Les tintements de cloche 2

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— Jeune Maître ? Le peuple souhaiterait ouïr vos propositions.

Une main timide tapa à la porte, après avoir prononcé cette requête d'un ton vacillant. L'héritier accepta que Petit Sage entre. Ce dernier s'empressa d'obéir et referma le bureau, les orbes globuleux. Il semblait inquiet ; les gens de Zhī dào l'alarmaient davantage que les Ombres et il se fatiguait à retenir les plaintes toutes les minutes. Un avait froid, l'autre faim, ils s'accaparaient les couvertures et recevaient les jurons des frigorifiés, ils mangeaient sans penser aux autres. À croire que cette épreuve leur ôtait leur fameux altruisme. Ils ne réfléchissaient pas sur le long terme et se révélaient foncièrement égoïstes.

— Ils s'angoissent, ajouta le conseiller, et l'absence de votre père n'arrange pas leur cas !

À cette mention, le regard du Jeune Maître s'assombrit. Il comprenait pourquoi son paternel se terrait dans les Montagnes Généreuses, mais il désapprouvait ce choix, le peuple aussi. La constitution évoquait en effet, qu'en temps de guerre, le régent se devait de survivre à tout prix. Mais, puisqu'il était le premier-né, Xian-Jun se retrouvait avec une population se lamentant sans répit et qui lui interdisait de penser correctement en le bassinant de questions insensées, des frères sans utilité qui rechignaient plus que les autres. Aichan, quant à elle, prouvait sa loyauté. Elle ne s'apitoyait pas et ravalait son anxiété pour aider les blessés et rassurer les enfants. Maternelle et chaleureuse, elle réussissait parfois à les apaiser.

— Dites-leur d'attendre quelques minutes. Wulong et ce Monsieur pourraient apporter de nouveaux renseignements du Talion Infernal.

Le Petit Sage acquiesça et regagna le désordre de la salle principale, un colossal salon où le peuple braillait en s'entassant. L'alchimiste ne se réveilla pas dans l'heure, mais le lendemain, alors que l'agitation terrorisait les gens de Zhī dào.

Ses yeux s'ouvraient autant que possible pour essayer de ne pas sombrer à nouveau, mais Wulong avait donné tant d'énergie à son amant. La sienne se réparait péniblement. Xian-Jun le soutint quand il se leva ; ses jambes chancelaient et ses paupières s'abaissaient régulièrement, ses lèvres s'étiraient à l'horizontal et ses traits ne reflétaient rien. Une monotonie dictée par une exténuation dévastatrice. Le Jeune Maître l'assit sur un siège confortable, à la douce texture qui lui intimait de se rendormir, et le peuple se rassembla au centre en dévisageant curieusement l'alchimiste et toisant avec méchanceté Petit Fielleux.

— Le Jeune Maître requiert votre attention ! clama Petit Sage. Prière de ne pas l'interrompre !

— Nous ne reviendrons pas sur notre situation actuelle, chacun d'entre nous a conscience de l'urgence, présuma l'héritier... Je serai transparent avec vous. Je... Il n'existe aucun exercice, ni leçon qui enseigne aux Jeunes Maîtres la survie contre les Ombres... Je ne sais pas quoi vous dire.

Des dizaines d'offusqués crièrent leurs indignations. Ils ne survivraient pas en implorant le miracle, bon sang ! Mais cet héritier pourrait-il vaincre sa peur et ses doutes pour répondre à leurs attentes ? Il le devait. Le Jeune Maître ne se cachait plus dans le bureau, il ancrait ses yeux impuissants dans les leurs. Il y lisait de la déception. Il n'en éprouva pas de regrets. À quoi bon s'en vouloir ? Il ne possédait pas de solutions, il ne leur mentirait pas et ne leur soufflerait pas d'espoir vain. Xian-Jun pivota vers l'alchimiste qui somnolait et lui quémanda de façon muette des idées. Frêle, sa voix se souleva avec difficulté, luttant contre l'air, tous stoppèrent leurs jérémiades et écoutèrent.

— Yichen... Son âme vivait dans son corps, les Ombres ne l'avaient pas dominé... Dans ce cas-là, les convertis peuvent être sauvés... Les autres sont condamnés... E-En revanche, continua-t-il en combattant sa fatigue, vous devriez d'abord vous préoccuper du maître.

La fosse des LamentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant