Chapitre 14

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Je suis couchée tôt pour me lever avant le soleil. J'ai tout de même eu le temps de regarder un film que m'avait conseillé Apolline, et ce matin je lui ai aussi rédigé une liste de films à voir. Je l'ai mise dans l'enveloppe que je dois aller poster. J'espère que ça lui fera plaisir.

Il fait encore nuit quand je sors. C'est à peine si l'horizon bleuit. J'ai à la main une lampe de poche et dans mon sac la lettre pour Apolline, ainsi que ma caméra. Le faisceau de lumière découpe une ellipse jaune devant moi. Je marche vite le long de la route déserte. Je traverse le pont et j'entends l'eau couler, sans pouvoir la distinguer. Je longe la Loire les yeux levés au ciel, pour contempler les étoiles s'éteindre une à une. Je flâne dans les rues de Montjean. Quand j'arrive au manoir l'aube est proche. J'espère que j'aurai le temps de redescendre au pont. Je sors de mon sac la lettre pour Apolline. Je suis sûre qu'elle la lira avant cette après-midi. Je me presse de faire demi-tour, et regagne le village par la route principale. Le ciel s'éclaircit peu à peu et les oiseaux s'éveillent. Je parviens au fleuve après avoir erré un moment dans les rues. Je traverse la large route qui longe la Loire. Les coquelicots ont fané. Je jette un coup d'œil par-dessus le muret. Une pente recouverte de dalles grossières mène au fleuve. Entre les pavés poussent des marguerites. Je les trouve belles dans la lumière naissante, et je descends pour les cueillir. Leurs tiges se fendent entre mes doigts. Je les offrirai à Apolline. Les fleurs en main je rejoins le pont et m'y arrête. J'y passe une heure peut-être, alternant les moments où je filme et ceux où j'admire l'aube de mes propres yeux. Je crois admirer l'aurore alors qu'il fait encore nuit, et je suis sûre d'en apercevoir encore les traces alors que le soleil est haut sur l'horizon. Je suis assoiffée d'aube et qu'elle se reflète dans la Loire me satisfait à peine. Je voudrais qu'elle couvre tout de rose, comme au manoir la nuit dernière. Je finis par quitter le ciel, sereine.


Je suis rentrée juste à temps pour préparer un petit-déjeuner à ma mère et le lui apporter au lit. Dès je vais bien je fais tout mon possible pour qu'elle se repose. Ça lui a fait plaisir. Plus tard, en fin de matinée, mon père a lui-même téléphoné pour nous annonce qu'il rentrerait ce soir. Il nous a dit que ça n'était pas la peine de fêter son retour, parce qu'il ne voulait pas nous fatiguer, mais en raccrochant ma mère m'a promis qu'elle cuisinerait son plat préféré. Je crois que voir notre famille réunie m'aidera à définitivement oublier ma dernière crise d'angoisse.

Il doit être quatorze heures quand je descends à la cuisine pour vérifier si Apolline n'arrive pas. Ma mère me demande si j'ai dormi après le déjeuner, je réponds distraitement que non.

– Et tu n'es pas fatiguée ? s'enquiert-elle.

– Pas vraiment.

– C'est nouveau, ça ! Tu récupères, c'est bien.

C'est vrai que ça faisait quelques temps que je n'avais pas dormi après m'être levée à l'aube. J'ai autre chose à penser, alors qu'Apolline et moi allons nous revoir. J'embrasse ma mère et attrape les marguerites, puis vais attendre dehors. Je m'assois en haut de l'escalier, au soleil. Cinq minutes plus tard, Apolline arrive. Je la rejoins vite, claquant le portail derrière moi. Elle sourit en me voyant arriver mais je ne ralentis pas, je m'élance et la serre contre moi de toutes mes forces. Surprise, elle rit et pose ses mains dans mon dos.

– Thalie ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Je m'écarte un peu d'elle pour pouvoir la regarder dans les yeux, et je lui tends les fleurs que j'ai cueillies pour elle.

– C'est pour moi ? Merci !

Elle les saisit et les pose contre sa poitrine.

– J'ai relu toutes tes lettres.

Fleuve roseWhere stories live. Discover now