Lie tes ratures

By UmiPage

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"Montre-moi toute la grandeur de ton amour." Victor, à dix-sept ans, est follement amoureux de son camarade d... More

Avant-propos
Février
Février - 1.
Février - 2.
Février - 3.
Février - 4.
Février - 5.
Février - 6.
Mars
Mars - 1.
Mars - 2.
Mars - 3.
Mars - 4.
Mars - 5.
Mars - 6.
Mars - 7.
Mars - 8.
Mars - 9.
Mars - 10.
Mars - 11.
Mars - 12.
Mars - 13.
Mars - 14.
Mars - 15.
Mars - 16.
Mars - 17.
Mars - 18.
Mars - 19.
Mars - 20.
Mars - 21.
Mars - 22.
Mars - 23.
Avril
Avril - 1.
Avril - 2.
Avril - 3.
Avril - 4.
Avril - 5.
Avril - 6.
Avril - 7 (1).
Avril - 7 (2).
Avril - 8.
Avril - 9 (1).
Avril - 9 (2).
Avril - 9 (3).
Avril - 10.
Avril - 11 (1).
Avril - 11 (2).
Avril - 12.
Avril - 13.
Mai
Mai - 1.
Mai - 2.
Mai - 3.
Mai - 4.
Mai - 5.
Mai - 6.
Mai - 7 (1).
Mai - 7 (2).
Mai - 8 (1).
Mai - 8 (2).
Mai - 9.
Mai - 10.
Mai - 11.
Mai - 12 (2).
Mai - 13.
Juin
Juin - 1.
Juin - 2.
Juin - 3.
Juin - 4.
Juin - 5.
Juin - 6.
Juin - 7.
Juin - 8.
Juin - 9.
Juin - 10 (1).
Juin - 10 (2).
Juin - 10 (3).
Juin - 11.
Juin - 12.
Juin - 13 (1).
Juin - 13 (2).
Juillet
Juillet - 1.
Juillet - 2.
Juillet - 3.
Juillet - 4.
Juillet - 5.
Note de fin
Dix secrets de tournage

Mai - 12 (1).

177 20 29
By UmiPage

NDA : Bonjour à tous !

Petite note avant de commencer ce chapitre : j'ai deux ou trois choses à vous dire. Tout d'abord, joyeuses fêtes de fin d'année à vous puisqu'on est le 26 (donc il reste le réveillon du nouvel an ahah). J'espère que votre Noël s'est bien passé, et que cette année se terminera mieux qu'elle n'a commencé... 

Ensuite, je voulais vous remercier car nous approchons doucement des 40k vues, ce qui est absolument énorme. A vrai dire, je ne m'attendais absolument pas à ce résultat là, mais cette histoire dépasse mes attentes. Merci de me lire, de me commenter, d'être toujours là pour découvrir les aventures de Victor et Yann.

Ensuite, vous ne le savez peut-être pas, mais hier (le 25 décembre, donc), nous fêtions les deux ans de parution de Lie tes ratures. Dire que ça fait déjà deux ans que j'écris cette histoire ! A vrai dire, je ne m'y attendais pas non plus... Je pensais terminer cette histoire un peu plus tôt. Dans tous les cas, c'est un vrai plaisir d'écrire cette petite histoire et de vous partager cette oeuvre.

Voilà voilà, j'arrête de monopoliser l'attention et je vous laisse avec mes petits chéris... On approche doucement mais sûrement de la fin ! J'ai un peu l'impression d'être comme Eiichiro Oda, je voulais terminer cette histoire en à peu près un an mais j'ai l'impression qu'on va y passer encore un peu de temps eh eh (note : évidemment, je ne tiens pas la comparaison avec le maître).

Enfin bref, bonne lecture à vous !

¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤

Jamais Victor n'avait marché aussi vite dans sa vie. Ses pas martelaient le sol comme la douleur martelait son coeur. Chaque foulée l'épuisait un peu plus que la précédente et lui arrachait une grimace. Il accéléra encore. Il asphyxiait déjà. Tout son corps n'était qu'une masse douloureuse, un insupportable poids qui le pesait et l'anéantissait.

