La mort du Seigneur Hiwang 5

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Ses sourcils se froncèrent, le benjamin crut halluciner, mais la détresse transpirait par tous les pores du Seigneur. Son esprit se tourna vers son amant. Avait-il entendu la demande de Hiwang ? Soucieux, il sortit de la chambre et referma à son passage. Dans le couloir, le froid ricochait contre les parois de bambou.

— Pourquoi venez-vous me dire cela ? Où est Xian-Jun ?

— Il ne doit pas être au courant, affirma Hiwang d'un air tout à fait sérieux. Je vous en prie, tuez-moi. Je ne pense pas comme le Jeune Maître et j'y ai réfléchi. Ma magie n'est pas un don, il s'agit d'un odieux poison qui me détruira. Ces cinq dernières années, je n'ai pas pu vivre en mon nom. Permettez-moi aujourd'hui de choisir...et je choisis la mort... C'est juste que je n'aurai pas la force de le faire moi-même...

— Je devine aisément ce qui vous met dans cet état, mais...

— Mais rien ! objecta-t-il, les larmes aux yeux. Je suis damné... Pitié, tuez-moi. Finissons-en.

Contre toute attente, le guerrier opina du chef. Hiwang en fut tellement soulagé qu'une larme roula sous son œil creusé d'épuisement. Il remercia sincèrement son vis-à-vis. Ce dernier ne cachait pas son incompréhension. Il lui quémanda quelques secondes, pour qu'il s'habille. Yichen ramassa son dessous et sa robe, évidemment son amant l'interrogea et il répondit par monosyllabes, perturbé. Pour la première fois de sa vie, il se munit d'une de ses dagues sans la moindre conviction.

En retournant dehors, il suivit le Seigneur dans les dédales du temple, la cour et dans la cité, l'esprit embrumé. À quel point cet homme souffrait-il pour désirer sa propre mort ? Ils parvinrent à quitter la capitale sans difficulté, tous dormaient déjà. Ils atteignirent le champ fermier et Hiwang supposa que cet endroit possédait ses atouts. Un magnifique parterre de coton. Il ne regretterait pas.

— Vous savez, déclara Yichen, si je vous tue, vous serez vraiment mort...

Le plus âgé pouffa à cette réflexion inutile, mais hochant de la tête, confirmant sa volonté. L'atmosphère se chargea d'une lourdeur écœurante. Hiwang était prêt, mais il se doutait de la réticence de son benjamin. Afin de lui faciliter la tâche, il ferma ses paupières et se tint immobile. Il perçut le son reconnaissable d'une lame et le tranchant chatouilla la peau tendue de sa nuque. Yichen se paralysa des secondes interminables durant lesquelles le Seigneur hésita à le pousser à le tuer, à insister, désespéré de vivre une seconde de plus avec ce qu'il était devenu.

Mais bientôt la lame fut ramenée à son fourreau. Des pas s'approchèrent de lui et ses yeux se plissèrent. Il imagina que le guerrier lui ferait la morale. Un souffle se mêla au sien. Si proche.

— Le Royaume des Morts ne constituera nulle barrière pour moi, si je dois y descendre et vous réintégrer au Monde des Mortels.

Son regard s'aventura sur le tableau en face de lui. Le Seigneur distingua Yichen, la personne qui devait être son libérateur et qui était adossé à un arbre, les bras croisés, et son alchimiste près de lui qui le fixait avec anxiété. À un pas de son visage, Xian-Jun le dévisageait avec une pointe de désappointement et d'angoisse. Il ne mentait pas. S'il le fallait, il se rendrait au plus bas des Trois Royaumes pour le retrouver ; tant d'épreuves les éloignaient, la mort n'en ferait pas partie. Doucement, il posa son front contre le sien et leurs doigts se nouèrent. Hiwang respirait calmement, conscient d'avoir une fois de plus blessé son ami. Il en déduisit que le guerrier avait prévenu son amant qui s'était empressé d'avertir l'héritier. Il ne lui en voulait pas, à vrai dire.

— Hiwang, comprenez bien que vous êtes mon confident, soupira le Jeune Maître, frémissant. Nous nous sommes échangé des mots que tous ignorent. Nous avons vécu des situations de vie ou de mort. Oui, nous avons expérimenté ensemble et nous avons failli trépasser tant de fois... J'ai l'impression que toute mon existence repose sur vous. Mon monde s'est effondré il y a cinq ans. Prendrez-vous la responsabilité de mon deuil si vous partez, être responsable de cette peine ? Croyez-vous que je tolérerai votre absence ? Vous constituez ce qui s'apparente le plus d'un meilleur ami...mon jumeau sur terre...l'âme qui fait écho à la mienne.

La fosse des LamentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant