Chapitre 29

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Jour 4 :


« Chère Thalie,

J'ai très hâte que tu me racontes ta soirée d'hier ! Je veux tout savoir, en détail ! Le crépuscule me manque. Tu me manques aussi. Je me suis réveillée ce matin en ayant envie de le voir et envie de te voir. Cela commence à être long. J'imagine déjà mon retour à la Loire, je nous imagine courir toutes les deux le long de la digue au coucher du soleil pour atteindre la jetée au plus vite, je nous imagine nous promener entre les champs dans les collines, je nous imagine marcher dans l'eau, pas trop loin de la rive. Je pourrais en rêver.

Je me contente donc du jardin. C'est joli aussi. Ça me rend un peu mélancolique de voir les grilles alors je m'arrange pour ne pas les avoir dans mon champ de vision. Je me suis assise dans la serre hier soir pour lire, il y faisait plus chaud qu'à l'extérieur. Quand je suis sortie pour aller me coucher, mon père qui était sur la terrasse m'a appelée et nous avons un peu parlé des livres qu'il m'a passés. Il en avait lu certains. Nous avons partagé nos avis. C'était une discussion un peu plate mais j'étais heureuse qu'il fasse l'effort d'en lancer une.

Ce matin je suis près des cerisiers. Quand je ferme les yeux j'entends les merles qui y sont perchés. Une brise tiède fait courir les nuages. J'ai dormi profondément cette nuit. Je suis heureuse d'écrire cette lettre. Je n'ai jamais regretté d'avoir accepté d'entretenir une correspondance avec toi (j'adore dire ça ! " entretenir une correspondance "). C'est plus long qu'un message, et ça prend plus de temps pour arriver à destination : c'est bien de devoir réfléchir attentivement à quoi rédiger. J'aime m'asseoir près des cerisiers et songer une heure à comment t'écrire. J'aime aussi, au contraire, t'écrire vite, à mon bureau, mais que ma spontanéité soit inscrite à jamais sur le papier. Par téléphone tu ne pourrais pas savoir si j'avais réécrit dix fois le message avant de l'envoyer, aucune de mes hésitations ne serait visible : par lettre elles le sont. Elles sont inscrites sur le papier, et si jamais les phrases s'enchaînent sans rature c'est qu'elles ont été inscrites ainsi, d'un seul geste, d'une seule pensée. C'est d'une sincérité pure et inégalable. Je ne rédige jamais de brouillon, je préfère que tu reçoives les premiers mots qui me sont venus. J'ai l'impression qu'ils viennent plus de moi que n'importe quels autres.

D'ailleurs, puisque mon téléphone a été confisqué, j'envoie des lettres parfois à Flora, Quentin ou Lucas. Ça les amuse beaucoup, ils se sont pris au jeu et nous avons échangé un peu par ce biais. Quentin m'a dit qu'il n'aurait tout simplement pas pensé à cette solution pour me parler sans mon portable, alors que c'est si évident. Ils sont moins à l'aise car ils n'ont pas l'habitude de ce format, mais ils s'y feront – une fois que j'aurais retrouvé mon téléphone, peut-être continuerons-nous de parler par lettre quelques fois.

Flora m'a écrit qu'elle organisait une fête au bord de la Loire dans dix jours (elle n'est pas encore tout à fait sûre de la date, je te reconfirmerai), et tu es invitée ! Il y aura plus de gens que la dernière fois, une vingtaine je pense, parce qu'il y aura beaucoup d'amis de son copain. On dansera, il y aura un feu de bois. J'aime beaucoup ce genre d'ambiances. Il n'y a rien de plus estival que ces soirées. La lumière y est toujours belle. Les étoiles brillent et le soleil finit de se coucher alors que la lune se lève et que les flammes s'étendent. Ça me ferait très plaisir bien sûr que tu viennes avec moi, mais si tu ne t'en sens pas capable sens-toi libre de refuser.

Je pense très fort à toi. Je t'embrasse,

Ton amie, Apolline. »


« Chère Apolline,

J'ai tellement de choses à te raconter ! Juste une soirée, mais il s'est passé tellement de choses ! Pas tant que ça, mais c'est étrange. Je ne sais pas comment le dire.

Fleuve roseWhere stories live. Discover now