Le bien, le mal, et le reste

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Da-jee-ha perçut mon trouble dès que j'eu atteint l'orée du petit village suomen, assise au milieu de la place centrale à tresser de longues nattes en compagnie des autres habitants. Les traits fins de son visage se ridèrent en une expression inquiète, tandis que je tentais du mieux possible de cacher mes yeux rougis, et les lacérations que les arbres avaient laissé sur mes bras et mon visage le long de ma fuite désespérée. J'étais dans un état lamentable. Honteux. Le simple fait de pouvoir être aperçue ainsi, de paraître ainsi vulnérable, me donna la nausée, et je tentais donc de reprendre une contenance en pénétrant dans l'unique et large chemin séparant les hautes mais éparses demeures.

La Cheffe abandonna son oeuvre pour venir à ma rencontre, pour mon grand malheur. J'aurai préféré, à cet instant, qu'elle m'ignore totalement et me permette de reprendre mes esprits, qu'elle fasse comme si elle n'avait rien vu. Mais Da-jee-ha n'était pas ce genre de personne, et ce n'était pas sans raison qu'elle avait été choisie pour diriger la petite communauté malgré son âge - bien que cet aspect était peut être moins central dans la culture suomen. Elle était droite, assurée, mais aussi emphatique, peut être trop pour son propre bien - elle m'avait après tout recueillie, alors même que j'étais la raison pour laquelle sa compagne était morte. Lorsqu'elle m'adressa la parole, sa voix était vibrante mais impérieuse.

-Cheveux d'or! Quoi arriver toi? S'exclama-t-elle dans son français si maladroit. Toi blessée!

-Non, non, tout va bien. Mentis-je avec assurance, comme je savais si bien le faire. Je suis simplement tombée.

J'affichai un grand sourire confiant, consciente que c'était le meilleur moyen d'échapper à plus de questions. Mais Da-jee-ha n'était pas dupe, et j'avais sous estimé un aspect central dans la différence entre ma culture et la sienne: elle était une guerrière et une chasseuse. Elle parcourait probablement les montagnes et les forêts depuis sa plus tendre enfance. Et en conséquence...

-Ça pas blessure tomber. Asséna-t-elle en m'attrapant par le bras. Ça blessure coupante. Cailloux pas faire ça. Quoi arriver toi?

-Tout va bien, je te dis. Plus de peur que de mal. J'ai...

-Cheveux d'or. Moi pas juger toi, mais toi devoir pas mentir. Ça mal. Et moi inquiet.

-Inquiète. Fis-je avec un sourire aussi attendri que contrit. Tu es... inquiète.

Da-jee-ha se contenta de hocher la tête, et me fixa droit dans les yeux. Mon regard s'attarda sur elle, puis sur le groupes d'habitants derrière elle qui, tout en continuant leur oeuvre, nous jetaient des regards intrigués. La cheffe sembla comprendre, et me prit par le bras.

-Toi venir.

Elle m'entraina à l'écart derrière une des bicoques, hors de vue des autres suomen qui nous observaient. Puis, elle se campa face à moi, et de sa taille légèrement supérieure à la mienne, me fixa, attendant que je parle. C'était une étrange sensation, que d'avoir l'impression d'être grondée ainsi. J'avais le sentiment d'être de retour en enfance, et d'avoir en face de moi notre gouvernante, la vieille Domenica, me toisant de ses yeux durs pour me faire comprendre ma faute, et en graver les conséquences au coeur de mon esprit impressionable d'enfant. À la différence, bien évidemment, que Domenica n'avait pas la jeunesse de Da-jee-ha, me dominait bien plus en terme de taille, et, surtout, était une personne généralement invivable et bien peu empathique, à mille lieue du caractère si dévoué de la cheffe suomen.

-Ce n'est... pas grand chose, vraiment. Commençai-je, et je sentis son regard se durcir, et j'en vins à me demander si elle ne risquer pas de voir au travers mes chairs. Je voulais juste... revoir la mine, au moins de l'extérieur. M'y confronter. Je ne sais pas ce que je m'attendais à y trouver.

SauvagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant