Deuxième tour

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-Ester... tu devrai te reposer.

-Je ne suis pas fatiguée.

-Et moi je ne suis pas corse, oui. Ricana Santoni. Regardes un peu les valises que tu te traines sous les yeux, on dirait un zombie. 

-Je me suis donc visiblement trompée sur tes origines. Rétorquai-je froidement, sans détourner mon regard de l'écran de mon ordinateur, sur lequel ne cessaient de défiler les tweets des internautes. 

-Je être d'accord avec Ban'boh-ti. Acquiesça Da-jee-ha. Toi devoir te reposer. Toi te miner la santé.

-Depuis quand vous êtes sur la même longueur d'onde, tous les deux? Répondis-je, irritée. Il y a un mois tu tentais de fuir les suomen par tous les moyens et maintenant tu t'allies à eux, Santoni? 

-Tu racontes des conneries, Ester, t'as à peine dormi depuis le premier tour. Rétorqua le corse. Si tu ne te repose pas c'est nous qui allons t'y forcer parce que clairement, ça nous fait pas du bien de te voir dans cet état.

-Parce que tu crois que ça me FAIT DU BIEN? Explosai-je. Tous les sondages sont unanimes, mais et s'ils se trompaient? Et si l'Ogre parvenait à faire changer le sort de l'élection d'une manière ou d'une autre? Et si les traditionalistes menaient un attentat sur les nouveaux élus? Et si ceux-ci ne tenaient pas leur promesse? Il y a tant de choses qui peuvent mal tourner, et tu voudrais que je me repose?

-Toi pouvoir changer quoi que ce soit? Demanda Da-jee-ha, calme comme à son habitude.

-Peut être. Répondis-je. Je ne sais pas. Il y a bien quelque chose que je dois pouvoir faire!

-Tu n'as plus aucune influence, Ester. Grogna Santoni. Tu as fait ce que tu pouvais, et maintenant les dés sont jetés. Arrête de te torturer, arrête d'essayer de porter tout le poids du monde sur tes épaules, et repose toi par l'Abysse! 

Da-jee-ha se hérissa face à cette dernière injonction, et fixa Santoni avec un étrange mélange de crainte et de méfiance. 

-Quoi? Qu'est ce que j'ai dit? Demanda-t-il, soudain gêné du regard insistant de la cheffe suomen.

-Toi avoir dit le mot. Ca porter malheur. Qui te l'avoir appris?

-Quoi? Oh, "par l'Abysse"? Répéta-t-il, provocant un nouveau frisson chez la grande suomen. C'est Sang qui le dit tout le temps, j'ai dû récupérer le tic par répétition... j'ignore le sens que ça a, cependant. L'Abysse, c'est pas le fond des océans?

-Arrête répéter ce mot. Martela Da-jee-ha. Ca être nom royaume démons! Porter malheur! Maintenant, Kinn'rehi-meh'na se reposer, et Ban'boh-ti venir avec moi. 

-Je n'ai aucune envie de dormir! Protestai-je, mais Da-jee-ha m'arracha mon ordinateur portable des mains et le ferma, avant de sortir de la chambre de Nokomis que j'occupais encore, Santoni sur les talons, l'air soucieux de ce que la cheffe allait lui dire. 

Je poussais un long soupir. Le deuxième tour allait avoir lieu d'ici quelques heures. Les deux dernières semaines avaient semblées durer un siècle, à attendre qu'un bouleversement vienne chambouler tout ce que nous avions prévu. Je n'avais jamais ressenti une telle pression à l'approche d'un quelconque évènement dans ma vie, et encore moins une élection. J'avais toujours voté, bien sûr, mais jamais un seul de ces scrutins n'avait soulevé en moi telle appréhension, que je savais grandement irrationnelle. Mais j'avais tellement espéré, tellement donné, tellement prié toutes les divinités qui puissent exister, que je ne pensais pas pouvoir supporter une défaite. Mon corps souffrait de ne pouvoir toucher celle que mon cœur désirait plus que tout, et le fait de l'avoir revue, de l'avoir sentie, de l'avoir serrée contre ma poitrine et mes lèvres, ne rendait cette attente que plus insupportable, et cette peur que plus terrifiante. Mais Santoni et Da-jee-ha avaient bien raison sur un point: je ne pouvais plus rien faire pour changer l'issue de ce vote. Ce n'était pas rassurant, mais cela signifiait bien que tout le mal que je faisais subir à mon corps en lui refusant le repos qu'il désirait tant était inutile, voir même contre productif. Je me laissai donc aller vers la chaleur de mon lit, dont l'odeur de Nokomis s'était évaporée depuis bien longtemps déjà, et me laissais aller aux bras de Morphée. Peut-être, espérai-je, tout serait terminé à mon réveil, et je n'aurai plus à subir cette pression insupportable qui me rongeait de l'intérieur. Peut-être, oui, serai-je enfin libérée... ou bien, à l'inverse, devrai-je tout reprendre à zéro et repousser encore l'heure de nos retrouvailles tant attendues. 

SauvagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant