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1.6.

Nick Cave - Push the sky away



Il revint le samedi suivant, avec sa guitare. J'étais en train de jouer, Andreas me soutenait au xylophone, tout l'étonnement des errances dans le bois sonnant, quand il entra, l'instrument en bandoulière, le sourire un peu niais, l'air tout entier un peu incrédule. Je grimaçai. 

« Pardon d'interrompre...

- Rien du tout », répliqua Andreas en continuant de jouer et en me faisant signe de poursuivre aussi.

Je détournai les yeux. Andreas lui adressait probablement des signes, je le sentais ou je le supposais plus distant, c'était plus fort que moi. Il prit le temps de nous écouter avant d'oser ponctuer quelques mesures de deux-trois notes hasardeuses.

« T'es pas dans la bonne tonalité... marmonnai-je. C'est exprès ?

- Ah pardon... »

Andreas étouffa un rire et me jeta un regard narquois. Je jouai à l'innocent qui ne venait pas de changer de tonalité exprès. Eh quoi, c'est son audition, non ?

« Non, bouge pas, change rien... »

Andreas l'avait entendu aussi. Un fragment mystérieux, ces aigus, un petit câble tendu au-dessus de la tête qui vibre, alerte. Il s'enhardit, fila dans une mélodie plus rapide, saccadée, avec quelques échappées sombres, que je revins soutenir.

« Une valse, Andreas ? » murmurai-je.

Je suis sûr qu'il sourit.

Le guitariste avait arrêté de jouer avant la fin, je crois, je ne l'avais pas beaucoup entendu.

Andreas lui adressa un clin d'oeil et s'installa à la batterie. Je lâchai l'archet et levai les mains, en signe de paix. Il avait du mal à démarrer, se jeter dans la frénésie de sa jam session. Allez, lâche prise, essaie. Il faut qu'on sache. Andreas s'emballait, je finis par pincer mes cordes, proposai une mesure, puis une autre, qu'il adopta timidement, ses yeux passant de mon violoncelle à sa guitare.

« D'accord, l'impro, c'est pas encore ton truc.

- Je ne joue pas depuis longtemps. J'avais jamais joué avec d'autres...

- Essaie de suivre ça, alors... », coupa Andreas, indifférent aux excuses.

Il choisit le clavier cette fois, pour jouer une de nos compositions. Je ne dis rien, je laissais faire. Il lui parlait en même temps, pour expliquer comment s'aligner, accompagner. Le guitariste cherchait ses notes, il imitait la couleur que montrait Andreas, pas prêt à interpréter encore mais concentré, humble et émerveillé.

Que faire à présent ?

Accompagner le mouvement

Il revint le samedi suivant, puis tous les autres. Lillie resta également. Elle ne m'avait pas dit grand-chose de ses activités depuis la rentrée ce qui voulait dire qu'elle était libre – désœuvrée. Qu'importe, reste, viens, chante, même faux. Elle déclamait plutôt, de sa voix d'or rocailleuse, héritée d'on ne sait où, qui faisait jaser dans la famille. Nos soirées n'étaient pas désagréables, elles étaient parfois même amusantes et il y avait toujours de la musique. Toute celle que nous avions inventée durant l'hiver était en train de prendre des formes nouvelles, plus précises, limitées ; des formes, vraiment. Quand Andreas et moi explorions ensemble, elle fusait de toutes parts, lumière diffractée. Au moment de composer, je ne m'en rendais pas compte, je ne m'en préoccupais pas, elle jaillissait comme ça, presque à travers moi. Maintenant, elle était en train de devenir des morceaux, à quatre entrelacs et non plus à deux, quelque chose de complet, non : quelque chose de fini, fait, parfait, entre les contours,

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