La fosse des Lamentations

La mort du Seigneur Hiwang 3

— Hiwang, vous n'abandonnez pas maintenant. N'est-ce pas ? La victoire est nôtre... Elle est vôtre. C'est à vous de célébrer. Parce que vous avez tenu bon, vous le méritez... Empressez-vous de vous éveiller ! Je vous attends, mais je suis à court de patience.

Tout à coup, la tête du Seigneur roula vers lui. Xian-Jun s'affola sur-le-champ. Il agrippa son poignet et tâta son pouls. Il était normal, lent et régulier. Mais Hiwang bougeait bel et bien ! Il n'hallucinait pas. Les autres le jaugèrent avec pitié quand il l'affirma, parce qu'aucun ne l'avait surpris en mouvement. À bien y réfléchir, l'inconscient réagissait à proximité de lui. Le Jeune Maître était-il la solution ? Empli d'un espoir nouveau, il se pencha au-dessus de son corps et apposa un affectueux baiser sur le haut de son crâne, semblable à un frère encourageant son cadet.

— S'il vous plaît, Hiwang... J'ai besoin de vous savoir vivant, en bonne santé... Revenez-nous... Ou je ne le tolérerai pas ! Devrais-je mourir de vieillesse en vous attendant ?

Un choc. Cette phrase offrit une force indéniable au Seigneur. Pareil que dans le cas de Yichen, ses doigts se plièrent, ses paupières essayaient de se lever sans succès. Xian-Jun constatait tous les signes de lutte, son ami reprenait vie. Il combattait la fatigue, la douleur, et Hiwang remontait à la surface. Un œil apparut, l'autre tarda un peu. Le Jeune Maître assistait à son réveil avec un émerveillement distinct. Ses orbes s'humidifièrent, tandis qu'il rencontrait ceux de son vis-à-vis, un bleu magnifique qui lui avait manqué.

— Hiwang ! Par tous les dieux, merci de l'avoir ramené !

— Je... Je fournis... Je fournis tous les efforts et...vous louez ces dieux...qui n'ont rien fait... Quelle injustice !

— Oh, taisez-vous !

Le Seigneur voulut ricaner, mais il s'étrangla à cause de son épaisse salive. Le Jeune Maître fonça dans les cuisines non loin pour rapporter de l'eau. En gagnant de nouveau la chambre, il regarda Hiwang se débattre avec le drap et le coussin pour se redresser. Un poisson asséché. Il secoua sa tête, désespéré, mais daigna l'accompagner dans sa tentative désastreuse. Il le remonta dans le lit et l'adossa au mur, le coinçant dans la literie. Il se rassit et trempa ensuite un doigt dans le liquide.

Délicatement, il le mena aux lèvres déshydratées et il les effleura pour les gorger d'eau. Elles reprirent une couleur rosée, et non plus blanchâtre. Enfin, il lui donna à boire et Hiwang en redemanda plusieurs fois. Contrairement à Yichen, il ne peinait pas à quitter son sommeil. Probablement car il n'avait pas été plongé dans un coma, mais seulement blessé à mort. Durant un long moment, ils gardèrent le silence.

Et débarqua Liang. Sans que Xian-Jun ne puisse s'excuser de n'avoir prévenu personne, l'enfant courut dans le temple et hurla à gorge déployée l'heureux miracle. Bientôt, la chambre fut envahie par des amis inquiets et soulagés.

— Ne vous sacrifiez plus jamais de la sorte ! ordonna Meiling, réprimant difficilement son sourire. Bon sang, Hiwang, vous n'imaginez pas dans quel état vous avez mis notre Jeune Maître ! Je me préparais déjà à l'enterrer à vos côtés !

— Oui, la prochaine fois que vous souhaitez mourir, ne le faites pas ! rajouta Yichen sur un ton abrupt, dévisagé par les autres. Surtout pour renaître cinq années plus tard ! Même mourir, vous ne savez pas le faire...

— Pour tout vous dire, hasarda le Seigneur, perplexe, j'ignore la raison de ma résurrection. Comment ? Le savez-vous ? Mon dernier souvenir s'arrête à la Fosse des Lamentations, la suite est floue. Je ressens uniquement la présence des Ombres autour de moi... Que s'est-il passé ?

Des yeux exorbités l'alarmèrent, il déduisit que cela ne lui plairait pas. Effectivement, sa mémoire avait été fissurée par les Ombres. Pour les vaincre et rester dans son corps, son esprit avait dû effectuer des choix. Supprimer ses souvenirs pour alléger son âme en faisait partie. Jia Li lui expliqua en détail le retour des Ombres, ce qui attrista profondément Hiwang. Il eut l'air plus mort qu'une heure auparavant, défait. Il se rendit compte que son sacrifice n'avait servi à rien. Muwen lui prouva le contraire. Sans lui, ils auraient affronté l'ennemi à l'aveugle et elles auraient pu les anéantir. Mais ils n'exposèrent pas son rôle dans la guerre.