Que s'était-il passé ? Pourquoi aujourd'hui ? Est-ce que Yann allait bien ? Était-il triste ? Le verrait-il pour la dernière fois ? Y avait-il eu des signes qu'il n'avait pas pu voir ? Comment avait-il pu les louper ? Yann allait-il survivre ? Et lui, allait-il arriver à temps ? Les questions se bousculaient dans son esprit, foule indisciplinée d'angoisses et de peines, sans le moindre sens. Le monde se contentait de défiler devant ses yeux. Ce monde, ce fichu monde qui n'avait plus aucun sens. Ce monde n'était qu'une immense plaie béante, purulente, sanguinolente, et les fleuves du désespoir y déversaient leur fiel de l'enfer et emportaient les éclats de l'amour qui gisait.

La terreur, comme un immense champignon atomique, avait ravagé tout son être. Les milliers de craintes qu'il avait refoulées jusqu'à présent lui tordaient les boyaux. Sans pitié. Il n'avait pas une seconde à perdre. Lorsqu'il sortit dehors, il ne prit pas le chemin habituel du lycée. En route, il avait attrapé son téléphone, qui l'écouta expliquer cette catastrophe. Lorsqu'il arriva devant la maison de Pauline, celle-ci l'attendait déjà dehors avec sa fidèle voiture. Il monta. A ce moment précis, il éclata en sanglots et déversa toutes ses inquiétudes et sa montagne de tristesse.

— On va y arriver. Il va s'en sortir, tenta de le rassurer Pauline.

Mais elle ne l'était pas plus que lui. Sa voiture laissait derrière elle les fumées noires de son désarroi. Perdre un ami était difficilement supportable. Avoir l'incertitude de perdre un ami et de voir son meilleur ami celle de perdre sa raison de vivre lui était insupportable. Elle accéléra, doubla quelques voitures indolentes, passa par les meilleurs raccourcis possibles et évita soigneusement certaines routes. La conductrice modèle avait cédé à la fureur de l'inquiétude, au carnage du trouble, à la tempête de douleur.

Ils se garèrent devant l'hôpital. Victor leva les yeux un court instant vers l'immense bâtiment grisé. Ainsi... Le moment était venu. Ce n'était pas comme s'il n'y avait pas songé. Depuis que Yann lui avait confié être malade, le fantôme de ce moment le hantait. Depuis ce jour, il avait tracé ce chemin mentalement un millier de fois. Peut-être pouvait-il s'y habituer, peut-être pouvait-il éponger les dégâts de cette secousse émotionnelle, avait-il pensé. Seulement, il existait un monde entre les affres de son imagination et la cruauté de la réalité. Un monde qui prenait les couleurs de l'enfer.

Victor ravala les sanglots qui menaçaient de tomber et continua d'avancer.

— Eh, Victor, pas si vite ! Attends-moi ! Tu ne sais même pas...

— Je peux pas ralentir, je dois le rejoindre !

C'est à lui que je dois d'être encore ici... Alors je ne peux pas... l'abandonner.

Il monta les marches quatre à quatre avec encore plus de vigueur qu'un coureur olympique, esquiva les malheureux qui se trouvaient sur son chemin et pénétra dans le bâtiment. Pauline, derrière lui, le suivait difficilement. Jamais elle ne l'avait connu aussi agité. Elle n'avait plus son meilleur ami d'enfance, turbulent et rieur. Devant elle se tenait un monstre de tristesse trop longtemps enfoui dans les ténèbres refoulées. Une bête libérée de sa cage.

Il ne lui fallut pas longtemps pour repérer Cécile et se diriger vers elle. Prévenue de leur arrivée, elle attendait les deux adolescents, assise sur une chaise froide et austère, ses cheveux blonds en bataille couvrant son visage fermé. Ses yeux, aussi clairs que ceux de son fils, brillaient d'une infinie tristesse, plongés dans l'obscurité des jours malheureux. Elle regarda Victor avec un infini désespoir.

