Andreas m'attendait, patiemment, le bras près du mien.

« On y est, Vincent. »

Je clignai des yeux, un peu aveuglé par l'ampoule nue d'une blancheur maladive. C'était à peine une cave, c'est vrai, mais à l'intérieur, c'était un petit musée, un joyeux bazar. Bongos, djembé, glockenspiel, xylophone, batterie, hang, timbales... Et d'autres percussions dont je ne connaissais ni le nom, ni l'existence pour certaines. Il y avait un simple futon plié pour le jour, un combiné évier-frigidaire dans un coin. « J'ai aussi un synthé, c'est plutôt pour composer et enregistrer. Qu'est-ce que tu veux écouter ? » J'avais la sensation d'être soulevé, que toutes les cellules de mon corps se tendaient, en alerte, que les polarités du monde venaient de se renverser

Excité, admiratif

Excité

et que j'étais à ma place.

« Je vais voler en éclats... murmurai-je pour moi-même.

- Pas question, reste là ! C'est que j'ai besoin de toi, moi.»

Je ne pensais pas qu'il m'aurait entendu. Je tournai la tête. Il était juste derrière moi, et je ne l'avais pas senti venir avec ses yeux qui pétillaient plus dorés que du champagne, si proches.

Je soupirai quelque chose d'incohérent.

« Quoi ? murmura-t-il de sa voix rauque.

- Je veux t'entendre ».

Il laissa son regard traîner dans le mien encore un instant.

« Prends ta merveille, j'ai envie de jouer avec toi, d'abord ».

A ma grande surprise, ce fut au clavier qu'il s'assit, tandis que je frottais mon archet à la colophane. « Rejoue ce que tu as joué le premier soir » demanda-t-il, les mains étendues au-dessus du clavier. 

Son premier ruissellement de notes accompagna sans difficulté la mélodie du violoncelle, d'une justesse exquise. Je lui laissai la place, nous nous succédâmes, comme des vagues. Je desserrai les dents que j'avais crispées, tentai de détendre mes sourcils et puis je cessai de réfléchir, tout entier abandonné à la fois au long et profond chant du violoncelle et aux nuances chatoyantes du clavier qui venaient m'arracher en guirlandes des soupirs incontrôlables.

Ses cheveux longs dérobaient son visage à ma vue. Il souffla doucement après la fin et leva vers moi un regard plus narquois que je ne m'y attendais. Je le soutins, plus gravement que je ne le voulais. Cela n'avait pas d'importance. Pourtant les écailles devant ses yeux se fissurèrent et elles tombèrent une à une, doucement, comme de la neige. Il hocha la tête, il se décidait. Il fit craquer ses doigts, sa nuque et sûrement bien d'autres choses encore, à l'intérieur.

« Dis-moi ce que tu penses de ça... Tu pourrais y ajouter quelque chose. »

Il lança une piste pré-enregistrée. Une suite de notes légères s'échappa de l'ampli, à peine voilées d'une très tendre mélancolie qu'il n'était pas difficile d'accompagner. Les effets d'un passé que je n'avais pas vraiment connu m'imprégnèrent l'esprit : enfance rose et vert pâle, insouciance éthérée. Peut-être était-ce la nostalgie de jours heureux qu'Andreas insufflait à sa musique. C'était charmant, comme son sourire quand il l'offrait, et gênant, mais pas parce que j'avais la sensation de découvrir une émotion intime. C'était gênant parce que je sentais la déception monter et que je ne pouvais la réfréner. Où étaient l'envergure, la puissance, l'audace, le souffle ? L'agacement grinçait à mes oreilles. Merde.

Merde merde merde !

Arrête.

Mais il ne s'arrêta pas là et je n'avais rien senti venir

ScènesWhere stories live. Discover now