Chapitre 8

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Je prépare mon sac en vérifiant constamment que je ne suis pas en retard. Je me suis réveillée bien après le lever du soleil. Je voulais être sûre d'avoir l'énergie nécessaire pour voir Apolline. J'ai pu admirer l'aurore sur mon ordinateur et ça m'a apaisée un temps. Je suis à nouveau nerveuse mais c'était à prévoir, avec la fête hier, et la promenade aujourd'hui. Je ne sais pas qui de mon angoisse ou de mon enthousiasme triomphera. Parfois je me rappelle que je n'étais pas été parfaite lors de la fête, mais comme elle m'a dit le plus explicitement possible qu'elle avait envie de passer du temps avec moi, je ne suis pas si nerveuse. J'ai peur surtout pour cet après-midi. Comme d'habitude je me demande si je vais l'embarrasser, ou bien l'ennuyer, la contrarier, la vexer, la blesser. Ces pensées remuent dans tous les coins de mon esprit sans me laisser de répit. Une m'étouffe : je déteste avoir une amie parce que ça me terrorise. Une autre brille : je ne suis plus toute seule, et peut-être pas si déplaisante que je le crois parfois. Alors je respire. Je respire un peu. Je saisis la robe. Avant de la glisser dans le sac, je la plie avec soin. L'étoffe irisée clignote dans un rayon de soleil. Je décide d'emporter aussi ma caméra. Peut-être en aurais-je besoin, peut-être quelque chose sera-t-il incroyablement beau.


Je traverse l'île, le pont et le village. Je passe par la place du cinéma. Elle est jolie de jour comme de nuit, mais moins angoissante tout de même, dépourvue de cette lumière sanglante. Je m'engage dans une rue pentue, puis trouve les quelques marches qui mènent hors du village : à partir de là, les maisons se dispersent peu à peu. Je longe un cimetière, quelques croix dépassent du mur comme des hommes maigres et solitaires. Une route abrupte mène au manoir, mais je choisis un chemin englouti par des herbes hautes, que j'avais repéré en venant la veille avec mes parents. Au bout de quelques mètres il se change en escalier à flan de collines. Le village sous de moi rétrécit peu à peu, j'aime le voir se dessiner d'en haut. Les toits oranges et les jardins font comme un damier. J'aperçois quelques balançoires et un toboggan. D'ici, les arbres paraissent tout à fait immobiles malgré la brise. Je finis par détourner le regard et continue ma route jusqu'au manoir. Arrivée au portail, je me décharge de mon sac à dos et sonne. La voix d'Apolline grésille à l'interphone :

– J'arrive !

En prévision de notre longue promenade, je resserre mes lacets. Quand je relève la tête, Apolline accourt. Elle aussi porte un sac, mais plus sa robe rose. Elle me salue, puis ouvre le portail, et me salue à nouveau. Ça me fait sourire. Je lui réponds timidement bonjour.

– Je t'emmène un peu plus loin que d'habitude, ça ira ? Tu n'es pas trop fatiguée ? s'enquiert-elle.

– Pas du tout. Où est-ce qu'on va ?

Elle m'explique que nous nous rendons dans les collines environnant le manoir.

– Il y a un joli point de vue là-bas !

Nous nous mettons en route sans plus attendre. Nous sommes toutes deux enjouées, et la conversation se lance, se déroule et ne s'arrête plus. Elle a la couleur du ruban qui noue les cheveux d'Apolline. Je réfléchis toujours à ce que je vais dire, continue de contrôler chacun de mes mots, cependant je suis heureuse de discuter avec elle. Je m'arrange surtout pour la faire parler et avoir à l'écouter. J'évoque la chorale dont elle fait partie. Elle me raconte comment les cours se passent, et m'explique qu'ils n'ont pas lieu pendant les vacances, mais qu'elle m'aurait emmenée sinon. Je lui demande si elle peut me chanter quelque chose. Elle éclate de rire en se cachant à moitié le visage derrière ses mains.

– Je ne peux pas, je ne suis pas très douée.

Je ne la crois pas une seule seconde. J'hésite car j'ai peur de l'agacer, avant d'insister :

Fleuve roseUnde poveștirile trăiesc. Descoperă acum