Les noces funestes 1

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— À quoi bon nous salir avec votre corps de mortelle méprisante ?

Elles se redressèrent et s'assirent sur le bord, réajustant la robe du Seigneur. Huafang tremblota quelques instants de plus avant de saisir le sens de ces mots. N'allaient-elles pas profiter d'elle ce soir ? Gonflée par l'espoir, la Jeune Maîtresse sauta pratiquement hors du lit et s'éloigna au maximum dans un recoin de la chambre, sous le regard perçant des Ombres qui portaient un sourire satisfait.

— Que comptez-vous faire de moi ? bougonna la Jeune Maîtresse d'une moue apeurée.

— Sachez que vous nous dégoûtez autant que nous vous dégoûtons. Présentement, nos gênes ne se sont pas encore fondues avec ceux du Seigneur Hiwang... Si vous tombiez enceinte maintenant, l'enfant n'aurait rien à voir avec nous, un mélange entre lui et vous, et nous ne le voulons pas... Quelques semaines encore, et nous pratiquerons cette petite expérience.

Parfait, se dit-elle. Elle disposait de ces semaines pour essayer de les tuer ou de s'enfuir. La Jeune Maîtresse se préparait déjà à engendrer un plan imbattable, mais elle fut coupée par ses ennemies. Elles se relevèrent et la frôlèrent pour sortir de la chambre. Huafang perçut des bruits de pas à l'extérieur, les Ombres ordonnèrent à un garde converti de veiller sur cette pièce, puis elles disparurent dans le Talion Infernal. Soulagée de ne pas avoir à partager sa couche avec le corps du Seigneur, elle soupira lourdement et retourna sur le lit, épuisée par cette journée éprouvante.

Elle se roula en boule et réfléchit en faisant appel à toute son énergie restante. Assassiner le Seigneur Hiwang ne réglerait pas son problème, puisque les Ombres n'auraient qu'à prendre un nouveau corps. Elle ne savait pas se battre de toute façon, elle n'était pas très dégourdie non plus et n'usait pas correctement de l'art du mensonge. La fuite serait sa meilleure option, mais elle mourrait certainement de faim ou de soif en cours de route. De plus, il lui fallait s'évader en premier lieu et ce ne serait pas aisé non plus. Peut-être que son unique solution l'obligeait à s'adapter, analyser, et aviser par la suite. Pieds et poings liés, un Jeune Maître viendrait-il la sauver ?

Sur cette pensée, elle s'endormit. Le lendemain, sa porte s'ouvrit brutalement et elle sursauta, sortant sur-le-champ du lit. Débraillée, l'haleine terrible, les larmes séchées au coin des yeux, tenant à peine droite, les yeux papillonnant, elle les affronta avec toute sa conviction. Les Ombres entrèrent. Elles soupirèrent en la voyant et lui commandèrent de s'habiller sans tarder. Apparemment, ils devaient se rendre quelque part. Puisqu'elle croisait les doigts pour rencontrer des personnes qui l'aideraient, elle se para de ses plus beaux atouts de Jeune Maîtresse, bijoux, coiffe en or et une robe visible. Si elle détenait une chance d'être remarquée par un citoyen qui lui épargnerait une vie de misère, elle ne négligerait pas les occasions.

— Où allons-nous ? Massacrer mes gens ? Je le refuse ! cracha-t-elle, avec véhémence, sur le chemin.

— En notre présence, avertirent les Ombres ne lui adressant aucune attention, vous vous tairez et vous nous suivrez. À la moindre incartade, nulle sommation, seulement des punitions... Nous retournons à la cité d'où provient notre hôte. Nous désirons tourmenter cette partie-là du monde. Ils sont restés trop longtemps sans désastre. Peut-être irons-nous aussi à Mó fǎ plus tard.

La route de plusieurs jours s'effectua et se finit en silence. Huafang pensait à les rendre tellement folles de par son entêtement et son insolence qu'elles la chasseraient, mais elle s'attirerait juste leur foudre. Elle se comporta bien jusqu'à arriver à Hù lǐ. La Secte des Songes Téméraires s'apprêtait à essuyer un assaut et la Jeune Maîtresse redoutait d'assister à ce macabre spectacle. Elle avait vu Jiǎo huá, et en particulier le Talion Infernal, être ravagé par les flammes. Elle avait suffisamment entendu de supplications. Or, elle ne put rien faire lorsque la cité s'agita tout à coup.

À leur passage, les fermiers aux alentours reconnaissaient les traînées enfumées qui suivaient le Seigneur, ils adoptaient tous des mines ahuries ou abattues. Comment le Hiwang qu'ils avaient côtoyé était capable de produire des Ombres ? Ils ne comprenaient pas le cas de possession. C'est pourquoi ils s'enflammèrent d'une haine et d'une rancœur infaillibles envers l'ancien noble, lorsqu'elles attaquèrent. À l'entrée de la cité, ne s'embêtant pas à la traverser, elles relâchèrent leur pouvoir. Par pur plaisir. Elles convertirent ceux qui leur résistaient le mieux, les plus robustes, et éliminèrent un grand nombre de ces gens.

— Pourquoi m'avoir épousée ? s'enquit Huafang, écœurée par ce panorama.

— Il nous semblait que le Seigneur et vous échangiez une relation défectueuse et nous avons songé que cela vous causerait beaucoup de la souffrance d'être mariée avec lui.

— Votre seul but est de provoquer la douleur partout où vous passez ! s'écria-t-elle, outrée, les larmes aux yeux.

— Vous ne le saisissez que maintenant...

Elles sourirent de toutes leurs dents. Tandis que la Jeune Maîtresse tournait de l'œil aux cadavres qui s'empilaient, les Ombres arrêtèrent le massacre. Il s'agissait de plusieurs centaines de morts. Assez pour les combler de joie. Quasiment six jours de voyage, depuis Jiǎo huá, aller et retour, et elles se contentaient de cela. Huafang était de plus en plus persuadée qu'elle allait mourir, et sa hargne grandissait ; il lui fallait partir au plus vite. Elle refusait de rester avec ces déchets vivants ! Comment supporterait-elle tout ce sang, toute cette agonie et ce malheur ? Elle regrettait la méchanceté de sa famille, les querelles puériles avec le Seigneur Hiwang pour obtenir le Jeune Maître. Elle rêvait du bon vieux temps, se rendant enfin compte de sa valeur. 

La fosse des LamentationsWhere stories live. Discover now