21. secours.

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Annekee se réveille brusquement, la respiration haletante. Ses oreilles sifflent douloureusement, et son crâne brûle. Elle ne sent même pas son corps, sa bouche s’ouvre comme pour lancer un hurlement, puis se résigne à rester silencieuse. Elle finit par se redresser, luttant contre l’étourdissement, son coeur battant à un rythme effréné et la douleur atroce qui l’assaille. Les nuits blanches sont courantes depuis le décès de Gustaaf, mais ces derniers temps, depuis qu’elle a retrouvé le moyen de s’endormir, ce sont les cauchemars qui viennent perturber son sommeil.

Aveuglée par les larmes, Annekee tend la main pour saisir son téléphone. Il est déjà deux heures du matin. Elle se roule de nouveau en boule sur son lit et attend que sa crise d’angoisse cesse d’elle-même. Sauf qu’après de longues minutes à pleurer et à hyperventiler en repensant à son père qui ne la prendra plus jamais dans ses bras, à ce semblant de famille qui la déteste et la méprise, elle comprend que ce ne sera pas une mince affaire que de se calmer seule. Alors Annekee, fébrile, compose le numéro de Jantje en priant de toutes ses forces pour que sa meilleure amie réponde. Elle a vraiment besoin d’aide. 

Mais Jantje doit sûrement être en train de dormir, étant donné qu’elle ne répond pas. 

Annekee insiste encore, sans vain. Ses mains se sont mises à trembler plus fort, tandis qu’elle presse désormais le prénom de Johannes dans sa liste de contacts. C’est l’un des seuls qui pourra la faire rire, oublier son chagrin et son désarroi le temps d’un instant. Le téléphone de son ami sonne à plusieurs reprises, mais le jeune homme ne décroche pas. Annekee se rappelle alors que c’est samedi soir, et qu’il se rend toujours en soirée en ville ce jour-là de la semaine avec ses amis de l’université. Ernestina est partie quelques jours en France chez sa fille, Magda, qui fait ses études à Paris. Annekee est seule, complètement livrée à elle-même.  

Il ne reste alors plus que Leen, qui est probablement endormie dans la chambre avoisinante. 

Sauf que Annekee ne veut pas que sa soeur la voit dans un état aussi déplorable, surtout après sa révélation plus que choquante la semaine dernière. Elles n’ont toujours pas parlé des violences tant physiques que psychologiques que Sigrid leur fait subir, même si leur relation s’est brusquement détendue depuis. Annekee a beaucoup réfléchi à cela ces derniers jours, et bizarrement, elle comprend l’attitude de Leen depuis qu’elle est arrivée à Amsterdam. Elle n’excuse pas sa méchanceté et son manque de considération, mais tout s’assemble peu à peu dans son esprit. 

Aneekee tend la main pour agripper l’or rassurant de son pendentif, passe ses doigts sur la croix et les lettres gravées du prénom de Gustaaf. Elle ferme les yeux, les paupières de nouveau pleines de larmes. Pourquoi est-ce que son père l’a laissé tomber ? Tout était si parfait, Annekee était tellement heureuse. Les trajets tous les matins jusqu’au lycée avec Jantje, le paysage médiéval et le marché familier d’Utrecht, l’insouciance et les rires, les soirées tranquilles avec son père. Sa vie a complètement volé en éclats en l’espace de quelques jours. Son seul réconfort est d’avoir trouvé des personnes aussi gentilles que Ernestina, Johannes et Matthijs à Amsterdam. 

Matthijs.

Il ne répondra sans doute pas non plus, lui aussi. Cependant, elle se hasarde tout de même à taper son numéro. Et à sa plus grande surprise, au bout de la troisième sonnerie, elle entend la voix ensommeillée du footballeur :

— Annekee ? murmure-t-il, visiblement inquiet, et Annekee fond tout bonnement en larmes. 

Elle ne comprend pas sa réaction, mais elle ne parvient pas non plus à s’empêcher de pleurer. Les affres de la tristesse la plongent dans un abattement le plus profond, la mène dans un désespoir le plus noir. Annekee souhaite seulement que son chagrin cesse, mais tout ce qu’elle a accumulé depuis des semaines resurgit à la surface. Son mal-être, les instants de tendresse avec Gustaaf qui sont à jamais révolus, les coups et les mots blessants de Sigrid. Ses larmes et ses tremblements deviennent alors incontrôlables. 

— Je… Il… 

— Annekee, Matthijs répète d’une voix plus douce, même si elle le soupçonne d’être plus paniqué qu’il ne voudrait l’admettre, puis elle l’entend zipper la fermeture éclair de sa veste. Qu’est-ce qu’il se passe ? 

— Matthijs, je… Il… 

— Respire doucement, Anne, Matthijs souffle, lentement. Tout va bien, je suis là, avec toi.

Ses mots agissent comme un remède sur son cœur blessé. Elle prend une grande inspiration, essaye de calmer sa respiration et de canaliser les soubresauts qui la font trembler. Au bout de longues secondes, Matthijs semble se rendre compte qu’elle paraît être plus apaisée. Annekee peut entendre ses pas se déplacer au téléphone, le bruit de clefs et d’une porte qui se ferme. 

— Tu es chez toi ? Matthijs chuchote. 

— Ou… Oui, Annekee parvient à articuler. 

— D’accord, ne bouge pas, je viens te chercher dans quinze minutes, Matthijs déclare alors, et elle sent le poids du chagrin tomber un peu de ses épaules. Je suis là, OK ? Je reste au téléphone avec toi pendant ce temps-là, ne raccroche pas. Ca va aller, je te le promets. Je serai devant ta maison bientôt.

Et juste comme ça, Annekee sent des gouttes d’eau salées piquer encore ses yeux. Cette fois, ce ne sont pas des larmes de tristesse, mais de soulagement qui roulent sur ses joues.

KETTING┃m.de ligt (✓)Where stories live. Discover now