Sous la voûte ensommeillée 3

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 Au-devant de sa barque, Jia Li guettait les actes puérils des deux M, surnoms qu'elle avait en horreur. Ils commandaient à tous les habitants des Fureurs Fallacieuses de les nommer ainsi et ils répandraient cette appellation dans toutes les Sectes où ils iraient. Elle se décevait grandement du comportement de Muwen ; lui, qui l'avait contemplée avec émerveillement toutes ces années, n'avait d'yeux que pour cette chasseuse à l'âme enfantine. Elle ne se plaignait pas de le voir nageant dans le bonheur et l'insouciance. Mais, elle ne pouvait ravaler cette pointe d'amertume quant à leur amitié ; n'était-ce qu'une amitié, par ailleurs ?

Meiling observait son compagnon se pencher par-dessus bord pour cueillir une fleur et la lui tendre, elle le rattrapa par la ceinture. Geste qui donna des frissons de colère à la bâtarde. La jeunette intercepta ses regards mauvais. Elle se décala autant qu'elle le put dans cette étroite barque et se renversa en arrière vers son aînée, pendant que Muwen avait l'attention occupée par des gardes le long du fleuve.

— Si cela vous importune, je ne m'approcherai plus de lui, même si cela me blesserait de lui dire adieu.

— Pourquoi m'intéresserais-je à votre relation ? rétorqua Jia Li. Mon fiancé dispose de ses propres droits, bien entendu. Il peut parler à qui il le souhaite. Je ne me mêle pas de ses affaires, et réciproquement.

— Pourtant, vous méprisez de le savoir en ma compagnie, chuchota mystérieusement la chasseuse.

Jia Li refusa d'y méditer ; ils s'étaient fiancés il y a si longtemps, elle ne visualisait plus sa vie sans cet homme à ses côtés. En fait, elle supposait que cela la détruirait de le perdre. Mais elle ne pouvait rien y faire. Elle ne faisait rien pour le retenir, après tout. S'il désirait partir un jour, alors elle le délivrerait. Cette mercenaire, tant critiquée et haïe, n'avouerait jamais ses véritables sentiments, son réel ressentis à ce sujet. Elle préférerait tracer un trait sur Muwen, plutôt que d'admettre sa faiblesse de cœur. Meiling le déduisit avec facilité et elle ne l'obligerait pas à s'exprimer là-dessus.

Dans la barque suivante, Yichen prenait du bon temps au cours de la balade. Au début, il jeta des œillades sombres à son Chef de Secte, mais il se trouva rapidement une occupation bien plus sympathique. Allongé dans la pirogue, il détaillait le dos de l'alchimiste, droit et stoïque. Son aîné se stupéfiait de contempler un lieu aussi magique en plein cœur du Talion Infernal. Cet endroit fleuri faisait scintiller une lueur époustouflée dans ses beaux yeux d'où se reflétaient de l'eau bleu pure et des fleurs de lotus qui jonchaient le fleuve. Avide de tester ses réactions, le benjamin se risqua à glisser sa main le long de son échine. Brusquement, Wulong bloqua son souffle et s'arqua, frémissant. Ce frisson fragile fit sourire le guerrier de Jiǎo huá, heureux de son effet.

— Oui ? Qu'y a-t-il ? s'enquit Wulong, perturbé. Souhaites-tu me dire quelque chose ?

— Non, du tout.

Ils se jaugèrent un instant, Wulong cligna plusieurs fois des paupières, incrédule. Parfois, il avait vraiment du mal à le comprendre. Pourquoi agissait-il avec cette impertinence ? En réalité, cela embêtait profondément l'alchimiste, parce qu'il avait l'impression d'être pris pour un idiot. Il était peut-être trop gentil avec ce jeune homme, il lui fallait l'ignorer ou le contraindre à stopper ses gamineries. Évidemment, cela n'entrait pas dans les plans de Yichen qui se redressa et colla son torse au bras de l'alchimiste. Celui-ci entama un mouvement de recul, mais sa main audacieuse maintint son visage proche du sien.

— Je te taquine, c'est tout, mais ne te méprend pas sur mes intentions.

— Quelles sont-elles ? hasarda l'alchimiste.

Yichen lui décocha un sourire en coin ravageur.

— Je te courtise, très cher. Ne crois pas que j'ignore ton obsession à me repousser. Permets-moi de te flatter comme il se doit.

Délicatement, le benjamin replaça une mèche blanche derrière son oreille et il frissonna encore plus. Wulong ne s'était jamais attiré de tels regards auparavant, il ne savait pas comment y répondre.

Yichen combla le peu d'espace entre eux. Il l'embrassa au coin des lèvres, mais n'y resta pas longtemps. Une seconde, possiblement deux, pas davantage. Plus qu'un chaste baiser. Une promesse.

Il s'écarta et reprit sa place d'origine, avachi dans la barque. Pour ne pas que l'alchimiste se torture l'esprit avec des questionnements inutiles, il lui adressa un sincère sourire enjoué. Juste pour lui signifier que ce genre de rapprochements adviendrait de nouveau. Wulong piqua un violent fard.

Derrière eux, Hiwang constatait leur intimité et se questionnait à ce propos. Il ne considérait pas Wulong comme un grand ami, puisqu'il le connaissait mal, mais plutôt comme un compagnon très obligeant et bienveillant. Il ne fallait pas être devin pour savoir que ses goûts et ses préférences étaient contraires à ceux de Yichen. L'alchimiste faisait partie de ces personnes calmes, gentilles et douces, à l'inverse des brutes et des personnalités impulsives. Comment un jeunot avait-il pu le conquérir petit à petit ?

— M'amènerez-vous visiter Zhī dào, un jour ? demanda Huafang de sa voix criarde. Il me tarde de voir de mes propres yeux la Cité de la Claire Prévoyance.

— Vous pouvez toujours attendre, marmonna Hiwang, mais elle l'entendit.

La Jeune Maîtresse décida de ne pas rétorquer. Elle ne tolérait pas cet homme arrogant qui lui pourrissait chacune de ses rencontres avec Xian-Jun. Ce dernier réprima un gloussement à ce bougonnement. Il n'écoutait plus depuis un moment les inepties de cette femme, elle l'épuisait. Il humait ou hochait de la tête. Le Seigneur bougeait régulièrement, remuant sur la barque qui chancelait à son poids. Elle avait senti l'alcool et mit donc son effronterie sous le coup de l'ivresse, mais elle le scrutait avec haine.

— Oh ! regardez ! criait-il dès qu'elle entamait une nouvelle conversation. Un poisson bleu ! Oh ! Quelle fleur splendide ! Oh, gens de Jiǎo huá, vous êtes bien chanceux d'être gâtés par cette vue ! Pour une fois que votre paysage ne se résume pas à quelques terres arides et à vos bambous jaunes. Ah Ah !

La balade se termina, heureusement pour le Jeune Maître, et Hiwang ne les avait pas fait chavirer par miracle. Huafang salua Xian en s'agrippant à son bras, mais reçut une vague de nonchalance en réponse. L'héritier disparut ensuite. Il se promena sûrement quelque part. Le Seigneur soupçonnait que Meng avait organisé cette sortie pour que sa fille bénéficie d'un instant avec l'héritier. Ridicule, piètre tentative. Jamais elle n'obtiendrait quoi que ce soit de lui. Ne remarquait-elle pas son absence d'intérêt en sa présence, son dédain ?

Le fidèle de Hù lǐ se sépara des autres, avant que tous ne réfléchissent à la suite de leur journée, et retourna au pavillon pour se reposer. Sur-le-champ, il s'allongea dans son lit, les yeux ancrés au plafond, il rêvassa longuement. Ses souvenirs de la veille ne s'étaient pas encore dissipés et il avait peur de penser à son problème, d'avoir sa réalité.

Jusqu'à ce qu'un faible tapotement à sa porte ne le réveille. Il se leva et ouvrit ; l'incompréhension et la curiosité le saisirent. Xian brandissait un instrument qu'il identifia tout de suite, le guzheng. Il l'invita à entrer et le Jeune Maître déposa son instrument de vingt-et-une cordes par terre, où il s'installa en tailleur. Hiwang s'était figé près de son lit.

— Je m'ennuyais, déclara son aîné. Je m'exerçais à jouer, mais personne n'était là pour me donner son avis et je ne parviens pas à juger ma propre mélodie. Je me suis dit que vous seriez d'accord pour m'évaluer.

— Bien sûr, Xian-Jun, s'exclama le Seigneur, ravi. Mais, puisque vous êtes censé être doué en tout, je présume que vous savez déjà jouer à la perfection.

Pour une fois que le Jeune Maître proposait une activité de lui-même, il ne le mettrait certainement pas dehors. En plus, il était curieux de ses capacités de musicien. Il se persuadait déjà que le son serait absolument divin. Xian lui adressa un sourire discret, tandis que les lèvres de Hiwang s'étiraient comme avant, aux oreilles, franchement égayé. Il s'assit au rebord de son lit, croisant les jambes, et patienta. Son ami commença doucement à pincer les cordes, engendrant une harmonie de notes agréable. Il se laissa bercer plusieurs minutes, jusqu'à ce que ses paupières vibrent et que la fatigue ne pèse sur ses épaules. Il s'endormit presque. 

Xian avait atteint son but. Il l'avait aidé à oublier ses tracas durant un court moment. 


La fosse des LamentationsNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