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« Oh VINCENT !!! »

Je secouai la tête.

« 'tain tu nous as fait peur !!

- Quoi encore ? Je joue, là !

- Oui ! et ça fait dix fois que tu reprends la même musique en boucle... ! »

Je souris. Guillaume eut une moue inquiète – pour lui plus que pour moi.

« Moi j'aime bien, reprit Andreas, inlassable allié, si on réussit à bien arranger cette mélodie avec nos instruments, on pourrait avoir quelque chose de... »

Symphonique, pensai-je à l'instant où Guillaume lui coupa la parole.

« On n'était pas censés répéter au lieu de composer ? »

Bon, tout au moins un concerto.

« J'ai du mal à imaginer des paroles là-dessus, intervint Lillie.

- Oh, tu sais, les paroles... »

Andreas rougit en prenant conscience de sa maladresse.

« Je... veux dire que certains morceaux pourraient être des instrumentaux...

- Si on te laissait, il n'y aurait que des instrus...

- Pour ces morceaux-là, que Vincent est en train d'imaginer, il nous faudrait au moins des chœurs, il nous faut un orchestre !

- Vous êtes en train de recommencer à vous payer notre tête...»

Guillaume hocha la tête, mal à l'aise.

« Je suis désolé que tu le prennes comme ça... Mais sois un peu honnête aussi : ça fait un moment que tu ne nous as rien proposé, que tu viens moins souvent aussi... »

Elle leva les yeux au ciel, excédée.

« Facile à dire ! Je ne suis pas aussi douée, ni aussi rapide que vous. Il me faut bien plus de temps et d'assurance pour réussir à vous proposer quelque chose, et de là à ce que vous daignez l'écouter... C'est tellement...

- Quoi ? Mais parle !

- Je veux dire que vous êtes en train de vous éloigner dans une voie postrock-symphonique je ne sais trop quoi, mais mes idées correspondent à ce qu'on faisait avant.

- On écoutera quand même » dit négligemment Andreas, le moins convaincant du monde. 

Je m'en voulus un peu de devoir filer au restaurant avec Guillaume. Lui et moi étions en cuisines ce soir-là, noyés dans les odeurs poisseuses qui collaient au visage. La chaleur des fours et plaques, le vrombissement des machines, le son du métal contre la grille de cuisson l'écœuraient plus que d'habitude. Il était vert, des cernes jusqu'en bas des joues et ne cessait d'inspirer d'immenses goulées d'air gras. « T'es malade ? » demandai-je, entre deux coups de feu du manager. Il répondit par un soupir. Sa spatule grinça contre la plaque de métal chaud. Je vis jaillir une étincelle. Elle clignotait à intervalles réguliers dans ma mémoire, une première note grinçante. La musique se déploya comme notée sur un éclair qui fuse de la terre au ciel. Le bruit des fers derrière le son d'une corde aiguë, le craquement des rouages, mêlé à la fumée. Guillaume était devenu l'otage d'une furie qu'il ne comprenait pas mais dont il saisissait l'ambition démesurée. Je le considérai différemment, au concert, ce soir-là. Nous avions été invités par les habitués d'un studio de répétition et c'était une expérience assez amusante. Passée la première heure où nous tâtonnâmes, Guillaume reçut une foule de conseils, Andreas épata tout le monde et termina par un défi de batterie sur un morceau qu'il ne connaissait même pas. Guillaume souriait. Je m'assis à côté de lui pour trinquer.

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