Lorsqu'il fut à quelques mètres, elle eut toutes les peines du monde à se lever. Sa poitrine, qui se soulevait à un rythme irrégulier, étouffait sous le boulet de tristesse qu'elle traînait. Il ne pouvait que comprendre l'infinie désastre qui s'abattait sur ses épaules, cette bulle de vide insatiable qui dévorait tout sur son passage. Craindre de perdre un proche à tout moment, c'était comme marcher sur des éclats de verre : la terreur que ce présent ne devienne un souvenir écorche l'âme comme le verre écorche les pieds.

Victor, mû par l'instinct de l'enfant, s'approcha et serra fort la mère de son petit-ami dans ses bras. Il colla la poitrine à la sienne et il pleura, encore et encore. L'inquiétude martelait son crâne. La tristesse déchirait sa poitrine. Aucun souffle ne venait à sa gorge. Dans cette pièce, au milieu de tous ces êtres blessés, il était seul. Perdu au coeur de cette immense pièce, personne ne pouvait comprendre, pas même cette femme avec qui il partageait la personne la plus importante de son existence.

— Cécile...

— Victor... Je suis contente de te voir...

Elle recula et posa une main compatissante sur son épaule. Victor se crispa, sachant très bien qu'il pourrait craquer à tout moment. Il se mordit sa lèvre trop émotive. Cécile se tourna ensuite vers Pauline et la remercia d'être venue, mais déjà, l'adolescent n'écoutait plus. L'assourdissant tintamarre qui se jouait dans sa tête l'envahissait. Lorsqu'il avala sa salive, elle lui parut bien acide. Rassemblant toutes ses forces, il réussit à lui poser la question qui lui brûlait les lèvres :

— Est-ce que... Est-ce que c'est grave ?

— Je... Je ne sais pas, Victor... Les médecins qui nous ont reçus n'étaient pas affolés mais ils n'étaient pas rassurés... Ils viennent de l'emmener pour faire un scanner il y a dix minutes.

— Bordel... Mais... Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Il la vit prendre une grande inspiration.

— Il se préparait pour aller en cours. Comme tous les jours, il prend un bon petit déjeuner, puis part se préparer, pendant que je range mes affaires. Je l'ai entendu prendre sa douche puis s'enfermer dans sa chambre... Je sais qu'il aime bien rester un peu seul le matin. Quelques minutes plus tard, j'ai entendu un bruit... comme si quelque chose tombait... Au début, j'ai pensé que ça venait de l'appartement des voisins, mais... quand je lui ai demandé si ça allait, je n'ai pas eu de réponse. Je pensais qu'il avait son casque, alors je suis rentrée dans sa chambre. Et là...

Au bord de l'explosion, Victor se retenait de craquer. Ses phalanges pâlissaient, ses joues rougissaient. L'émotion, superbe, douloureuse, indicible, le parcourait de bout en bout. Imaginer ce que Cécile avait dû voir lui était insupportable.

— Je l'ai vu sur le sol... Inconscient... Je ne sais pas ce qui s'est passé, Victor... Je suis désolée...

— Ce n'est pas de votre faute, tenta de la rassurer Pauline. Ce qui est arrivé à Yann... Personne n'aurait pu le prévoir.

— En attendant, gronda Victor, c'est arrivé.

Pauline lui jeta un coup d'oeil furibond. Le regard noir que lui renvoya le brun suffit à lui faire détourner le regard. Ses prunelles menaçantes brillaient d'un éclat ténébreux. L'adolescente soupira et reporta son attention sur la quadragénaire, un triste sourire sur les lèvres.

— Je vous assure que vous n'êtes pas responsable. Je sais bien ce qu'on ressent dans ce genre de moments. Mon petit frère nous a déjà fait de belles frayeurs... Je suis sûr que ça ira mieux.

Cécile la remercia du bout des lèvres. D'un geste, elle l'invita à s'asseoir à ses côtés, puis lança un nouveau regard suppliant en direction de Victor. Il se mordit les lèvres et finit par céder. Elle n'y était pour rien. Personne n'y était pour rien. Personne n'aurait pu prévoir ça... Pauline avait raison. Il répétait la même erreur qu'elle, quelques années plus tôt. Une erreur qui l'avait plongée dans le désespoir le plus complet des jours durant.

Une erreur qu'il ne voulait pas faire.

Il ravala les trémolos qui se promenaient au fond de sa gorge et s'installa sur la dernière chaise libre, l'estomac rongé par l'inquiétude. Lorsqu'un interne vint les chercher, deux cafés et un million de questions plus tard, il avait fini de se ronger les ongles. Ils se levèrent comme un seul homme.

— Nous avons passé les examens primaires.

— Et alors ? demanda Victor.

— Le médecin s'entretiendra avec vous bientôt. En attendant, nous l'avons placé dans un box.

— On peut aller le voir ?

Victor sentit son coeur quitter sa poitrine lorsque l'interne acquiesça d'un petit signe de tête. Le trio le suivit et le pria chaleureusement de les conduire jusqu'au blond. Trois couloirs plus loin, ils arrivèrent devant une pièce étroite aux murs gris. Cette couleur, plus triste encore qu'une tombe, agressa les yeux du brun. Un gris malade s'étendait à perte de vue. Un gris ciel de pluie.

La pièce était plutôt large ; pas assez pour que l'on puisse la qualifier de chambre, mais assez pour que le personnel circule librement s'ils passaient. Un grand lit trônait au centre. Une forte odeur de désinfectant traînait dans l'air.

Victor écarquilla les yeux. Il sentit ses yeux le piquer douloureusement. Il s'entendit renifler face à ce cruel spectacle. Yann, allongé sur le dos, les yeux fermés, rivés vers un plafond plus blanc que les nuages sur lesquels dorment les anges, attendait, immobile. Les draps couvraient une partie de ses jambes, ne laissant à l'air libre que ses mains blafardes. L'agitation autour de lui sembla le sortir de sa léthargie. Il émergea doucement et ouvrit un oeil fatigué vers ses visiteurs.

— Hey... lança-t-il doucement.

— Mon chéri...

— Maman... Tu m'as apporté des invités de marque, c'est gentil... sourit-il.

— Évidemment qu'on est là, lança la rousse.

— Désolé... Je ne suis pas... Aïe... Je ne suis pas en grande forme.

— Les infirmières ont été gentilles avec toi ? l'interrogea sa mère.

— Très. J'ai été gâté.

Cécile hocha la tête, silencieuse.

— Tu te sens comment ? lui demanda Pauline, devançant visiblement sa mère.

— Franchement, je taperais pas un marathon, là... J'ai mal à la tête...

— Tu as fait une sacrée chute, apparemment.

— Ouais... Je vais me taper un beau bleu... Je vais avoir l'air fin, moi...

— Si ce n'est qu'un bleu, ça va, plaisanta Pauline.

Toute la nuit entière assombrit le regard de Yann.

— Il paraît que j'ai saigné un peu aussi... Désolé maman, j'ai dû tâcher le tapis.

— Mais qu'est-ce que tu racontes ? On s'en fiche du tapis.

Mais derrière cet air consterné se dissimulait l'ombre d'un sourire heureux de ce trait d'humour. Adossé au mur, Victor observa ce petit jeu qui continuait sous ses yeux, ignorant au loin la clameur des urgences. L'air était lourd dans cette petite pièce, étouffant, asphyxiant son coeur meurtri.

Il savait que ce moment arriverait tôt ou tard, il savait qu'il devrait certainement côtoyer les hôpitaux. Il savait que ce jour, maudit soit-il, s'approchait au galop et que rien ne pourrait l'empêcher de les percuter de plein fouet. Aucun pouvoir miracle ne saurait venir les sauver. On n'était pas dans une fiction.

Victor retint un sombre ricanement. Il leur faudrait effectivement un miracle, mais il savait que c'était impossible. Il avait déjà eu son miracle, quelques mois plus tôt. Maintenant, la cruelle vérité s'imposait : chaque miracle a un prix.

— Je trouve cette chaise un peu seule. Tu veux venir à côté de moi ?

Il releva la tête. Sans même le regarder, il savait que c'était à lui que Yann s'adressait.

— Ne reste pas là, viens.

Victor s'exécuta avec un petit hochement de tête. Ses joues le brûlaient. Ils étaient trop près pour que ses sentiments n'explosent pas. Il inspira un grand coup pour ravaler la cascade qui menaçait d'un instant à l'autre de s'écouler sur son visage.

— Tu m'as fait si peur... lança-t-il en passant sa main sur la joue de Yann.

— Désolé... Je n'avais pas prévu ça en me levant. La prochaine fois, je t'enverrai un message...

— Idiot.

— Je suis un monstre, soupira Yann. Je t'ai arraché aux cours d'anglais, je sais que tu les aimes tellement. Je parie que tu as couru moins vite pour aller au lycée.

— Je n'ai jamais couru aussi vite... Je tiens trop à toi.

Yann esquissa un petit sourire et baissa les yeux.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Je... J'ai chuté. C'est que je peux être... maladroit...

Victor haussa un sourcil. La voix de son petit ami n'avait émis qu'une petite plainte quasi inaudible. Elle était loin de celle qu'il lui connaissait.

— Je...

Alors qu'il allait continuer, la porte du box s'ouvrit soudainement sur un quinquagénaire en blouse blanche. Le docteur salua tout le monde d'un coup de tête rapide. Victor se mordit la lèvre. La tension était plus que palpable. Tout le monde attendait beaucoup l'intervention de cet homme. Ce dernier balaya la pièce d'un mouvement de tête.

— Vous êtes tous de la famille ?

— Oui, répondit Yann sans attendre.

— Bien. Voulez-vous que je divulgue les résultats de l'examen ou voulez-vous que l'on s'entretienne seuls ?

— Je préfère qu'ils restent.

— Bien. J'ai donc regardé les résultats du scanner que vous venez de passer. Suite à la chute, le choc a provoqué une commotion cérébrale. Heureusement, celle-ci est assez légère pour ne pas provoquer de lésions importantes. J'ai également remarqué que votre tension est assez élevée. Vous faites de l'hypertension ?

— Non, mais...

— Comment vous sentez-vous ?

— Fatigué. J'ai mal à la tête. Et à la poitrine...

Le docteur acquiesça, l'air grave.

— Est-ce que cette commotion cérébrale aura des conséquences ? interrogea Cécile. Pendant combien de temps ?

— Il aura certainement quelques maux de tête, des troubles de l'équilibre, une perte de concentration et une sensibilité accrue. Une commotion cérébrale peut aussi entraîner une perte de mémoire. Cela peut durer quelques jours, mais rarement plus longtemps pour une lésion mineure.

— Comment ça, une perte de mémoire ? s'inquiéta Pauline. Une amnésie totale ? Mais... Il se souvient de nous...

— Bien sûr, rit le docteur. Ce que j'entends par perte de mémoire, ce sont de légers troubles mémoriels qui vont lui arriver dans les jours à venir. Ne vous fâchez pas s'il vous pose la même question quelques minutes après vous l'avoir posée... Il se peut également que vous ayez du mal à vous souvenir des instants qui ont précédé la chute.

Yann ne répondit rien, gardant désespérément les yeux baissés. Ses poings fermés froissaient les draps. Que pouvait-il bien penser, lui qui avait probablement perdu une part de son être ?

— A la vue de ces résultats, vous allez rester en observation au moins cette nuit afin que l'on puisse procéder à des examens complémentaires. Nous vous transporterons dans une chambre sous peu.

L'adolescent acquiesça. Le docteur adressa une dernière salutation à l'assemblée et s'éclipsa comme il était venu. Victor s'entendit pousser un long soupir. Pendant toute la discussion, il avait retenu sa respiration.

— On dirait qu'ils ne vont pas me laisser sortir, sourit Yann. C'est qui, qui va être chouchouté par toutes les infirmières ? Et les infirmiers ?

— Tais-toi, c'est pas drôle ! enragea Victor, crocs sortis.

Alors, le rire de Yann retentit. Bien plus faible qu'avant, comme un écho au fond d'un canyon. Mais un écho qui n'avait rien perdu de sa beauté. Si clair, si pur. Plus cristallin encore qu'une cascade de diamants, plus brillant encore que le soleil se levant. Plus pur qu'une plume d'ange.

— T'as intérêt à bien en profiter, lança Victor.

— Ouais... Compte sur moi.

Le docteur avait raison : on déplaça bientôt Yann dans une nouvelle chambre. Sa mère l'accompagna, laissant les deux adolescents dans le couloir. Avant d'être transporté, il leva le pouce en direction de ses proches. Un pouce plein de promesses. Un pouce salvateur. Victor lui répondit en levant le sien et sourit de toutes ses dents.

— Ne t'en fais pas, tout va bien se passer, souffla Pauline.

— Tu crois ?

— Oui, j'en suis sûre !

Victor se détendit et sourit de toutes ses dents. Oui, il fallait y croire : tout allait bien se passer. Cette main amicale sur son épaule et le pouce de l'espoir qu'il contemplait s'éloigner le rassuraient.

— Viens, on va prendre un peu l'air, on reviendra le voir quand il sera installé confortablement.

Victor acquiesça et suivit Pauline dans ce dédale de couloirs blancs. Il accueillit la proposition salvatrice de son amie avec bonheur. L'air était étouffant. Il voulait retrouver le bonheur de sentir sur sa peau les caresses solaires du printemps.

Lorsqu'il franchit la porte automatique de l'hôpital, il prit une bouffée d'air frais. Aussitôt, une vague de culpabilité le pourfendit. Il respirait alors que c'était l'air qui manquerait bientôt au corps de son amour. Il profitait, éhonté, des soupirs princiers du zéphyr alors que Yann peinait de plus en plus à les accepter.

Les deux adolescents continuèrent leur marche. L'air, frais, caressait leur peau et balayait les mauvaises ondes comme la tempête fouettait les vagues en haute mer. Elles finissaient toujours par revenir, mais pendant un instant, les creux dans ces océans hostiles devenaient les meilleurs amis des navires égarés.

— Il fait plutôt beau, aujourd'hui...

Victor leva les yeux vers le ciel. Pour une matinée qui commençait à peine, le temps était plus que clément. Aucun nuage ne troublait l'horizon, aucun vent perfide ne venait les refroidir, seule une brise légère courait sur les toits et chatouillaient leur peau. Il soupira. Peu importe combien le ciel était bleu, aujourd'hui, il était incapable de le voir.

— Comme tous les jours en ce moment, répondit-il.

— C'est un beau jour pour guérir.

Il tourna la tête vers son amie. Il voulait la croire. De toutes ses forces. Seulement, il devait ignorer le boulet de ses démons qui pendait à ses pieds. Toute une affaire.

— J'espère...

Assis sur un banc, sous le regard des rares passants, les deux adolescents observaient les environs.

— Victor...

— Ouais ?

— Non, rien. Oublie.

— Depuis quand est-ce que tu me fais un truc comme ça, Pauline ? s'indigna Victor. Tu hésites à me dire quelque chose ?

— Ce n'est rien...

— Te connaissant, ce n'est jamais rien.

Pauline soupira. Perspicace, le petit.

— C'est juste que... Je sais que tu tiens beaucoup à Yann... Mais je voulais m'assurer que tu comprennes bien que ses chances de guérison sont vraiment minces, pour ne pas dire quasi nulles.

— Je le sais bien, ça ! Où est-ce que tu veux en venir ?

— Je veux juste que tu saches ce que ça implique. Ne te sens pas coupable si aucun miracle n'arrive.

— C'est difficile, de se sentir innocent quand on assiste à ça. T'es la mieux placée pour le savoir.

— Ouais, et c'est exactement pour ça que je t'en parle, parce que je sais ce que ça fait, triple buse.

Le brun sourit piteusement, sentant les larmes affluer de nouveau. Pauline lui frotta gentiment le dos.

— En attendant, continuez de faire ce que vous faites de mieux.

— L'amour ?

— Mais non, patate. Profiter de la vie.

Son sourire chaleureux réchauffa le coeur de Victor. Elle avait raison, ils n'avaient que ça à faire, profiter.

— Au fait... Je crois que je vais changer mes plans pour le futur...

— Ah bon ? s'interrogea Victor.

