Retour à l'appartement

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-Ton âge?

-Non.

-Ta date de naissance?

-Non plus.

-Per dios, ta couleur préférée au moins?

-Rose.

-Ah!

-C'était un mensonge.

Je jetais un regard assassin à la grande lyonnaise qu'elle ne saisit pas, assise sur le siège conducteur, tandis que j'étais cachée à l'arrière, un masque sur le visage et une gavroche bien enfoncée sur la tête. Nous conduisions au milieu du dense trafic nocturne du centre parisien, en direction de mon appartement. Les virements pour sa location n'avaient pas stoppé, et il n'y avait donc aucune raison pour que je ne puisse y retourner - sinon le fait que le monde entier connaissait désormais sa position, autant les traditionalistes qui avaient pu s'y infiltrer pour m'enlever que le Réseau, le policier m'ayant tiré dessus y ayant résidé pour veiller à ma sécurité quelques jours - bien qu'ils devaient déjà être au courant depuis longtemps, s'ils me tenaient à l'œil. Le départ de chez Ab'hel-kee s'était fait sans difficulté malgré les protestations du vieil homme, Sang étant définitivement aussi incisive et assurée qu'elle en donnait l'impression. Mais l'idée de partir avec cette femme dont je ne savais rien me mettait sur les charbons ardents, raison pour laquelle je l'assassinais de questions à son sujet.

-Pourquoi tu tiens à ce point à savoir des choses sur elle si elle ne tient pas à en révéler? Demanda Santoni dans un soupire. 

-Parce que je ne tiens pas vraiment à laisser ma vie entre les mains d'une parfaite inconnue? Rétorquai-je, comme si c'était la chose la plus évidente du monde. Qu'elle me dise quelque chose de secret à son sujet comme preuve de bonne foi me semble être un minimum.

-Tu n'as jamais eu de telles scrupules lorsque tu travaillais avec moi. Fit remarquer le Corse. 

-Parce que tu étais payé, et que tu ne travaillais pas à ma sécurité personnelle. Grognai-je. Sans levier, c'est une relation à sens unique, et je n'ai pas la moindre idée de ce qui motive notre ange gardienne mystère. 

-Jte l'ai déjà dit, répondit la concernée, mais si j'avais voulu vous faire quoi que ce soit, je l'aurai déjà fait il y a longtemps. Quant à mes motivations, je les garde pour moi, comme vous gardez les votre, et tout le monde est content. Capishe? 

-Il y a pas à dire, tu sais vraiment mettre les gens en confiance. Raillai-je avant de me reculer dans mon siège, tendue comme un arc prêt à décocher sa flèche.

Mon regard se perdait par la fenêtre sur les lumières nocturnes de la ville, qui, sans que je veuille l'avouer, m'avaient manquées pendant ce séjour à montagnard. Mais elles étaient aussi autant de phares risquant de permettre à un inconnu de reconnaître mon visage au travers de la vitre. La peur me tordait le ventre, l'anxiété me tenait à la gorge. La sécurité d'Ar'Henno devait me manquer au moins autant que le confort de mon appartement, me poussant dans une situation étrange et contradictoire où j'avais tout aussi que hâte que j'étais terrifiée à l'idée d'atteindre notre destination. Je me contentai donc de me recroqueviller plus profondément dans mon siège, mes bras serrés, mes pensées cherchant un réconfort éphémère dans le souvenir de Nokomis.

Le retour dans cette rue de laquelle j'étais partie au travail tant de fois me fit un drôle d'effet. Le grand immeuble haussmannien n'avait en rien changé, bien sûr, comme un monolithe de pierre insensible aux changements du temps et des êtres l'habitant. Sang et Santoni sortirent en premier de la voiture pour observer le périmètre et contrôler l'absence de potentiels risques, sous les regards indifférents des passants parisiens. Cela fait, je sortis de l'habitacle et m'avançais non sans appréhension vers la porte du bâtiment, que j'ouvris. 

SauvagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant