Réconfort de Paul

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Le téléphone tombe au sol  avec un bruit sourd.

Je reste figé, de l'autre côté de la chambre, tant la vision devant moi me rappelle des souvenirs de mains entrecroisées, de draps blancs et de lumière céleste. Rose brillant dans la nuit.

Le directeur adjoint est debout, près de la fenêtre. Sa silhouette de profil se détache nettement contre le carré bleu nocturne. Le vent fait onduler les rideaux, et il se tient affaissé, comme abattu par le désespoir, la tête penchée, les épaules courbées. Il a lâché le combiné sans un mot. Sans répondre à sa sœur à qui il n'avait pas parlé depuis je ne sais combien de temps.

Je ne voie pas son visage, caché par le rideau de ses cheveux blonds. Il me rappelle tellement Luna que s'en est troublant. Je m'approche, incertain, me demandant si tout va bien. Il y a tant de choses que j'ignore. J'ai l'impression d'assister à un drame dont je ne perçois que  la surface, le mal profond m'échappant.

-Tout est de ma faute.

Je sursaute, et le mouvement que je m'apprêtais à faire se stoppe. L'instant se paralyse, mes doigts tremblants frôlant l'épaule de l'homme.

La même phrase, terrible dans les mots et l'intonation déchirée de celui qui la prononce. Je ne sais pas comment réagir. Voir la souffrance dans son état brut, non dissimulé par des faux-semblants, est réellement bouleversant.

Alors, je dis la seule chose, peut-être un peu mal placée, qui me vient à l'esprit.

-Veux-tu en parler?

Je ne me rends même pas compte, sur le coup, que  je viens de le tutoyer. La douleur a fait tomber le masque de l'adulte prévenant et responsable, et je me retrouve face à un être humain en détresse. Il ne répond pas. Je ne pense pas qu'il désire en parler, surtout que nous ne nous connaissons pas tant. Mais ce n'est pas grave. Je reste là où je suis, attendant une réaction.

Ma patience est récompensée; il semble se calmer, et tourne son regard vers moi. La tristesse dans ses yeux me fend le cœur, et encore une fois, j'ai ce sentiment étrange de voir la douleur de Luna s'y refléter.

-Je me sens tellement coupable.  Tu ne peux même pas imaginer... À tous les soirs, avant de m'endormir, je revoie le jour où...

Son souffle s'accélère et il détourne la tête brusquement, sa voix se brisant dans un sanglot. Je regarde ailleurs, embarrassé, voulant dire quelque chose pour l'aider. Mais je n'y arrive pas, et je ne fais qu'appliquer une forte pression sur son épaule, espérant que cela suffise.

Il reprend rapidement contenance, à mon grand soulagement.

-Mes excuses. Tu n'as pas assister à de pareilles scènes...

-Ce n'est pas grave.

Le directeur adjoint hoche la tête, sourit un peu, mais la douleur dans ses yeux est encore là. Sa voix est tout de même moins crispée quand il me dit, s'approchant de la porte:

-Viens, Luna nous attend.

Je le suis, le cœur battant d'angoisse et d'espoir. Je sens que ce soir, quelque chose va se passer, quelque chose qui changera pour toujours le présent.




La fille sur le banc du fondWhere stories live. Discover now