Face aux flammes

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La nuit éternelle qui régnait dans les profondeurs de la mine sembla durer des jours et des jours. De temps à autres, nos geoliers venaient nous apporter de l'eau ou des sortes de soupes au goût immonde, mais qui avait l'avantage de nous permettre de rester éveillés malgré la faim qui nous tiraillait le ventre. Cependant, pas une fois ils ne daignèrent s'occuper de nous délier pour nous laisser satisfaire les besoins les plus basiques ordonnés par la nature. Nous n'eûmes pas d'autre choix de sois nous retenir, sois accepter l'humiliation de nous salir en échange du soulagement de la douleur. Ce fut ce deuxième choix que nous fîmes, ce qui rendit l'attente d'autant plus difficile, au milieu de la crasse et de l'odeur de nos propres déjections. Nous avions l'impression d'être moins que des animaux, mais sans savoir quel genre de propriétaire s'amusait à nous garder ainsi en vie. C'était incompréhensible.

Finalement, après une durée difficile à estimer, il arriva un groupe bien plus important dans le boyau de la mine. Le pas lourd des guerriers résonna longuement dans le noir absolu que plusieurs faisceaux aveuglants vinrent déchirer, me faisant pleurer des yeux. Je sus immédiatement qu'ils n'étaient pas là pour nous nourrir. Ils étaient nombreux, et visiblement décidé. La peur me tiraillait le ventre depuis des jours à l'idée de cet instant, et pourtant il me sembla être une libération. Cette noirceur infinie, cette saleté, cette faim qui n'en finissait plus, et cette solitude partagée m'avait rendue folle... peut m'importait ce qu'ils allaient faire, tant que cela mettait une fin à mon calvaire. Deux mains me saisirent par les bras, et l'odeur infecte se dégageant de moi sembla se répandre. Il y eut plusieurs interjections dans la langue mystérieuse de nos geoliers, mais j'y perçu du dégoût. J'avais honte, mais qu'y pouvais-je? J'étais immobile, et le simple contact de ces mains mirent à rude épreuve mes muscles endoloris par le manque de mouvement et la position inconfortable.

On me porte ainsi dans la mine, et je sus que Thomas était emmené de la même manière derrière moi. Mes yeux voyaient flou, et avaient encore du mal à s'habituer à la lumière aveuglante des torches, mais je me fis une raison. Au moins, je n'étais pas trainée au sol. C'était une bien faible consolation, mais dans mon état de fatigue et de faim, il était plus que probable que je m'évanouisse d'inanition avant la fin du trajet - ce qui ne manqua pas d'arriver, bien évidemment.

À mon réveil, l'environnement avait changé. Il faisait noir, mais ce n'était pas le noir d'encre et impénétrable du fond de la mine. C'était le noir frais mais accueillant de la nuit, accompagné du crissement des grillons et des criquets tout proche. En levant les yeux, je pus observer le scintillement des étoiles, et ce fut la plus belle chose que j'eu jamais pu voir dans ma vie. Un ciel pur, dégagé, orné de milliards de paillettes vibrante de lumière, qui semblaient m'accueillir et me souhaiter bon retour dans le monde des vivants - ou, peut être, m'invitaient-elle bientôt à rejoindre celui des morts.

J'étais toujours attachée de la même façon mais, désormais, mes épaules me brûlaient également du fait que j'avais été portée par les bras. La faim, également, n'était pas partie. J'étais si épuisée qu'il m'aurait été incapable de me relever même si mes liens étaient coupés, et mes douleurs chassées. Thomas n'était nulle part. J'étais seule au milieu de la nuit, allongée sur une pierre froide et inconfortable.

Mais au moins, j'étais dehors.

J'entendis des bruits, et des cris et éclats de voix animés s'approchèrent rapidement de ma position. Un groupe d'hommes et de femmes, des Suomen, encore une fois, m'agrippèrent violemment en hurlant des choses incompréhensibles. Une femme me saisit par les cheveux hirsutes et sales, et me força à la regarder dans les yeux, avant de me cracher au visage. Un homme vint me frapper à la tempe, pendant qu'un autre commentait en remuant mon fondement pour montrer aux autres, hilares, la substance puante qu'il recelait. On déchira ma robe, déjà en mauvais état, on me traina sur le roc dur. Je ne pouvais pas me défendre. J'étais trop épuisée pour cela, de toute façon. Les coups, brimades et attouchements se succédèrent, dans une sorte de brouillard flou. Ma conscience n'était plus tout à fait là, tout était comme voilé par une fatigue que je ne pouvais pas fuir. Je sentis cependant qu'on me jeta sur une épaule, et qu'on m'emmena.

SauvagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant