Chapitre 33

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Nous courons si vite que le paysage autour de moi ressemble à des coups de pinceaux. Apolline devant moi se retourne parfois, m'exhortant à accélérer, et nous rions ensemble. Ça perce mes poumons mais je ne peux cesser de partir dans de grands éclats dès que nos yeux se croisent.

– Vite ! On va rater le coucher du soleil !

Haletante je vais m'arrêter, mais elle revient vers moi et saisit ma main. Elle m'entraîne à sa suite, je ris encore en m'accrochant à ses doigts comme si ma vie en dépendait. Je manque de trébucher puis peu à peu, prends le rythme aérien d'Apolline. Elle m'encourage d'une voix déjà scintillante, quelques étoiles s'échappent d'entre ses lèvres pour aller briller les premières dans le ciel. Ça me donne la force de continuer. Nous ne devons pas être en retard. Le crépuscule ne nous attendra pas. Je lève la tête et découvre des nuages sombres, Apolline a suivi mon regard et nous accélérons. Nous ne nous arrêtons que près de la digue, et descendons à peine prudemment les marches de bois, pour mieux bondir sur les pierres. Nous marchons le plus loin possible, tout au bout de l'avancée, au plus près du fleuve. Nous asseyons côte à côte. Autour de nous, ni la Loire ni le ciel ne sont roses. Il fait presque nuit. Le paysage est plongé dans une pénombre azurée. À l'horizon seulement, le ciel brille d'un vert éclatant. Les arbres s'y découpent dans tous leurs détails. Tout est silencieux. Apolline et moi échangeons un regard, à l'instant où ses yeux croisent les mieux nous éclatons de rire. Elle renverse la tête en arrière et ses cheveux s'éparpillent dans son dos. Elle rit à en déranger les oiseaux.

– Je n'arrive pas à croire qu'on ait manqué le coucher du soleil ! s'exclame-t-elle une fois calmée.

J'acquiesce dans un dernier éclat.

– Tant pis, on ira le voir une prochaine fois.

Elle m'approuve aussitôt, et imagine à quel point il sera beau. Je l'écoute attentivement, les paupières à demi-closes. Quand elle se tait, nous restons silencieuses. Nous pensions que nous aurions plus de temps à passer sur la digue, mais il est trop tard. De courtes minutes s'écoulent avant que mon amie ne déclare :

– Il faut rentrer.

Je hoche lentement la tête.

– Surtout qu'il est presque vingt-deux heures, mes parents vont s'inquiéter, ajouté-je.

Elle me rassure aussitôt :

– J'ai leur numéro maintenant tu sais. Je les ai prévenus qu'on rentrerait tard.

Je la remercie. Elle pointe du doigt le ciel :

– Regarde, la première étoile !

Un astre scintille très solitairement à des années-lumières d'ici et de maintenant. Il se détache avec singularité sur le bleu profond. Je souris. Il est vraiment temps de partir. Je me remets debout et aide Apolline à faire de même. Elle sort son téléphone pour nous éclairer. Nous remontons la digue, avançant prudemment de pierre en pierre, évitant les herbes folles qui ont poussé entre les roches. Nous quittons la Loire mais pour quelques temps seulement : quand la nuit sera totale, nous reviendrons.


La fenêtre de la cuisine taille un carré orange dans l'obscurité bleue. Elle déverse une claire cascade sur la terrasse et sur les marches. Apolline et moi entrons vite à l'intérieur, où un repas encore chaud et une table déjà mise nous attendent. Il y a même un bouquet entre les deux assiettes, elle s'émerveille. Nous prenons place l'une en face de l'autre. Mon amie se penche pour humer les fleurs. La lumière artificielle se répand sur ses cheveux et les roussit plus encore. Nous commençons à manger. Mes parents arrivent du salon un peu plus tard. Ils nous saluent et, tous les deux en pyjamas, s'excusent de ne pas être présentables. Ils s'assoient avec nous et nous leur racontons notre journée. Je laisse mon amie parler. J'adore l'écouter décrire avec tant d'enthousiasme nos promenades, j'adore admirer cet éclat qui perce ses yeux à demi-fermés. Nous restons longtemps dans la cuisine, à rire et discuter avec mes parents. Je sais qu'Apolline apprécie ces moments. Elle m'a confié un soir qu'elle se sentait plus qu'accueillie, recueillie, en prononçant ce mot avec toute la douceur du monde. Quand je la vois assise à la table, éclairée puissamment par l'ampoule à nu, et toujours aussi souriante, je songe à faire durer ce moment le plus longtemps possible.

Fleuve roseOnde as histórias ganham vida. Descobre agora