Angoisse de Paul

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Luna n'était pas dans le bus, ce matin. Luna n'était nulle part.

Je suis arrivé à l'école, inquiet, et j'ai compris que quelque chose s'était passé. Personne ne parlait, les élèves dans les casiers murmuraient parfois à voix basse, échangeant des regards troublés. Je me suis quand même rendu à mon premier cours, ne cherchant pas à saisir des brides de leurs conversations. Gardant ma main serrée sur le bracelet de perles et de quartz jusqu'à ce que mes jointures blanchissent. La colère allumant mes yeux.

Il a fallu une disparition pour que, tout d'un coup, ils commencent à s'intéresser à elle, et à remarquer qu'elle existe. Qu'elle existait, plutôt...

J'ai tellement peur.

C'est lâche, et honteux, surtout pour un garçon. Je le sais, on me le répète depuis que j'ai l'âge de le comprendre. Je dois être fort, les hommes n'admettent pas leur faiblesse et gardent la tête haute.

Mais je suis terrifié, malgré moi. Comment pourrait-il en être autrement? Il aurait pu arriver n'importe quoi. Un viol, un enlèvement, un assassinat, ou même une fugue. Luna est si fragile. Le contact des autres la meurtrit, elle se blesse au moindre geste trop brusque. Elle n'a pas d'armure, de confiance en elle, et le voile de ses cheveux roses est si fin... S'il fallait qu'elle...

Je m'arrête de penser. Je laisse ma tête retomber entre mes mains, la chaîne du bijou filer entre mes doigts. Je sais qu'elle n'est pas simplement malade. Sinon, l'ambiance ne serait pas si sombre, comme à un jour d'enterrement. J'ai dû manquer quelque chose.

Le directeur adjoint entre dans la classe. Je reconnais son pas droit et assuré sans même avoir besoin de relever la tête. Je sais quel visage je vais voir si je le fais: Celui d'un homme dans la trentaine, aux cheveux blonds mi-longs  et aux yeux bleus bienveillants. Il inspire la confiance. Mais je ne réagis pas quand il m'interpelle. Je suis seul dans la classe, il ne peut s'adresser qu'à moi.

Il reste immobile devant mon bureau quelques instants. Je suppose qu'il ne sait pas comment interpréter mon silence. Qu'il va s'impatienter, me parler sur un ton dur, comme mon père le fait. Mais non. Il pose sa main sur mon épaule et attend.

Peu après, comme je n'ai aucune réaction malgré mon trouble, j'entends le raclement d'une chaise. Il s'assied près de moi. Je sens sa présence envahir mon espace, et j'ai envie de lever les yeux, mais je sais ce qui va se passer si je le fais. Il va m'interroger, me questionner sur Luna, et je n'ai pas l'intention de lui répondre, aussi rassurante son attitude soit-elle.

Mais il n'attend pas de signe, ou de réponse, de ma part.

-Paul, viens dans mon bureau. Je sais que tu ne souhaites pas coopérer, et je comprends très bien, mais viens. Tu ne seras même pas obligé de parler, si tu ne le veux pas.

Il serre les doigts sur mon épaule. Ce n'est pas un geste de menace, mais de réconfort. La voix du directeur adjoint est calme, presque tranquillisante. Cela fait combien de temps que personne ne m'a parlé, approché de cette façon? Je ne me souviens même plus.

Alors, je me lève. Pour la première fois depuis longtemps, je choisis d'avoir confiance en quelqu'un.



La fille sur le banc du fondWhere stories live. Discover now