Les larmes des Morts 3

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Par miracle, son subconscient prit le relais et le mena à la Cité des Rêveurs. De toute évidence, celle-ci avait aussi souffert de nombreux dommages. Des corps étaient empilés dans des chariots, les habitants nettoyaient les rues, déplaçaient les décombres, tous étaient trop occupés pour s'intéresser à eux. Wulong arriva finalement à un lieu qu'il connaissait bien, le temple. Seulement, le Clan régent et les nobles ne l'avaient pas attendu pour fermer les portes. En cachant les yeux de son protégé pour ne pas qu'il découvre l'horrible panorama, il se planta au milieu d'une allée, chamboulé.

— Ne traînez pas ! beuglait un homme, peut-être un garde. Le rassemblement se déroulera avec ou sans vous. 

— Nous n'irons pas, rétorqua un noble.

— Même le Patriarche a refusé de s'y rendre, poursuivit un autre.

L'alchimiste fronça les sourcils. Il quémanda des renseignements à ces hommes. Par ces temps qui plongeaient le monde dans l'incertitude, le Petit Rêveur avait incité aux plus courageux de voyager jusqu'à Zhī dào pour implorer leur aide.

Encore.

Il apprit également que Hù lǐ avait été la dernière Secte à s'être faite attaquer. Les trois autres combattaient depuis un moment. C'est pourquoi ils se réunissaient de toute urgence. Les Ombres, ils ne les maîtrisaient plus, ils devaient songer à une échappatoire ou ils mourraient tous. D'après les rumeurs, aucun de ses semblables ne voulait y aller, choisissant de reconstruire les villes d'abord. Comme d'habitude. Tuer les créatures à Jiǎo huá n'avait servi à rien. Les démons répliquaient. 

Wulong leva des yeux exaspérés au ciel, agacé par l'attitude bornée et égocentriste de son peuple. Qu'ils ne se plaignent pas si tous leur tournent le dos ! Il monta sur un cheval et le garde proposa de l'escorter, puisque nul ne partait aujourd'hui, hormis lui, ce qu'il accepta.

Ils chevauchèrent nuit et jour. Liang toussait un peu moins, mais la marque sur son corps le brûlait encore. À la fin d'un trajet interminable, débarquant à vive allure dans la Cité de la Claire Prévoyance, qui pouvait contenir des milliers de guerriers, Wulong fit signe au garde de patienter une minute. Sur l'immense avenue qui débouchait sur un colossal temple, les échoppes se succédaient. Il nota qu'une femme soignait des blessés et paraissait soucieuse, altruiste. Il l'interpella et lui désigna le garçon, endormi dans ses bras.

— Il m'interdirait de le laisser s'il était éveillé. Je vous prie de veiller sur lui un moment, s'il vous plaît. Il dormira beaucoup, les épreuves se sont enchaînées pour lui, comme pour la plupart. Je le récupère dès que le rassemblement se terminera.

— Allez en paix, le rassura cette femme.

Il paniquait à l'idée que l'enfant se réveille et fasse une crise, il était préférable qu'il se repose davantage, dans cette ambiance calme, plutôt qu'il subisse le désordre d'un rassemblement. Elle enlaça l'enfant, allant à l'intérieur pour l'allonger sur une surface confortable. Il la remercia mille fois, puis suivit le garde. 

Vivement, ils pénétrèrent dans une gigantesque salle, celle où avait eu lieu un précédent rassemblement trois ans en arrière. En analysant la pièce d'un regard circulaire, il n'identifia aucun membre de son peuple. Pas de robes blanc et bleu. En effet, les gens de Hù lǐ se terraient chez eux. Dépité, Warleen s'assit parmi les hommes de Zhī dào, se tassant sur le sol, s'enfonçant dans le petit coussin.

Le Patriarche de la Sagesse Altruiste bouscula quelques serviteurs pour se placer devant son trône, les Jeunes Maîtres et leur sœur lui emboîtèrent le pas ; brièvement, tous s'inclinèrent et ce rassemblement commença de manière officielle quelques minutes plus tard. Bien sûr, ne changeant pas leurs mauvaises habitudes, même en temps agités, les Sectes se chamaillèrent, suggérant des solutions toutes plus inefficaces les unes que les autres, pestant sur les soi-disant Champions qui auraient dû les délivrer de ce cauchemar. Xian-Jun le prit très mal et les fit taire d'un regard noir. L'absence des gens de Hù lǐ fut mentionnée, critiquée et moquée, et Wulong eut très honte de ses semblables. Nul ne se mettrait d'accord.

— Ces Ombres proviennent bien d'un endroit, affirma d'une voix forte l'héritier de Zhī dào.

