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Avant même le réveil, quelque chose de très doux. La neige apaisante de Munich, infinie, immaculée. Il n'y a rien. Un rayon rouge perce à travers mes paupières et scinde son étendue blanche. Un corps étranger me délivre des sensations. Cette sueur musquée, c'est un foyer. Où s'arrête ta peau, où débute la mienne ? Que c'est difficile de se rattacher à son corps. Nos sueurs en cette nuit d'été se confondent, nous confondent. Mes doigts s'agitent sur mon ventre et sa main. Ils pincent des cordes imaginaires, ils le faisaient déjà dans mon sommeil. Je n'arrive pas à les empêcher. J'entends la musique. Qu'est-ce que j'y peux ? J'entends la musique... 

« Restes-y un peu... Ça a l'air si doux... »

Je me rendors.

Nous fûmes réveillés par Guillaume qui pesta « Oh, ça pue le fauve ici ! » et nous donna la clef de sa chambre pour que nous puissions discrètement y voler une douche. Nous déjeunâmes devant la caravane grand ouverte en attendant Lillie, avant de filer vers une autre ville. Balances. Je ne jouai pas, Lillie se chargea de faire sonner le violoncelle, j'étais prostré dans la salle. Je les écoutais. Nous croisâmes les Forceuses sans savoir que leur dire.

Le groupe de spectateurs qui nous avait suivis sur presque tous les concerts était massé au premier rang. Disons que les six premiers rangs étaient composés de nos fans. Les autres attendaient les Forceuses d'Avalanches, mais avec de moins en moins d'impatience, au fil du concert. Guillaume dansait, perdu dans son pull trop grand, usé, il haranguait la foule avec des cris et des sourires, chantait avec Lillie, doublait ses refrains. De sa voix devenue rauque à cause de la fatigue, il chantait fièrement « Gloria », ode à la fureur joyeuse et brute. Lillie avait la grâce et la rage des dernières fois. Elle me rappela l'été dernier, quand elle s'était métamorphosée en quelque chose de plus qu'une femme.

Saluts. Rappels. Victoire nous hurlait de sortir de scène.

Andreas fit un signe à Guillaume.

« Mouvement 2 »

Andreas, je te hais.

Je retrouvai mon esprit, tout à coup, en jouant cette phrase dont je ne savais me détacher. Nuit d'hiver, le monde avait disparu sous la neige, il ne restait que le toit de la vieille usine et le vide à mes pieds m'attirait. Exactement cela, exactement ma place, en équilibre. Je savourais mes derniers instants, l'appel du vide. Juste avant de basculer. Quelle belle chute, cela allait être excitante, stupéfiante ! Allez, un dernier soubresaut et...

Silence Silence

BAM BAM

Premier coup du destin, un lasso d'Andreas

ARRÊTE !

Je faillis m'évanouir lorsque je sentis cette corde vibrer à nouveau au fond de moi. Mon sursis. Je jouai la reprise comme un forcené, je laissai échapper des cris inarticulés de rage et de détresse, caché par mes cheveux et couvert par le son de nos instruments. Chocs vertigineux. Droit dans la mémoire. Je tournais en rond...

Les timbales insistèrent. Seconde gifle.

Tu as choisi de vivre,

tu as fait ce choix

il y a bien longtemps.

Souviens-toi !

Je repris cette mesure qui ne finissait jamais.

La troisième fois, il m'illumina.

ScènesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant