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-Esa mocosa... Grognais-je dans ma barbe, tout en replaçant mon matelas sur l'étrange support de bois qui servait de sommier.

La grande maison où vivait Da-jee-ha n'avait pas changé depuis ma précédente venue, quelques mois auparavant. De mauvais souvenirs y étaient malheureusement associés, et j'avais beaucoup de mal à m'en défaire. Descendre au sous-sol pour me laver à la source, par exemple, était une torture, et malgré toute ma résolution, je tremblais toujours comme une feuille en passant devant la porte qui y menait. Je tentais de me concentrer sur autre chose, notamment le plan pour tenter de subtiliser la dépouille de Hen'Ruay, et lui offrir les funérailles traditionnelles qu'elle aurait désiré. Mais il s'était révélé très rapidement que personne n'attendait de moi à ce que j'organise telle opération, ni même, pour certains, à que j'y prenne part.

-Pas leur en vouloir. M'avait dit Da-jee-ha. Pas beaucoup non suomens ici.

-Tu veux dire de kowos. Avais-je dit, amèrement.

Je savais que je ne devais pas être aussi injuste avec Da-jee-ha. Après tout, elle était celle qui aurait dû me haïr le plus, de tous ceux présents en ce village, et, au contraire, elle m'avait accueillie et m'aidait quotidiennement. Mais Nokomis ne semblait jamais se lasser de ce mot, « kowos », cette insulte désignant les non suomen. Je n'arrivait même pas à savoir si elle l'utilisait dans l'intention volontaire de me blesser, où si elle avait simplement toujours utilisé ce mot aussi abondamment. Mais ses boutades constantes, et la sensation de ne pas être réellement acceptée par les habitants, me pesaient sur la conscience. J'avais envie d'être forte, envie de me montrer digne d'Hen'Ruay.

Mais à l'intérieur, je me sentais vide. J'avais la sensation d'agir plus par devoir que par envie, et je sentais que mes désirs étaient inaccessibles ou diffus. La seule chose qui me levait le matin était mon désir de vengeance, celui de réparer l'injustice atroce de la disparition d'Hen'Ruay. Mais au delà de cela, qu'est ce que je voulais, pour moi? Je n'en avais aucune idée. Mon horizon était celui de ma vengeance, et il semblait ne rien y avoir après cela.

Dans une quête absurde de sens à donner à mes actes, j'avais demandé à Da-jee-ha le chemin pour se rendre à la mine. Peut être que revoir cet endroit, où j'avais été tenue enfermée et affamée des jours durant, renforcerait ma determination? J'avais peur que si celle ci se ramollissait, alors elle m'échappe, et que le seul horizon qu'il me restait disparaisse, me laissant seule au milieu du néant. J'avais besoin de cette colère, de cette rage qui bouillonnait dans mon ventre. Elle était ma bouée de sauvetage, celle qui me poussait en avant, celle qui m'empêchait d'envoyer chier Nokomis, celle qui me retenait de fuir sans jamais me retourner.

Da-jee-ha avait longtemps hésité à me dire où se trouvait la mine, mais j'avais longuement insisté. Probablement trop, au vu de ses devoirs de cheftaine, qu'elle mettait en pause pour écouter mes enfantillages. Mais elle avait finalement cédé, en me faisant jurer de ne pas y entrer, et de porter visiblement autour de mon cou son médaillon, une pierre bleu nuit gravée de symboles blancs.

-Pourquoi dois-je prendre ce médaillon, au juste? Avais-je demandé.

-Si faire mal toi avec médaillon, moi venger. Toi vu Nokomis ce matin?

-Pas depuis qu'elle est sortie après m'avoir réveillée de force avant le lever du soleil. Dis-je en grognant, et en sortant à mon tour de la grande demeure.

Le soleil était plus haut, désormais. Il devait être dix heure environ. Avec mes chaussures de marche, mon pantalon, ma veste et mes lunettes de soleil, je devais ressembler à une touriste se préparant à partir en promenade, ce qui était, en quelque sorte, le cas. Je me satisfaisais de savoir qu'au moins, même si je n'avais plus rien à quoi m'accrocher, je restai probablement une des touristes les plus fashion qui ait pu fouler ces vieilles montagnes.

SauvagesWhere stories live. Discover now