— Eh bien... Je voulais faire une licence de géographie, mais... Tu te souviens qu'Angel nous avait invités il y a quelques jours ?

— Ouais ?

— Tu te souviens aussi que je t'ai dit que nous nous étions un peu disputés ?

Victor acquiesça. Le lendemain, il avait découvert un message déçu de Pauline concernant sa petite soirée avec Angelo.

— Je t'avais dit que c'était une banale dispute... Excuse-moi, je t'ai menti. En fait, nous avons parlé de l'avenir, et... Il m'a proposé de le suivre en Argentine. Au début, j'ai refusé tout net. Je ne pouvais pas accepter, ce qui l'a beaucoup contrarié. Nous nous sommes engueulés un petit moment, parce que même s'il acceptait ma décision, il serait déçu. Il a peur que nos sentiments ne perdurent pas avec une telle distance.

— C'est n'importe quoi ! Beaucoup de relations à distance tiennent, même si ça fait mal.

— Il faut être réaliste, ça va être très compliqué. Je suis quelqu'un qui a besoin de relation physique. Et Angel est très... concentré ce qu'il fait. Il a peur que la distance ne soit pas la seule chose qui nous séparent. Plus j'y réfléchis, plus je me dis qu'il n'a pas tort. Sans compter que je ne peux pas réprimer mon envie d'explorer le monde.

— Ne me dis pas que...

— Je suis désolée, Victor.

Pauline poussa un autre soupir contrarié.

— Plus le temps passe et plus cette solution me paraît intéressante. Je pense accepter. En fait, j'ai déjà envoyé un message à Angelo pour lui dire que je réfléchis à sa proposition.

— Je vois... Je ne vais pas faire l'égoïste et te demander de rester, mais... Tu es ma meilleure amie et tu vas me manquer.

Il eut à peine le temps de finir sa phrase que les bras de Pauline le serrèrent avec force. Elle lui ébouriffa les cheveux :

— Oh mais c'est trop mignon ! Toi aussi tu vas me manquer, gros benêt !

— Lili, arrête ! Je n'ai plus huit ans, touche pas à mes cheveux ! Et même pas vrai, j'ai dit ça pour être gentil !

— Mais c'est qu'il fait le fier en plus ! Allez, je suis certaine que tu le penses et que tu vas pleurer en me voyant partir !

— N'importe quoi ! Arrête, s'il te plaît !

— Tu resteras toujours mon adorable meilleur ami, mon gamin adoré, tu sais, hein ? Viens te blottir dans les bras de tata Lili.

Sans attendre, Victor suivit le conseil de Pauline et se réfugia dans ses bras. Il était tellement mieux, protégé dans ces bras amicaux. Savoir qu'il ne pourrait plus profiter de cette protection lui serrait le coeur.

— Idiote.. Tu vas tellement me manquer... Je veux pas que tu partes, Lili... Je croyais qu'on devait rester tout le temps ensemble...

— Toi aussi, tu vas me manquer... Mais ça ne veut pas dire qu'on ne sera plus amis, d'accord ? Je serai toujours à tes côtés. On s'appellera, on fera des appels en visio. Et tu pourras même me rendre visite si tu veux ! Ce voyage ne durera pas pour toute la vie. On finira par se revoir, ok ?

— Promis ? demanda-t-il, des trémolos dans la voix.

— Promis.

Victor écarquilla les yeux. Pauline lui tendait le petit doigt. Ce geste enfantin débordant de symboliques lui arracha un nouveau sanglot, mais il tendit son propre auriculaire et l'accrocha solidement à celui de sa soeur de coeur.

— Dans ce cas, ça me va.

— Parfait !

— Et tu comptes faire quoi, là-bas ?

— Ah, ça... C'est une autre question.

— Quoi ? T'as aucun plan ? se décomposa Victor.

— L'aventure, Vic, l'aventure ! s'amusa Lili.

— Et c'est moi le moins mature, hein...

— Ne t'inquiète donc pas pour moi. J'ai encore un peu de temps pour me décider.

Le portable de Victor vibra. Il le regarda et se leva d'un bond.

— C'est bon, il est installé dans sa chambre ! Viens, on va le rejoindre !

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