notamment l'automutilation), mais je voulais les aborder et en parler, parce que c'est essentiel.

Petit rappel : si vous vivez une de ces situations, parlez-en à des personnes de confiance (qui peuvent vous aider) ou aux autorités. Prenez soin de vous. Il n'y a pas de honte à se faire aider ; ça ne signifie pas que vous êtes faible. N'ayez pas honte. 

Si jamais ces sujets sont vraiment trop difficiles pour vous, n'hésitez pas à passer ce chapitre. Je vous laisserai un résumé au début du prochain chapitre. Il ne sera fait que de très courtes mentions des sujets, sans aucun pathos ni description. 

Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture.

¤¤¤¤¤¤¤¤

Victor n'en revenait pas ; il crut d'abord à une plaisanterie, un mensonge, un cauchemar. Il dut cligner plusieurs fois des yeux pour se rendre compte que ce n'était que la vérité, dans toute sa splendide horreur.

Le trajet jusqu'à la maison de Pauline fut long, plein de silences gênants, graves, annonciateurs d'une tempête certaine. La rousse avait pris quelques nouvelles de Yann, s'était inquiétée de son état, avait essayé de consoler Victor, mais l'un comme l'autre savaient très bien que c'était inutile.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

La question avait fini par passer ses lèvres.

— J'allais te voir, expliqua Pauline en bifurquant à droite, pour te redonner le livre que tu m'avais prêté l'autre jour. Quand je suis arrivée presque devant chez toi, j'ai vu un gars marcher bizarrement. Un adolescent de notre âge, complètement paumé. C'est en le voyant venir dans ma direction que je l'ai reconnu et que j'ai compris que c'était Arthur. Je lui ai demandé ce qu'il faisait là, il m'a dit qu'il voulait te parler. J'ai aussi vite compris que ça n'allait pas. Je lui ai dit qu'il pouvait venir à la maison puisque tu devais passer.

— Je ne devais pas...

— Je sais. Mais je ne pouvais pas le laisser errer dehors. Et connaissant son caractère, il n'aurait pas accepté de venir à la maison.

Victor acquiesça.

— Il avait l'air de s'être battu, ajouta Pauline.

— Ah bon ?

Une grimace d'étonnement déforma le visage de Victor ; Arthur n'était pas de ceux qui se battaient. Il n'avait pas mis longtemps à cerner comment se comportait son cadet. Fragile, timide, en retrait, il observait le monde plus qu'il n'agissait. Il s'était lié avec très peu de personnes à part Yann, lui et sa bande. Il avait bien réussi à parler avec un ou deux autres de ses camarades mais Victor n'ignorait pas la tendance silencieuse du lycéen.

Cet étonnement laissa place à une inquiétude grondante.

— Ouais, confirma Pauline. Je n'ai pas pu en voir plus... Il refuse de m'en parler, mais il avait un bleu sur la mâchoire. Tu sais s'il avait des ennemis ou des gens qui lui en voudraient ?

— Non. Ce gosse est une crème. Je ne comprends même pas comment c'est possible. Je ne le vois pas se battre.

— Tu penses à du harcèlement ?

— Ce ne serait pas la première fois... grommela Victor avec humeur.

Plus d'un an auparavant, c'était lui qui en avait fait les frais après tout. Pauline ne répondit rien. Elle savait à quel point il s'agissait d'un sujet sensible.

— J'ai réussi à l'amener à la maison, donc, reprit la rousse. J'espère que ça se passera bien.

— Je savais qu'il cachait quelque chose. J'ai même pas été foutu de le voir.

— Vic, ne commence pas à t'en vouloir. On va l'aider. C'est pour ça que je suis venue te chercher.

— Je te jure, Lili, si ça finit mal, s'il se retrouve blessé... Je retrouve celui ou ceux qui lui ont fait ça et je leur ferai regretter d'être nés.

— Ouais.

Une colère froide faisait briller les yeux de Pauline. Aucun doute que, si elle retrouvait les éventuels coupables, elle leur ferait passer un sale quart d'heure. Victor se dit qu'il ne voudrait pas être à la place de celui ou celle qui subira sa colère... 

Devant la porte d'entrée, une sorte d'angoisse, mêlée à un volcan d'appréhension, monta dans ses entrailles. Il attendit, partagé entre la peur de cette situation qui lui trouait le ventre et la petite voix qui lui chuchotait à quel point il était heureux de voir Arthur. Le lycéen avait pris une certaine importance dans sa vie depuis qu'ils avaient appris à se connaître.

Victor pénétra dans la maison et ne tarda pas à trouver Arthur. Le garçon, prostré dans le canapé en cuir au coeur du salon, leva la tête en direction du brun. Plusieurs secondes de pure surprise s'écoulèrent, durant lesquelles Victor eut toutes les peines du monde à assimiler la situation. Il fit un pas en direction du canapé, tentant de se persuader que chaque pas qui le rapprochait du chaton blessé qui se trouvait face à lui rallumerait la flamme de son courage.

Le brun jeta un coup d'oeil vers Pauline. Un regard qui lui demandait tant s'il n'y avait aucun risque de s'asseoir près du gamin que ce qui avait mis ce dernier dans un état pareil. La gentillesse et la timidité avaient laissé leur place à une intense inquiétude, une angoisse sans nom, un air perdu. Ce qu'il lisait dans les yeux d'Arthur ne plaisait pas du tout à Victor ; une peur glacée constellée de douleur.

L'espace d'un instant, Victor se visionna ; il n'y avait pas si longtemps, c'était lui qui se trouvait ici, hagard, désemparé, blessé. La tache sombre qui étendait ses tentacules bleutées sur la mâchoire d'Arthur figèrent Victor. Sa couleur se mêlait à la teinte vermeille des joues qui furent le théâtre de larmes versées injustement. Une griffure balafrait son front. Cette vision peina Victor au-delà de l'imaginable.

Le regard du brun descendit sur une marque dans son cou. Une ligne rouge. Quelqu'un l'avait visiblement attrapé, peut-être même étranglé. Elles n'étaient pas assez profondes pour que ce soit une vraie tentative d'étranglement faite pour tuer ou pour blesser, mais vraisemblablement, Arthur avait été la cible d'un sauvage qui l'avait immobilisé en l'empoignant par le cou.

La gorge sèche, Victor s'installa dans le canapé à côté de son cadet. Il le salua du bout des lèvres. Il ne voulait pas le brusquer, encore moins lui donner l'impression d'avoir l'air détaché. Ne sachant pas trop quoi dire, il fit la première chose qui lui passa par la tête. Il glissa sa main sur celle de son ami et passa doucement les doigts sur sa peau. Ce simple contact électrisa Arthur, qui se tendit immédiatement. Cette tension ne dura qu'un court instant, mais Victor se fustigea tout de même pour cette marque d'attention peut-être trop brusque.

Arthur leva des yeux larmoyants vers lui. Victor le remarqua à cet instant : le bleu de ses yeux lui rappelait un ciel d'été. Il n'y avait jamais prêté attention, mais le gamin avait un sacré regard. Difficile de s'en détacher. Une nouvelle fois, il pesta intérieurement : comment pouvait-on vouloir ternir ce bleu si innocent ?

— Qu'est-ce qu'il t'est arrivé, Arthur ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— Je... C'est rien, je...

— Quelqu'un a voulu te faire du mal ?

C'était la première fois qu'il était confronté à cette situation ; Victor ne savait pas vraiment comment le faire parler. Était-ce seulement la bonne solution ? Pouvait-il le forcer ? Arthur sembla se contracter à l'entente de cette question. Visiblement, ce n'était pas la meilleure approche.

— Je ne te forcerai pas à me dire ce qui se passe si tu ne veux pas m'en parler, dit Victor. Mais j'aimerais pouvoir t'aider, Arthur. On est amis, maintenant.

— Ce... C'est vrai ?

— Bien sûr, acquiesça Victor.

Arthur détourna le regard.

— Tu es le premier...

— Le deuxième, en fait. Yann est aussi ton ami, sourit Victor. Et Lili aussi.

Une once de plaisir remplaça une seconde la douleur qui emplissait son regard si doux.

— Donc, si on est amis, je dois pouvoir t'aider.

— Mais... C'est rien, tu sais...

— Ce n'est pas rien.

La conviction dans la voix de Victor fit vaciller Arthur, mais il se reprit aussitôt. Il passa une main sur sa blessure :

— Je n'ai même pas mal, je t'assure que ce n'est pas grand-chose...

— Tu mens très mal.

Une onde de culpabilité s'empara un instant du brun ; il s'en voulait d'insister, mais la franchise avait pris le dessus.

— Victor...

— Tu peux tout me dire, Arthur. On fera tout pour qu'il ne t'arrive plus rien, je te le promets.

La cacophonie d'une fêlure bourdonna aux oreilles de Victor ; les barrières érigées par Arthur volèrent en éclats. Il cacha son visage entre ses mains ; ses épaules, secouées par des vagues de sanglots, tressautaient. Cette vision troua le coeur du lycéen.

Geste bien malheureux, il posa sa main sur l'épaule du châtain. Ce dernier trembla suite à ce nouveau contact. Il la retira aussitôt.

— Je... Je veux pas le laisser... Je veux tellement qu'il change...

Victor et Pauline échangèrent un regard surpris. Arthur répéta plusieurs fois cette phrase, mâchonnée par les larmes et la honte, étouffée par ces mains qui lui servaient de défense contre toute la cruauté du monde.

— Il ? De qui tu parles ?

— Mon... Mon oncle...

Victor fronça les sourcils ; au détour d'une conversation, il se souvint que Yann lui avait dit qu'Arthur vivait chez son oncle. La simple évocation de ce personnage fit glisser un frisson le long de son dos. La conversation téléphonique le jour de leur rencontre... L'air perdu d'Arthur... Chaque fois que le gamin faisait une erreur, il se transformait en une boule de culpabilité ; elle n'habillait pas son visage, il prenait littéralement son apparence ratatinée.

Pauline, un hochement de tête plus tard, s'éclipsa une courte minute qui parut s'étendre, encore et encore, interminable, lourde, oppressante pour les deux garçons. Victor jeta plusieurs regards en direction du couloir qui avait avalé la demoiselle. Lorsqu'elle apparut de nouveau, l'odeur d'un bon chocolat chaud dans son sillage, un léger soupir franchit ses lèvres.

— Vas-y doucement, l'encouragea-t-elle. Je sais que ce n'est pas vraiment la saison, mais un chocolat chaud ne se refuse pas.

Il la remercia du bout des lèvres et s'empara avec gratitude de la boisson ; quand il eut fini, un fin sourire étira son visage fatigué. Le pétale de joie qui s'y trouvait se fana bien vite en une grimace douloureuse. Le bruit mat de la tasse contre la table précéda un long silence. Pesant. Un silence qui cherchait ses mots. Victor ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit, bloqué par la pression exercée par le bras de son amie sur le sien.

— Je me suis disputé avec mon oncle, commença Arthur d'une toute petite voix. D'habitude, je ne me dispute pas autant avec lui. C'est un homme qui a beaucoup de choses à gérer. Il... Il est... Il est malade. Il a un lourd handicap qui l'empêche de faire ce qu'il veut. J'habite chez lui depuis deux ans.

Il marqua une petite pause. Une hésitation qui pesa sur ses paupières, dirigées vers le sol. Sa lèvre inférieure frémit.

— Depuis le décès de mes parents, reprit Arthur.

— Oh, je suis désolée, fit Pauline.

— C'étaient des gens extraordinaires. Très gentils. Je... Ils ont disparu alors qu'ils faisaient les courses et...

Un nouveau sanglot l'empêcha d'achever sa phrase. Victor sentit les larmes lui monter aux yeux au fur et à mesure que le récit d'Arthur continuait ; le garçon vivait depuis ce temps chez son oncle, un homme qui lui paraissait froid, autoritaire et qui détestait plus que tout qu'on lui tienne tête, un homme traditionnel qui ne craignait pas d'afficher des opinions dégradantes.

— Au début, ça se passait plutôt bien, expliqua Arthur, la gorge serrée. Mais je sentais que plus le temps passait, plus il devenait... distant. Fatigué. En colère. Il m'en voulait pour un rien. Je sais qu'il attend beaucoup de moi... Alors parfois, il se met en colère quand je ne suis pas à la hauteur...

— Il se met en colère ? Comment ça ? Il... Il te frappe ?

Arthur acquiesça doucement.

— Pas tout le temps. Ce ne sont que des petites bousculades. Parfois, il... Il me gifle ou m'oblige à faire plus de choses... Mais aujourd'hui...

Ils attendirent la suite de l'histoire, préférant qu'Arthur avance à son rythme.

— Aujourd'hui, c'était plus... Il a bu, il était super énervé... Quand il a su que j'étais amoureux d'un garçon, déjà, il a eu beaucoup de mal à l'accepter...

— Il t'a tapé ?

Une larme solitaire confirma leurs craintes.

— Bon sang, Arthur... Quel connard...

— Je... Je me dis qu'il pouvait changer... Aujourd'hui, j'ai... J'ai cru qu'il allait... Il est entré dans ma chambre et a commencé à m'insulter... Il m'a poussé sur le lit, il a attrapé sa ceinture et... J'ai repensé à ce que tu m'as dit, dit-il à Victor. Tu m'as dit que parfois, il fallait simplement abandonner les gens, mais je ne peux pas... Je me suis dit que si je ne faisais rien...

Il n'eut pas besoin d'en dire plus ; le possible cours des événements ne faisait aucun doute. Victor sentit son sang glacé dans ses veines.

— Alors, j'ai répliqué, et je l'ai frappé... J'ai tapé mon oncle, se lamenta-t-il. Il m'a frappé à la mâchoire... Mais ce qui m'a fait le plus mal, c'était sa déception dans les yeux. Il m'a dit que je le dégoûtais et qu'il ne voulait plus de moi chez lui. Il a pris mes affaires et m'a...

— Il t'a jeté dehors ? s'horrifia Pauline.

— Oui... Je... J'ai fait la première chose qui m'est venue à l'esprit... Aller chez toi, Victor... Comme tu es le seul que je connaisse... Et c'est là que tu m'as trouvé...

Le poids des révélations accabla les trois adolescents. La situation était plus délicate que jamais. La lourde tension qui courait dans la pièce noua leurs muscles. Victor dut faire quelques mouvements des épaules pour évacuer cette pression.

— On va t'aider. Je te promets qu'on va t'aider, Arthur.

— Mais... Je ne veux pas vous déranger...

— Il est hors de question que tu dormes dehors.

— Je... Je vais aller m'excuser auprès de mon oncle, je lui ai dit des choses horribles aussi...

— Tu n'as pas à t'excuser auprès de lui. Je ne te laisserai pas retourner dans les griffes de ce connard.

— Mais si je le laisse, il va... Je veux qu'il change...

— Certaines personnes ne peuvent pas changer. Pas comme ça. Tu crois que ça se fait en un clin d'oeil ?

Il grimaça de douleur suite à cette phrase. Il se frotta la cuisse discrètement, là où les doigts de son amie avaient imité un crabe en colère.

— Non, répondit Arthur, mais... Si je ne suis pas là pour l'aider, comment...

— Il se servira de toi.

— Pour une fois, ajouta Pauline, Victor a raison. Ton oncle pourra trouver de l'aide ailleurs, et il y aura moins de risque qu'il puisse utiliser ses talents de brute sur cette personne que sur toi. De toute façon, comme l'a dit cet imbécile...

— Eh !

— On ne te laissera pas tomber, continua-t-elle en ignorant les plaintes de Victor.

— Vous êtes trop gentils... Mais...

— Mais quoi ? On ne peut pas te laisser comme ça.

— Je suppose que vous avez raison...

— Bien sûr qu'on a raison.

Victor posa une main amicale sur l'épaule de l'autre adolescent, une main qui tenait mille espoirs et une promesse. Cette fois-ci, ce dernier fut plus réceptif.

— On va trouver une solution. Je suis heureux que tu nous en aies parlé. Cette situation ne pouvait pas durer plus longtemps. Dis-moi, je me demandais...

— Oui ?

— C'est pour ça que tu gardais ta veste tout le temps ?

Arthur baissa les yeux. Pauline leva les siens, exaspérée par le manque de tact de son meilleur ami.

— Oui... Enfin....

— Hein ?

Victor tendit l'oreille, incertain de la fin de sa phrase, incompréhensible.

— Ce n'est pas que pour ça...

— Pourquoi ?

Le brun fusilla du regard Pauline. Elle était bien culottée de lui reprocher son manque de tact !

— J'ai un peu honte... Je...

— Tu n'as pas à avoir honte de quoi que ce soit avec nous, le rassura Victor. Mais on ne te forcera pas. Tu nous le diras quand tu le voudras.

— Non, c'est bon... De toute façon, je ne pourrais pas vous le cacher éternellement...

Sans geste brusque, comme si le temps s'était ralenti, Arthur se débarrassa de sa veste, à la manière d'un blessé à qui on retirerait ses bandages. Au fur et à mesure qu'il dévoilait ses bras, un brouillard de colère et de tristesse pures troubla le regard de Victor. Devant ses yeux s'étalait l'ultime secret de son ami.

Sur ses épaules, une constellation d'hématomes assombrissait sa peau, descendant jusque sur ses poignets. Victor y attarda son regard. Il puisa dans toutes ses forces pour ne pas pleurer. Cinq lignes se succédaient, écarlates, traçaient des sillons douloureux. Plus épaisses que des griffures, elles ornaient cette peau innocente de toute l'horreur de la réalité. Arthur y jetait un regard dégoûté, désolé, comme si ce bras ne lui appartenait pas, comme s'il lui était complètement étranger. Mais il demeurait là, au bout de son épaule, et des larmes perlaient au coin de ses joues.

— Bordel, Arthur...

— C'est horrible, hein ?

Victor ne lui laissa pas le temps de dire un mot de plus. Il se jeta sur lui, passa ses bras derrière son dos et plaqua l'adolescent contre lui, et ramena sa tête sur son torse. Toute cette souffrance, cette douleur, comme autant de ratures sur une page froissée... Il ne le vit pas, mais plus tard, Pauline lui raconta que les yeux bleus d'Arthur brillèrent d'un éclat de surprise et de reconnaissance.

— Je suis tellement désolé que tu aies traversé ça. Tellement, lui chuchota-t-il.

Immobile, Arthur resta prostré dans cet étau d'affection. Il pleurait. Ses larmes mouillaient le tee-shirt de Victor. Seules quelques lamentations pleines de soulagement passaient ses lèvres blessées entre deux silences.

— C'est fini, lui murmura Victor. Tu n'auras plus jamais à faire ça. On sera là pour t'aider. N'en doute jamais.

— Je sais...

Victor continuait de lui caresser le dos avec lenteur. Il sentit son cadet resserrer sa prise sur son tee-shirt. Fraternel, le brun passa une main dans ses cheveux, tandis que Pauline s'installait à la gauche du plus jeune pour rejoindre cette étreinte.

Ils restèrent ainsi jusqu'à ce que leur ami reprenne son calme ; sa respiration s'apaisa, ses sanglots se tarirent, il ne demeura plus que les vestiges de cette crise douloureuse. Victor recula, mais il continua de fixer Arthur :

— Tu n'as pas à avoir honte.

— Mais j'ai été faible, et...

— Tu ne penses pas que c'est parce que tu as été trop fort, trop longtemps ?

Arthur médita sur ces paroles.

— Je ne te ferai pas de promesses en l'air. Je ne te dirai pas que tu ne le feras plus.

— Vic...

Il leva une main tendue vers Pauline, une main suppliant de le laisser continuer.

— Tu te sentiras peut-être mal au point d'y repenser. Je sais ce que c'est. Je suis passé par là.

— Comment ça, tu...

Victor lui montra son poignet ; dessus, trois petits traits fins, pareils à des griffures, recouvraient sa peau. Elles paraissaient assez faibles, et bon nombre d'âmes auraient été bernées par leur aspect effacé. Pauline le dévisagea d'un air soucieux :

— Victor, ce n'est peut-être pas...

— Laisse, répondit-il avant de reporter son attention sur Arthur. Je t'ai raconté que je voulais mourir. Avant ce jour, j'ai été harcelé par pas mal de monde à l'école. Pas aussi gravement que certaines personnes, mais il y avait des tensions chaque jour au lycée et la plupart des gens m'ont tourné le dos. Certains m'ont juste ignoré, d'autres se sont servis de ma faiblesse pour se moquer de moi, exploiter mes faiblesses. Je ne me suis pas laissé faire, et au bout d'un moment, j'ai pété les plombs. Je... J'ai commencé à me montrer méchant envers tous ceux qui me voulaient du mal... Et pas que... Au final, une de mes harceleuses a même fini en hôpital psychiatrique. C'était une vraie connasse, une idiote, méchante, bête, minable au point de vouloir s'en prendre à ma famille. Une petite sotte, je me suis fait un plaisir de la faire dégager de l'école.

Un petit soupir interrompit son discours. Dans la foulée, il s'empara d'une bouteille d'eau et en vida la moitié.

