Chapitre 36 - Le massacre de Xoch'Pillin

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Un indiscernable silence s'écoula sur le sable chaud du désert.

« Vos ordres, madame ?

— C... continuez...

— Leur cité est à trois-cent mètres derrière ces arbres secs, commenta une soldate. Confirmez-vous l'assaut, madame ?

— Oui. Nous devons mettre un terme à leur présence dans ce désert.

— À vos ordres, madame. Allez les gars, on bouge ! »

Les mercenaires se déployèrent alors devant la jeune terrienne avec une fulgurante efficacité. Ils s'engoufrèrent dans le territoire squama comme des renards dans un poulailler. Rapidement, Abelys comprit qu'elle venait de donner un ordre clair : éliminer tous les squamas. C'était facile, tellement facile. Trop facile peut-être ? Elle n'avait jamais cru cela possible un jour.

Son peuple allait enfin être libéré du joug de ses ravisseurs. Plus jamais les enfants n'auront à se cacher dans les caveaux humides de la salle commune. Plus jamais, les femmes et les hommes ne seraient scalpés au passage des combattants reptiliens. Plus jamais, l'on ne retrouverait des pâturages entiers piétinés, des moulins vidés, des villages brûlés. Plus jamais !

Les premiers coups de tonnerre retentirent à plusieurs dizaine de mètres devant-elle. Elle avait manqué l'assaut, perdue dans ses pensées. Tandis qu'à ses pieds, les cadavres encore fumant de ses adversaires — aux visages calcinés, criant à leurs dieux une détresse incomprise — levaient au ciel des mains crispés, aux doigts tordus de douleurs, Abelys marchait, Abelys courait. Abelys, fuyait.

Le ciel, ce jour là, fut témoin de l'horreur en s'embrasant de reflets rouges et sangs. Partout où le bleu calme s'étalait, à chaque coup d'éclair, à chaque rafale de leurs armes, d'immenses lumières tintèrent les airs dans un vacarme apocalyptique. Tantôt de feu, tantôt de braises, les feux impériaux venaient briller de toute leur avancée technologique, ne laissant derrière ces couleurs fracassantes que les cadavres de nombreux reptiles.

À la jeune fille, il lui était impossible de comprendre la force que représentaient ses propres armes. Les faisceaux lumineux venaient couper les arbres, traversaient les chaumières et fendait les pierres des temples. Des pyramides sacrificielles, affreux édifices en triangles, se dressant pour que les hommes-lézard viennent y éventrer leurs prisonniers, ne s'élevaient plus que pour pleurer des corps noirs de mort.

Aux couleurs vinrent s'ajouter les cris. Aux cris, les hurlements. Abelys cherchait à comprendre qui périssait, à savoir comment cela allait aussi vite. À ses interrogations ne répondit qu'une odeur rance et charbonnée de chaire calcinée. Autour d'elle, de nombreux cadavres avaient été laissés par ses troupes. Ce n'était pas à un combat qu'elle assistait, ni même une bataille. C'était un massacre. Un génocide.

Au sol, des bras, coupés nets, se mélangeaient à d'immense pieds griffus, torses écailleux et têtes cornues. Les lézards succombaient les uns après les autres sans qu'on ne puisse y faire quoique ce soit. L'énergie atomique, contenue dans les seules canons d'une douzaine de soldats, déployée contre la cité, était l'équivalent de milles soleils, découpant avec une précision chirurgicale chacun des habitants de la cité de Xoch'Pillin.

Les squamas de la région, connus pour vénérer les astres et surtout le soleil, s'étaient vus périr en une journée, par les forces mêmes qu'ils avaient encensées.

N'étaient les véritables enfants du soleil que le peuple qui avait su le dompter. L'Empire Solaire était, sur la Terre, bien le seul à connaître le pouvoir des atomes. Abelys se rendit alors compte de la puissance considérable qu'avait l'Empire. Douze simples soldats étaient capables de dévaster une cité comme le ferait une tempête de feu. Telle était la puissance véritable de l'Empire.

Elle chercha un coin au calme, voulant quitter cette vision d'horreur qu'étaient ces hommes, femmes et enfants d'une autre espèce carbonisés au sol comme de vulgaires insectes après un incendie. Elle trouva une maison faite de terre cuite et recouverte de paille. Sa main tremblante toucha un mur pour que son équilibre trouva un troisième appuie. Tandis qu'elle passa l'embrasure de la porte, un mouvement au sol attira son attention.

Là, devant elle, un squama rampait vers un meuble. Elle remarqua que ses mains attrapèrent quelque chose à l'intérieur d'un petit coffret de bois. Une hache pour livrer son dernier combat ? Une sarbacane à fléchette empoisonnée pour l'emporter dans la mort ? Rien de tout cela. Le squama, vraisemblablement blessé, attrapa un appareil sophistiqué qu'il vint mettre péniblement autour de son cou. Elle crut reconnaître la chose, elle avait déjà vu cela quelque part. Mais où ? Pas le temps de s'en souvenir, il se passa quelque chose :

Le squama se tournait vers elle, une voix sortit de son cou, faiblarde, geignarde, presque mourante :

« P... pourq... »

Un fracas mit fin à la tentative de communication. À gauche d'Abelys se dressait l'un de ses hommes, plus haut de cinq têtes au moins. Il était entré dans la maison et avait pointé un alesard sur l'individu au sol. Le coup était parti sans sommation, faisant sursauter la jeune femme. Elle écarquilla les yeux, effrayée par le flash lumineux et le bruit qui s'ensuivit. Se tournant lentement vers son allié, la bouche béante, elle voulu poser des questions, mais aucun mot de vint.

Le soldat se contenta de la regarder de haut en bas, les lèvres pincés de dépit, soupirant par les narines, les yeux absents de toute conscience. Il se tourna et disparut dans la ville pour continuer sa mission macabre, laissant simplement Abelys observer le trou béant dans le buste du reptilien au sol, sans vie. En cet instant, elle venait de réaliser ce qu'il s'était passé. Elle venait de comprendre la valeur de la liberté.

Où Cathor s'élevait, Xoch'Pillin, s'éteignait à jamais.

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