Le Dernier Empire

Chapitre 36 - Le massacre de Xoch'Pillin

Les dizaines de bottes venaient s'écraser sur un sol poussiéreux dans une puissance propre à la gravité terrienne. Les poids des soldats soulevaient derrière eux d'immenses volutes de poussière. Les hommes et les femmes venus de l'espace, aux armes et aux canons aussi impressionnants que des sarbacanes mécaniques, scrutaient l'horizon avec le sang-froid de celleux qui ne connaissaient pas la peur.

Abelys fut la dernière à sauter, elle qui n'avait jamais effectué ce type d'opération ne savait que trop comment procéder. Elle suivait simplement ses troupes, sans trop savoir quels ordres elle devait annoncer. La réalité semblait tout autre ; elle n'avait pas réellement d'ordres à donner, ni même le choix de diriger. Les soldats semblaient savoir exactement quoi faire et quand le faire.

Aussi suivit-elle le groupe avec une légère difficulté. Le désert ne lui était pas inconnu, elle reconnaissait au loin les monts centenaires et ses narines se remplirent de la senteur saline caractéristique de sa région. Au sol, des craquelures venaient s'étendre à perte de vue. La saison des migrations approchait, les squamas se dirigerait bientôt par milliers vers d'autres terres plus fertiles, pillant tous les villages sur leurs passages.

C'était pour cela que le fort de Cathor avait été érigé, héberger les dizaines de clans alentours pendant les migrations, et repousser les terribles invasions d'homme lézard. D'année en année, les humains avaient résisté, perdant saison après saison des membres de leurs villages, des vivres, des parcelles entières de bétail. La pauvreté s'était rapidement installée, apportant avec elle ses soeurs famine et maladie.

La jeune terrienne reconnut rapidement les lieux, ils se trouvaient en territoire squama. Tous les cent mètres aux alentours, disposés à distance égale, des bâtons tordus s'élevaient dans les airs, dressant d'horribles crânes humains à la vue de tous. Ces totems étaient des mises en garde, témoignage de ce qui arrivait à quiconque osait arpenter ces terres. Elle fut prise d'un frisson et accéléra la marche pour rejoindre les autres mercenaires.

Quelques minutes plus loin, ils arrivaient devant ce qui semblait être les portes d'une palissade en bois taillé. Se dressaient alors de plus nombreux piques, autour desquels venaient s'enlacer mousses et paillasses. Au loin, un cri d'alarme raisonna entre deux arbres morts. La présence du commando avait été détectée, les affrontements allaient commencer.

Deux hommes lourdement armés vinrent se positionner en tête de cortège, soulevant le canon de leurs armes à un angle précis. Au loin, des mouvements de cornes et d'oriflammes signalaient la présence d'un groupe armé de squamas en mouvement. Aux cris vinrent des vociférations stridentes :

« Wouh lo s'esskaï ! (Tuons les intrus) »

La langue des euroas était parlée, la mort allait frapper.

Ni une ni deux, une dizaine de flèches vinrent s'abattre sur le groupe de mercenaire dans un bruit de plumes soufflées. Aucun des soldats ne faiblit, ils avancèrent au contraire avec le plus grand calme. L'un d'eux se tourna vers Abelys et lui décocha un regard amer :

« Quels sont vos ordres ?

— T... tirez ! Tuez-les ! »

Se déploya alors devant elle deux immenses faisceaux de lumière intense qui balayèrent la plaine de droite à gauche, hurlant d'horribles sons de tonnerre et de foudre. Le temps d'un battement de cil, il ne resta plus rien de la patrouille de squama à l'autre bout des murailles. De son côté, Abelys tenait fermement l'alesard léger qu'on lui avait attribué.

Si fermement qu'elle ne se rendit pas compte que son autre main était aussi fermée sur elle même, les ongles enfoncés dans sa chaire, jusqu'au sang. La stupeur, la frayeur de voir toute cette énergie sortie de l'imaginaire, de l'impensable, la figea sur place. Elle venait d'assister à une scène que son esprit ne pouvait comprendre. Ses hommes venaient de se débarrasser des guerriers squamas comme on jetait de l'eau sur un feu.