— Seulement, le problème avec la haine, c'est qu'il est compliqué de faire demi-tour. C'est comme vouloir nager quand tu as à tes pieds un boulet qui absorberait l'eau. Tu veux remonter mais les abysses t'attirent, plus tu plonges et plus tu as envie de plonger. Quand on se regarde dans le miroir, on voit aussi tous nos fantômes. Je ne regrette pas d'avoir réagi de la façon dont je l'ai fait : cette peste ne méritait rien de moins. Là où je veux en venir, c'est que j'ai persisté dans ma rancœur. Et elle s'est transformée en souffrance. Une souffrance qui m'a fait faire et dire des choses horribles à des personnes qui ne me voulaient pas de mal. J'ai commencé à... faire ça. Me faire mal. Au début, je repensais à ce cauchemar et j'avais envie de faire sortir cette haine. Alors je l'ai fait en me faisant mal. Puis c'est devenu une habitude, quelque chose dont j'ai eu du mal à me défaire.

— Et... c'est Yann qui t'a aidé ?

Victor étouffa un petit rire :

— Non. Ce n'est pas à lui que je dois de m'en être sorti, même s'il m'a aidé. Non, le héros du jour, ou plutôt de ma vie... Ce n'est pas lui. D'ailleurs, je ne devrais pas parler de héros, mais d'héroïne. Ma sauveuse, c'est Lili.

Pauline s'inclina légèrement vers l'avant, tandis que Victor la désignait du doigt.

— Ce n'était pas une période facile, dit-elle avec gravité.

— Non, c'est sûr. C'est depuis cette période que tu ne peux plus piffrer Doriane.

— Ouais...

— Tout ça pour te dire, reprit Victor en fixant Arthur, que ce n'est peut-être pas facile, mais ce n'est pas une solution. Et tu peux arriver à t'en passer. Alors, je ne te demanderai pas de faire comme si ça n'était jamais arrivé. Oublier son histoire, c'est le meilleur moyen de replonger dedans. C'est débile. Non, par contre... Promets-moi que, si jamais tu te sentais suffisamment mal, tu repenseras qu'il y a un moyen de s'en sortir. Promets-moi que, si ça ne va pas, tu ne resteras pas emmuré dans la solitude.

Un fin sourire étendit les lèvres coupées d'Arthur. Il contempla de longues secondes la main que lui tendait Victor. Il s'en empara finalement.

— Promis, souffla-t-il.

Pauline ébouriffa les cheveux d'Arthur, plus ravie que jamais. L'air heureux que leur ami dégageait réchauffa le coeur du brun. Mais cet air, à son grand regret, se dissipa bien vite ; un petit rictus soucieux tordit sa bouche.

— Et pour mon oncle ? C'est ma seule famille... 

— On va trouver une solution. Il est hors de question que tu retournes chez lui et tu ne dormiras pas dehors. Tu dormiras chez l'un d'entre nous.

— Je veux pas vous déranger...

— Tu ne nous dérangeras pas. Nos parents ne vont pas laisser un gosse dehors.

— Je peux me débrouiller tout seul...

La rousse secoua la tête :

— Ce n'est pas négociable. Le temps qu'on fasse toutes les démarches...

— Des démarches ? s'affola Arthur. Genre... prévenir la police ? Mais il risque de finir en prison !

— Ton oncle te frappait, asséna Victor. Qui sait ce qu'il s'apprêtait à faire aujourd'hui. On ne peut pas rester sans réagir. Je comprends que ce soit très dur pour toi. J'ai rarement vu quelqu'un d'aussi gentil que toi, tu sais. Si on ne fait rien, ton oncle restera comme ça et crois-moi, ça ne l'aidera pas. Personne ne te forcera à porter plainte, c'est ton choix. Tu peux prendre cette décision quand tu veux si tu le souhaites vraiment. Mais si tu retournes là-bas, avec lui, alors il ne changera pas. Et ça, c'est mort, hors de question qu'on te laisse partir. Tu n'es pas un chevalier et tu n'as pas à te sacrifier pour une noble cause. 

Arthur resta un moment silencieux, puis à son tour, il entoura les deux autres adolescents de ses bras.

— Vous êtes incroyables... Je sais vraiment pas comment vous remercier...

— Moi, j'ai ma petite idée.

Pauline lui prit le menton en prenant bien soin de ne pas lui faire trop mal et le força à la regarder. Elle s'éleva un peu et posa ses lèvres sur le front du grand oisillon.

— Retrouve ton beau sourire.

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