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L'été s'éternisa, suave comme du poison.

Guillaume fut le premier à s'échapper pour retrouver les collines de Carlieux. Lillie invita Lech avant de s'évader à son tour. Fauché, j'avais dû retourner à la cafétéria, plus huileuse et infecte que jamais dans la moiteur estivale. Les clients étaient rares, le personnel somnolait, appuyé sur un balai, accoudé au comptoir, déformé par l'air tout ondulé de chaleur. Le ciel toxique continuait de déverser sa poussière blanche qui nous pénétrait tous et nous plongeait dans un monde surréaliste où tout était trouble et ralenti, comme dans un rêve halluciné.

Je travaillais une poignée d'heures le soir, ce qui me permettait de dormir lors des moments les plus étouffants de la journée. A peine rentré, je me débarrassais de mes vêtements et m'effondrais, étourdi, sur le lit. Andreas avait tendu tous les draps de l'appartement au-dessus de nos têtes pour nous protéger des rayons et des moustiques. Nous étions seuls au monde, dans cet air brûlant, peau contre peau, sous cette membrane ardente, baignés de nos moiteurs confondues. Nous ne dormions pas complètement, pas toujours en même temps, mélangeant nos rêves et nos idéaux sur des musiques de cosmogonies.

Il était nimbé de bonheur.

« Joue encore, Vincent.

- Andreas... »

Son regard légèrement soucieux, le sourcil à peine froncé. Non, aucun nuage sur notre été ! Pas même

ce souvenir glaçant

« Attends, Andreas, attends... Elle est si proche et si palpable, à chaque instant... Je ne veux pas l'entendre aujourd'hui... Je veux être avec toi.

- Tu es à fleur de peau... murmura-t-il de sa voix grave.

- J'ai peur de sombrer... Je l'ai toujours connue, tu sais. Elle m'a guidé depuis le début. Je la crains, je sais bien... Mais elle m'attire... J'ai peur, je ne sais pas quoi faire.

- Quoi que tu fasses, je suis avec toi... »

Dans la torpeur de l'été, des visions d'incendie me revenaient. Seuls dans l'appartement bien trop grand pour nous, Andreas et moi communiions secrètement, effrayés à l'idée d'apprivoiser un jour l'urgence irraisonnée qui nous précipitait l'un vers l'autre.


Le jour où Lillie et Guillaume rentrèrent, nous arpentâmes les ruelles, un peu étourdis. L'été à Ludz était une chose effroyable. Certains chanceux avaient pu s'exiler ou trouver un emploi, les autres s'enfermaient, accablés par la chaleur. Désœuvrés, ils erraient la nuit dans les rues, en bandes muettes, lourdes, vêtus de tee-shirts informes, à la recherche d'un petit trafic qui leur permettrait d'aller au cinéma ou au bowling à la moquette râpée et noircie, dernier vestige d'un immense complexe d'amusements. Le cœur nous serra tous les quatre à la vue de ses miroirs piqués et ses ferronneries patinées qui luisaient faiblement sous les néons bleus. Nous rejoignîmes la vieille usine où ne traînaient qu'Eve et quelques-unes de ses amies qui nous accueillirent joyeusement. Nous nous prélassâmes sur les banquettes, à l'abri, dans cette ombre froide, de la démence du dehors. Lillie souriait, sa chevelure rousse gorgée de soleil, insensible à la cendre qui pleuvait du ciel.

« Suite du programme ? demanda-t-elle, je suppose que toi et Andreas avez avancé le Mouvement 3...

- A moins que vous n'ayez des dates pour une autre tournée ? » s'écria Guillaume, les joues brunes encore fraîches des rondeurs de Carlieux.

- Alors comme ça vous vous payez des vacances et nous on n'a même pas le droit de se reposer ?

- J'y crois pas, Vincent est incapable de se reposer ! 

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