Chapitre 12

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J'ai allumé toutes les lampes et clos les volets de la chambre en attendant Apolline. Son père voulait lui parler. Je me doute de ce qu'il va lui dire. Je reste debout près du lit. Je me sens extrêmement coupable, extrêmement encombrante. Elle a beaucoup trop fait pour moi. Quand elle revient, elle porte une chemise de nuit toute blanche, aux longues manches bouffantes. Elle a l'air triste encore. Elle lance :

– Tu dois être épuisée.

– Toi aussi, c'est toi qui a couru partout et passé tous les coups de téléphone.

Elle sourit et me fait signe que ce n'est rien.

– Tu veux peut-être dormir ?

J'acquiesce en réprimant un bâillement. Elle fouille dans son armoire et me tend un large tee-shirt.

– C'était à ma mère. C'est son groupe préféré.

Je n'ose pas lui demander où elle est à présent. Nous nous couchons. Apolline a fermé les lourds rideaux. Dans l'interstice, un rayon de lune glisse et raye les draps. Elle m'a demandé si ça me gênait de dormir dans son lit, j'ai répondu que non. Je ne suis tout de même pas très à l'aise, j'ai peur de la déranger. Nous sommes toutes les deux allongées sur le dos. J'ai les yeux ouverts. Malgré mon épuisement je ne peux pas dormir. Je me déteste trop pour être seulement reconnaissante. Je ne méritais aucun de tous les efforts qu'elle a fait pour moi, pas après l'avoir ignorée pendant des jours. Je chuchote :

– Je suis désolée. Je suis vraiment désolée.

– Pourquoi ? s'enquiert Apolline avec innocence.

Qu'elle ne comprenne pas me sidère. Je ne peux penser à autre chose depuis que mon angoisse s'est dissipée. Je me tourne vers elle – il est temps de faire face. Elle m'imite. Ses yeux brillent à peine dans la pénombre.

– Parce qu'on ne se parlait pas depuis des jours et je reviens comme ça, je te force à m'aider, tu ne pouvais pas refuser.

– Thalie ! s'écrie-t-elle. Je suis heureuse que tu sois venue. Je préfère mille fois que tu sois venue me demander de l'aide, plutôt que tu te sois débrouillée toute seule et qu'il soit arrivé quelque chose d'encore plus grave à toi ou à ton père.

– Mais à cause de moi, vous vous êtes disputés avec ton père.

Sa voix s'adoucit :

– Tu crois que je ne savais pas que ça arriverait ? Ça n'est pas la première fois qu'il se montre si sévère.

Je n'ose pas lui demander ce qu'il s'est passé, tant elle est mélancolique. Je m'excuse à nouveau.

– Thalie, c'était mon choix. Ne t'en veux pas.

– Je voudrais être capable de faire la même chose pour toi, chuchoté-je. Et ne pas simplement créer des problèmes.

Elle sourit avec douceur (dans le noir c'est difficile de déceler son expression, que je ressens plus que je ne vois).

– Tu as tes angoisses qui t'en empêchent parfois mais tu fais la même chose, même si tu ne t'en rends pas compte. Ça me fait du bien de passer des heures entières avec toi à te parler de choses qui me rendent heureuse ! Tu ne crées pas que des problèmes. Je te le jure.

J'aimerais que ça soit suffisant pour me rassurer – mais je ne m'aime pas assez.

– Et je suis désolée aussi pour la dernière fois qu'on s'est vues. D'être partie. Et de t'avoir fait penser que j'étais en colère contre toi. Je ne le suis pas, je suis incapable de l'être. Tu es...

Fleuve roseWhere stories live. Discover now