KETTING┃m.de ligt (✓)

28. mulan.

Une délicieuse odeur de Humke Soep flotte dans l’air. Matthijs remue la soupe crémeuse aux pommes de terre, haricots verts et haricots blancs en la regardant avec une certaine fierté. C’est sa mère qui lui a donné la recette pas plus tard que ce matin, et sans vouloir s’avancer, il pense qu’il vient de la réussir. En tout cas, ce qui est certain, c’est que Annekee ne risque pas de mourir d’une intoxication alimentaire ce soir. Car c’est bien pour son rendez-vous avec la jeune femme qu’il a cuisiné. 

D’ailleurs, elle est un peu en retard. De cinq minutes seulement, mais ça paraît déjà énorme pour Matthijs. Quand il l’a invité à dîner et à regarder un film chez lui, en réalité, il projettait de lui dévoiler ses sentiments dans la soirée. Annekee est une fille intelligente, alors elle doit doit sans doute déjà se douter de ce qu’il ressent pour elle. Pourtant, le capitaine de l’Ajax Amsterdam pense que mettre des mots sur cela ne pourrait pas faire de mal. Il espère juste ne pas se dégonfler après son arrivée. 

— Elle est là, Matthijs murmure en entendant la sonnette. 

Pris de nervosité mais aussi très impatient à l’idée de la voir, il court pour rejoindre l’entrée de son appartement. Avant d’ouvrir la porte, il prend quand même le temps de s’examiner dans le miroir qui trône dans son couloir. Tout semble correct ; Matthijs est parfaitement coiffé, sa chemise est repassée et il sent bon. Lorsqu’il ouvre, son coeur s’arrête un moment devant les yeux azurs de Annekee. Elle est magnifique dans un pantalon blanc et une chemise beige. 

— Bonsoir. 

— Salut ! Matthijs s’exclame, beaucoup trop enjoué. Entre, je t’en prie. 

Annekee sourit simplement, tandis qu’il lui prend son manteau et son sac à main, les déposant dans le rangement prévu dans l’entrée. Il la regarde ensuite ôter ses chaussures pour enfiler des pantoufles, ses yeux se promenant partout. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’elle se rend chez Matthijs. Ils sont déjà passés dans son appartement, mais c’était toujours en coup de vent quand le footballeur devait venir récupérer quelque chose, ou qu’il avait oublié de prendre une de ses affaires. Annekee n’a jamais vraiment eu l’occasion de s’attarder sur la décoration, alors ça semble être le moment idéal pour se rattraper.

— J’ai apporté une tarte aux marrons, je sais que c’est ta préférée, Annekee déclare en posant la boîte en carton qu’elle tenait dans ses mains sur le comptoir de la cuisine.

Matthijs esquisse un sourire, les joues rouges. Elle s’en est souvenue. 

— Merci, t’étais pas obligée.

Ils se regardent un petit moment, en silence. Matthijs savoure cet instant, en profite pour bien graver les traits de son visage dans son esprit. Il le fait toujours lorsqu’ils ont un rendez-vous, comme s’ils risquaient de ne plus jamais se revoir ensuite. C’est peut-être parce qu’il semble avoir tiré des leçons de leur première rencontre à l’Escape, peut-être parce qu’il est tellement amoureux d’elle qu’il a l’impression de découvrir à chaque fois une nouvelle Annekee. A sa plus grande déception, cette dernière détourne finalement le regard, paraissant un peu gênée.

— Tu fais de la Humke Soep ?

— Ouais, elle sera bientôt prête, Matthijs hoche la tête. Un thé, ça te dit ?

— Je veux bien, merci. 

Pendant que Matthijs fait chauffer de l’eau sur une plaque, Annekee s’installe sur une chaise haute en face de lui. Cependant, au lieu de se lancer dans une de leur interrassable conversation comme elle le fait d’habitude, elle demeure étrangement calme. Comme si elle cherchait à instaurer une distance entre eux, elle évite même le regard du footballeur, préférant jouer avec ses ongles d’un rouge pétant—Leen est probablement passée par ici. Matthijs peut sentir son malaise, et tandis qu’il lui tend une tasse bouillante de thé à la mangue, il le lui faut savoir.

— T’es bien silencieuse ce soir, Anne. Quelque chose va pas ?

— Si, si, désolée, Annekee s’empresse de répondre, un peu éteinte malgré tout. Je suis juste fatiguée avec le boulot, les révisions, tout ça. Alors, les quarts de finale approchent ?

Matthijs, sourcils froncés, ne préfère toutefois pas relever. S’il insiste trop, elle risque de se braquer et il n’a pas prévu que la jeune femme passe une mauvaise soirée. Alors il décide de saisir la perche qu’elle vient de lui tendre, même si elle a délibérément voulu détourner la conversation. 

— Ouais, c’est juste dingue. Contre la Juventus en plus, tu imagines ? Cristiano Ronaldo, le meilleur joueur de la planète, sera devant moi et je vais même pouvoir lui arracher une jambe. 

— Mon Dieu, si quelqu’un d’autre t’entendait parler, Annekee secoue la tête, à la fois exaspérée et amusée. 

— Heureusement que ce n’est que toi alors, Matthijs réplique avec un haussement de sourcils provocateur, et elle rit—douce mélodie à ses oreilles.  

— Alors, qu’est-ce que tu as prévu pour ce soir ? Une rediffusion d’un match de deuxième division allemande ?

— Non, Matthijs la contredit, l’air mystérieux. Mulan.

— Quoi, sérieusement ?

— Arrête de faire ta choquée, Leen m’a dit que tu regardais un Disney au moins une fois par semaine. 

Annekee plisse les paupières, toujours un sourire flottant sur ses lèvres. Ils se sont déplacés vers le canapé du salon pendant qu’ils parlaient. 

— Ah, parce que tu discutes avec Leen, toi, maintenant ?

— Évidemment, Matthijs hausse les épaules—après tout, c’est sa future belle-sœur, mais il ne peut pas le lui dire. C’est la copine de mon coéquipier, elle fait quasiment partie de la grande famille que les membres de l’Ajax forment. Alors, va pour Mulan ?

— Tu me fais faire n’importe quoi, Annekee soupire, et ses mots sonnent comme un accord. On a dix-neuf ans. 

— On est jamais trop vieux pour regarder un bon film d’animation.

Matthijs la gratifie d’un clin d’oeil complice. Ils décident de manger avant de lancer le film, alors ils retournent dans la cuisine. Annekee veut l’aider, mais la table est déjà mise et la nourriture est prête à être dégustée. Elle proteste un peu, parce qu’elle n’aime pas ne rien faire lorsqu’elle est invitée chez des gens, elle a toujours envie de prêter main forte. Matthijs la trouve adorable, et tandis qu’elle se rapproche de lui pour prendre la bouteille d’eau qu’il vient de sortir du frigo, il se dit que l’occasion est parfaite. Alors, ignorant la boule dans son ventre et ses mains devenues moites, il se lance :

— Je t’aime, Annekee. 

Et sans lui laisser le temps de répondre, il s’empare doucement de ses lèvres.