— Si nous trouvons l'endroit, nous aurons l'occasion de confectionner un artefact visant à les détruire et nous vaincrons. C'est aussi simple que cela, ajouta une voix enjouée qu'il reconnut. Il suffit de les traquer, de localiser leur tanière et de les pulvériser avec l'arme la plus ingénieuse que le monde n'ait jamais créée.

— Simple ? Simple pour vous ! grince l'héritier. Mais, je suis d'accord. Il faut tenter le coup. 

L'alchimiste rechercha l'homme qui venait d'intervenir et quand il le distingua parmi la foule, une larme de soulagement dévala sa joue. Le célèbre Seigneur Hiwang. Enfin, un compatriote. Il n'était donc pas l'unique homme de Hù lǐ à embrasser son courage. Réconforté de ne pas affronter la solitude dans ce rassemblement, il se captiva davantage pour l'issue de ce débat. Chacun méditait dans son coin, lançant des noms de lieu dans lesquels pourraient se dissimuler les Ombres.

— Elles ont déchiré le ciel à toute vitesse et par dizaines, fit une femme, la bâtarde de Mó fǎ. Peu importe où se situe l'endroit, il doit être assez imposant pour permettre à toutes ces créatures de traverser notre atmosphère en même temps. Une attaque éclair. Elles ont tout prévu.

— Elles n'attaquent jamais en masse et pas en plein jour, se lamenta Hiwang. Normalement, les démons préfèrent posséder des êtres humains, des créatures, des bêtes, mais ils ne se dévoilent pas de la sorte. Qu'est-ce qui les a poussés à agir ?

En effet, le Seigneur soulignait un point intriguant. Ils croisaient rarement des Ombres, mais ils se doutaient qu'elles régnaient sur le monde souterrain et dirigeaient les créatures démoniaques, grâce à leur infâme capacité de possession. Tous se remémoraient encore le cadavre gigantesque du Bashe. Cette semaine, elles tiraient un trait sur des siècles de stratégie identique, devenant imprévisibles et mortelles, et ils redoutaient d'autres surprises de ce genre. Le Patriarche se leva, les faisant sursauter. Wulong sentit qu'il était blessé physiquement.

— Restez ou repartez dans vos Sectes, mais ne tergiversons pas des heures durant, sans indice pour nous ouvrir des pistes. Nous remonterons la source de leur immonde cavité et, localisées, des guerriers volontaires dissoudront leur territoire. Le rassemblement est clos !

Sur ce, il s'éclipsa, boitant. Hiwang descendit à contre-sens jusqu'aux Jeunes Maîtres, contrairement aux invités et aux blessés qui sortaient. Le Seigneur atteignit Xian-Jun et, la mine renfrognée, il l'interrogea sur les méfaits exacts des Ombres. Depuis deux ans, ils ne s'étaient plus revus et le voilà qui lui adressait librement la parole. L'héritier le dévisagea un instant, puis soupira avec lourdeur. Le jeune homme avait entendu les rumeurs des assauts partout dans le monde une poignée de minutes avant que Hù lǐ ne soit touchée, et il avait rencontré les démons en chemin. Il avait galopé parmi les flammes et les cendres, avait entendu les pleurs des victimes, mais il s'en était plutôt bien tiré.

— Tout est à rebâtir, déclara simplement Xian-Jun. Zhī dào n'a pas trop souffert puisque nos arbres sont dotés de charmes protecteurs. Les attaques des démons étaient donc inutiles. Mais, je redoute le prochain assaut. Nous ne résisterons pas longtemps. Jiǎo huá a pratiquement été saccagée. Je suspecte que cet endroit que nous recherchons se situe une fois de plus dans leur Secte, ou non loin. Après tout, le Bashe avait établi sa meute de bêtes féroces aux Colères Démesurées, sur le territoire des Fureurs Fallacieuses. Aussi, Mó fǎ a subi de grosses pertes, matérielles et humaines. En ce qui concerne Hù lǐ, je n'ai pas eu de nouvelles.

— Parce que personne n'est venu en apporter, conclut Hiwang.

— Effectivement. Nous n'avons reçu qu'un messager furtif, nous annonçant qu'aucun de vos semblables ne rejoindraient ce rassemblement. Je suppose que vous avez voyagé indépendamment d'eux.

— J'étais déjà sur les sentiers, lors de l'attaque. J'ai présumé que Zhī dào insisterait pour réunir le plus de cultivateurs possibles, afin de débattre. J'avais raison.

— Si nous cogitons tous ensemble, nous dégagerons davantage de solutions qui conviennent à tous. Autrefois, mon peuple décidait à la place des autres Sectes et elles se rebellaient contre nos choix, car elles estimaient ne pas disposer d'une parole suffisante et respectée. Dorénavant, nous respectons.

— Voilà pourquoi vous passez votre temps à nous convoquer à la moindre broutille, pouffa le Seigneur. C'est tout à votre honneur, érudit de Zhī dào.

La fosse des LamentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant