Le Réseau

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Le reste de la soirée se déroula sans accroc. Nous mangeâmes devant un film de qualité plus que moyenne, dont le nom m'échappe, tout en discutant de tout, de rien, et de pas grand chose, sans même porter attention aux pirouettes des acteurs et aux prouesses pyrotechniques qui tentaient de camoufler un terrible vide scénaristique. Puis, l'heure étant avancée, nous allâmes nous coucher, Nokomis, dans la chambre qu'elle avait finalement investie à son retour, au rez de chaussée, et moi, dans la mienne, à l'étage, sous le toit du grand immeuble Haussmannien. J'eu du mal à trouver le sommeil ce soir là, cependant. J'étais... excitée, j'imagine, telle une collégienne ayant pu parler à son idole pendant quelques courtes secondes. Pourtant, Nokomis n'avait rien d'une star Hollywoodienne. Elle était antipathique, ne prenait pas particulièrement soin de son apparence, en tout cas selon les critères occidentaux, et détestait la foule, le public, bref, quand une grande quantité de personnes se retrouvaient en un seul endroit - et j'avais pu en voir les conséquences lorsque nous étions arrivées par l'avion, à l'aéroport. 


Pourtant, je restait toute émoustillée de notre discussion de la soirée, et même du pas que nous avions fait en nous confiant un peu plus l'une à l'autre, vis à vis de nos ressentis et de nos vie. J'avais réussi à évoquer l'existence de mon mari, presque malgré moi, bien que le simple souvenir de Julian suffise à me provoquer un grand nombre de doutes et de peurs. J'espérai que Nokomis en ferait autant. Qu'elle pourrait commencer à me parler un peu plus d'elle. De son enfance, de sa jeunesse. De ses parents, de ce qui l'avait amenée en prison... Je voulais toujours en savoir plus sur elle. Mais surtout, j'en avais assez d'en apprendre à son sujet via les autres. J'avais envie d'entendre ces détails de sa bouche. J'avais le sentiment que cela renforcerait le lien qui nous unissait, cette amitié naissante que je chérissais plus qu'aucune autre auparavant. Était-ce parce que Nokomis était une femme? Je le pensais. Je n'avais jamais eu grand nombre d'amies du même genre que le mien, les trouvant bien trop fausses à mon goût. Dans le monde des médias, la plupart de celles qui réussissaient étaient de féroces concurrentes, et il avait été difficile d'aller plus loin que sympathiser. Quant à mon enfance, j'avais été éduquée avec mes frères sous la tutelles des percepteurs engagés par mes parents, ce qui ne m'avait laissé que peu d'occasion de nouer de quelconques liens avec qui que ce soit. La raison qui me poussait à tant apprécier la proximité de la jeune suomen était probablement ce besoin intérieur d'amies capables de me comprendre bien mieux que les hommes ne le pouvaient. Ces derniers ne voulaient pas à mal, bien sûr, et j'appréciai la présence de mes rares amis hommes. Mais avoir Nokomis à mes côtés me faisait me sentir... invincible. Et la rancœur que je nourrissait envers ma famille pour ne pas m'avoir permis de connaître ce genre d'amitié plus tôt était forte. 

Finalement, après de longues minutes à réfléchir, mon esprit finit par s'épuiser et je parvins à tomber endormie. 

Je me réveillai le lendemain au son de mon alarme, et me préparai longuement pour retourner au studio, continuer notre tournage. Je croisai rapidement Nokomis, qui avait fini de me préparer un petit déjeuner et se préparai à sortir courir - j'imaginai qu'il fallait en effet maintenir cette silhouette d'une manière ou d'une autre. Comme la veille, le tournage fut un moment de plaisir mêlé de travail intense. Thomas ne me relança pas sur le sujet dont nous avions discuté la veille, et la solution était de toute manière très claire: tant qu'aucun de nous deux ne parlait, il n'y avait aucun risque que le sujet de notre enlèvement ne surgisse aux yeux de tous. Il me fournit tout de même, à la pause de midi, une description de l'homme en question. Brun, de taille moyenne, rasé de près, avec un mâchoire carrée très marquée et des sourcils broussailleux. Je ne pouvais pas me servir de cela pour reconnaître l'homme dans la rue, mais cela pouvais me servir à me tenir sur mes gardes si quelqu'un correspondant à cette description venait me poser des questions - et cela me permettrait peut être également de le traquer, lui, et de trouver qui était en train de fouiller là où il ne devrait pas. Après tout, j'étais moi même enquêtrice, mais rien ne valait les services d'un détective efficace, et j'avais plusieurs adresses sur Paris. 

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