Épilogue

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« Ma chère Thalie,

Il faut écrire et recevoir au moins une fois dans sa vie une lettre d'amour. En voici une pour toi. Après tout le courrier que nous avons échangé, il en fallait bien une. Ça faisait quelque temps, je l'avoue, que je l'avais écrite, mais je te l'envoie aujourd'hui. C'est le bon moment pour la recevoir. Le soleil est en train de se coucher, j'irai bientôt la poster. Tu pourras la lire à l'aube si tu préfères, ou dès ce soir. Tu pourras la lire quand tu seras triste ou quand tu seras heureuse, la lire chaque jour ou une fois par an, la connaître par cœur ou la redécouvrir à chaque fois. C'est une lettre d'amour, pour toi.

Je suis heureuse de t'avoir attendue. Je suis tombée amoureuse de toi quand tu es venue me chercher au manoir, la première fois, je ne sais pas si tu te souviens. Je t'avais raconté dans une lettre que je m'étais disputée avec mon frère et mon père. Ça faisait quelques temps que nous ne nous étions pas vues. Tu es venue. Je n'aurais même pas osé l'espérer. Malgré tes angoisses, malgré tout, tu es venue. Ça m'a touchée infiniment. Je me suis rendue compte à quel point tu m'étais précieuse ce soir-là. Je me suis rendue compte à quel point ta présence est magique. Je sais que tu penses que tu es trop discrète pour qu'on remarque ton existence, mais c'est faux. Tu es une personne boréale. J'ignore comment le dire autrement et c'est le premier mot qui me vient à l'esprit. Tu es une personne boréale. Tu as cette sorte d'aura, certes différente, certes rare, mais qui dissout toutes les obscurités. À toute heure de la nuit tu illumines mes journées. Tu as une lumière, Thalie, que d'autres n'ont pas. Je crois en toi.

Toute lettre d'amour a besoin d'une promesse, une promesse folle, à réaliser le jour où nous penserons ne plus pouvoir nous aimer. Alors nous devrons partir, immédiatement, l'accomplir. Je te jure que nous irons voir un jour ces aurores boréales. Je meurs d'envie de les admirer avec toi. Nous partirons en Norvège, nous irons tout au Nord, le plus près possible des nuits interminables. Là où je pourrai te parler, t'écouter des heures en fermant les yeux, dans une obscurité bleue. Et un soir nous nous allongerons sous le ciel étoilé, au sommet d'une colline surplombant un village au bord de la mer glacée. Main dans la main, je sentirai tes doigts se resserrer brusquement autour des miens quand la première aurore déchirera le ciel. Une lueur verte et ondoyante se dessinera au-dessus de nos têtes et nous retomberons amoureuses. Auréolées par l'aube encore une fois. Je suis sûre que tu sortiras ton caméscope parce que malgré les inévitables succès de tes longs-métrages au cinéma, tu ne te lasseras pas de réaliser de petits films amateurs. J'ai hâte de voir celui-là. Celui des vacances en Norvège.

J'espère que cette lettre t'aura fait du bien. Je t'aime Thalie, je t'aime fort. Et j'aime aussi – même, j'adore – pouvoir dire ça maintenant, différemment d'avant :

Je t'embrasse,

Apolline »


« Ma chère Apolline,

J'ai lu ta lettre au coucher du soleil et je n'en ai pas dormi de la nuit. Je n'ai fait que la lire, dans ma tête, à voix haute, à voix basse, dans mon lit, à ma fenêtre. J'écris ma lettre à l'aube. Je n'aurais jamais osé le faire si tu ne m'avais pas envoyé la tienne, je suis heureuse que tu aies eu cette idée. Je n'aurais pas osé te confier tout ce que j'ai à te confier. Aujourd'hui je peux. J'ai ta lettre au coin des yeux, je peux.

Apolline. Je veux te rencontrer de très nombreuses fois. Je veux te redécouvrir chaque jour où nous nous verrons. Je veux, quand je poserai les yeux sur toi pour la première fois de la journée, que tu te révèles superbe (et non que je te connaisse telle). Je veux t'oublier pour être éblouie. Je crois que c'est un peu le cas déjà. Parfois il me semble que je t'ai rêvée si jolie si joyeuse si étincelante, mais quand je te retrouve (je te retrouve : c'est d'une douceur à écrire), je réalise que je n'ai rien inventé. Tu es merveilleuse Apolline, tu es resplendissante. Tu es comme un soleil. La plus belle aurore ça sera toujours toi qui ouvres les yeux dans mes bras, à n'importe quelle heure du jour, n'importe quelle heure de la nuit.

Je t'écris passionnée, pour que les jours où je n'arriverais pas à être spontanée, tu puisses relire cette lettre. Pour que tu te souviennes. Relis-la souvent. Dès que je te ferai un peu douter. Dès que je t'agacerai un peu. Quand nous serons en colère l'une contre l'autre, nous ferons semblant de ne pas nous connaître ; pour nous réconcilier je te donnerai rendez-vous quelque part, et une fois arrivée tu me découvriras en train de t'attendre, un bouquet de roses à la main pour me faire pardonner. Butée tu diras : – Je ne sais pas qui vous êtes. » et je répondrai : – Moi non plus. » Ça te fera enfin sourire et tu prendras les fleurs en faisant remarquer : – En tout cas, vous ne vous êtes pas trompée : ce sont mes préférées. »

Si ça ne suffit pas, alors seulement nous partirons. Tu me réveilleras en sursaut et m'annonceras que nous quittons la France pour la Norvège, que tu as déjà fait ma valise, et réservé le bateau. Tu m'enlèveras comme je t'ai enlevée. Nous nous enfuirons vers le Nord, à la recherche d'un nouvel endroit pour nous rencontrer encore.

Je te fais une promesse, Apolline : je me souviendrai de toi. Qu'importe ce qui nous arrive, ce qu'il se passe. Je t'ancrerai dans ma mémoire et sur ma caméra. Je crois qu'avec le temps, je ne voudrai filmer que toi. Je n'aurai plus que faire des paysages, des villes, des autres : quand je sortirai ma caméra je la braquerai sur toi. Je ferai ton portrait inlassablement. Je te dessinerai d'un travelling, d'une contre-plongée. Je t'aime un peu trop fort pour t'effacer de ma mémoire. Je t'aime un peu trop fort pour ne pas avoir envie, sans cesse, de t'avoir dans un coin de ma tête.

Je songe à toi, à toi seulement.

Thalie »

Fleuve roseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant