Chapitre 31

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Il a plu toute la nuit. Quand au matin je sors pour aller voir le lever du soleil, je découvre un ciel vide et bleu foncé. Il est dépourvu de tout nuage. Comme il s'éclaircit rapidement je presse le pas. Je ne voudrais pas être en retard. J'ai emporté la lettre d'Apolline et de quoi y répondre. Je sais que l'aurore m'apaisera assez pour que je puisse exprimer correctement mes pensées. J'ai l'espoir léger et irrationnel qu'une fois l'aube évaporée, je comprenne parfaitement ce que je ressens pour Apolline. J'aimerais que mon cœur soit dégagé de toutes les angoisses qui l'accaparent pour savoir. J'aimerais que ça soit facile.

Je traverse le pont et ne m'y arrête pas. Je veux aller sur les plages que la Loire découvre en période de sécheresse, parce que tout y est très dégagé et vaste. Elles sont près des chemins aménagés qu'Apolline et moi avons empruntés quelques fois. Autour de moi le jour se lève peu à peu, je me mets à courir le long de la digue pour être sûre d'arriver avant que le soleil ne perce l'horizon. Je respire douloureusement mais ça me fait du bien. À mes côtés les oiseaux s'éveillent, je les entends crier. Des mouettes survolent la Loire et me dépassent. J'éclate de rire en accélérant pour les rattraper. Toujours à cette allure insensée j'emprunte les chemins jaunes qui m'éloignent un peu du fleuve, puis m'en rapprochent. Je peux alors descendre sur la plage envahie par les plantes grimpantes. Une digue comme celle sur laquelle Apolline et moi nous sommes rendues transperce le sable cuivré. Elle ressemble à une colonne vertébrale pierreuse. J'y grimpe et la suis pour arriver avec plus de facilité près de la Loire. Entre les rochers poussent de courts buissons, et quelques fleurs jaunes ou violettes. Cela fait longtemps que l'eau n'est pas venue jusqu'ici, elles ont eu le temps d'éclore et même de faner. Je tangue un peu sur les pierres mais parviens tout au bout de la digue. Je m'assois. L'horizon est déjà très rose. Je peux deviner l'endroit exact que le soleil percera, car le ciel y est d'une couleur plus éclatante encore qu'ailleurs. Les mouettes me rejoignent. Elles font des allers-retours entre l'Est et l'Ouest. Leur plumage est blanc sur les arbres noirs, noir sur le sable rose. Nous nous tenons étrangement compagnie. Leurs cris lointains m'apaisent. L'eau parcourue de brumes matinales bruisse à peine. Je n'entend que son vague murmure quand elle rampe entre les rochers de la jetée. J'observe le paysage en tordant mon échine. Dans le ciel un croissant de Lune brille de moins en moins fort. Je jette un coup d'œil à ma montre : le soleil devrait se lever dans une minute. Mon cœur bat fort entre mes côtes. Je fixe l'Est. Je lève une main caressée par la brise et la lumière douce encore : je sens le temps s'enrouler autour de mes doigts. Je ne peux plus attendre. Le soleil crève alors l'horizon.

Il rougeoie entre les arbres qui le dévorent. Lorsque enfin il se détache d'eux, il flamboie circulaire au-dessus du fleuve. Sa couleur puissante devrait me faire détourner les yeux mais je le refuse. Chaque seconde qui passe le fait monter plus haut et pâlir légèrement. Chaque instant de cette aube est unique. Je ne peux en manquer un seul. Le soleil se reflète de plus en plus doré sur la Loire. L'eau l'étire en une ligne épaisse et scintillante à travers le fleuve. Je suis étourdie par la beauté du moment. Un sourire se trace sans effort sur mon visage. Alors seulement, je ferme les yeux et respire. En rouvrant mes paupières, je saisis une feuille de papier et commence à écrire :


« Chère Apolline,

J'espère que tu vas bien ! Je suis désolée de répondre si tardivement. Je ne m'attendais pas du tout à ta lettre et je ne savais pas comment y répondre. Je crois que je ne sais toujours pas. Je serai peut-être maladroite. Mais je trouve que tu as été incroyablement courageuse de m'avoir envoyé cette lettre. C'est ce qui m'aide à t'écrire. Si tu as réalisé une telle chose, je peux bien te répondre. »


Je m'interromps, mon inspiration soudain coupée. Je reprends ma contemplation. Une lumière dorée s'échoue sur ma lettre, et j'écris :

Fleuve roseNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